20XX, Vol. 35, No. 1, 81-85

Logo RFGI

Revue Française de Gestion Industrielle

article en open accès sur www.rfgi.fr

https://doi.org/10.53102/2021.35.01.925

 

Analyse d’ouvrage :

Lean, Kata et Système de Gestion, seconde édition, par Sylvain Landry, Ph. D. et Martin Beaulieu, M. Sc., Les Éditions JFD Inc., Montréal, Québec, Canada, 2021

1 Ing, MGP, PMP, MBB, Canada, gilles.belanger2@usherbrooke.ca,

2 Ing., Canada, philippe.joly@usherbrooke.ca,

Résumé

La philosophie Lean prend racines chez Toyota au début des années 1950. Au fil du temps, plusieurs organisations liées aux services ont adopté ce mode de gestion axé sur la création de la valeur pour le client. Ce livre présente plusieurs outils Lean et quinze cas d’implantations qui ont pour objectif de susciter la réflexion lorsqu’on cherche à mettre en place la philosophie de gestion Lean dans son organisation. Il présente des options pour arrimer cette approche à l’organisation plutôt que des réponses définitives.

Un des messages à retenir de cet ouvrage, c’est que le doute et l’humilité sont parmi les qualités les plus importantes d’un leader Lean. Sa capacité à apprendre et à développer les compétences de ses collègues, dans un esprit d’expérimentation scientifique, aide à résoudre les obstacles multiples auxquels toute organisation est confrontée.

Mots clés : Gestion, Kata, Lean, Santé, Système, Toyota

Lean, Kata and Management System, second edition, by Sylvain Landry, Ph. D. and Martin Beaulieu, M. Sc, Les Éditions JFD Inc, Montreal, Quebec, Canada, 2021

Abstract

The Lean philosophy takes its roots at Toyota in the early 1950s. Over the years, many service-related organizations have adopted this management approach focused on creating value for the customer. This book presents several Lean tools and fifteen implementation cases that are intended to stimulate reflection when trying to implement the Lean management philosophy in one's organization. It presents options to anchor this approach to the organization rather than definitive answers.

One of the most important messages of this book is that self-doubt and humility are among the most important qualities of a Lean leader. His or her ability to learn and develop the skills of his or her colleagues, in a spirit of scientific experimentation, helps to solve the multiple obstacles that every organization faces.

Keywords: Management, Kata, Lean, Healthcare, System, Toyota


1.   INTRODUCTION

La philosophie Lean prend racines chez Toyota au début des années 1950. Au fil du temps, plusieurs organisations liées aux services ont adopté ce mode de gestion axé sur la création de la valeur pour le client. Ce livre présente plusieurs outils Lean et quinze cas d’implantations qui ont pour objectif de susciter la réflexion lorsqu’on cherche à mettre en place la philosophie de gestion Lean dans son organisation. Il présente des options pour arrimer cette approche à l’organisation plutôt que des réponses définitives. 

Le contenu de ce livre écrit par Sylvain Landry et Martin Beaulieu est arrimé avec la mission du Pôle santé HEC Montréal. C’est une plate-forme universitaire qui génère et diffuse de la connaissance autour des meilleures pratiques en gestion de la santé. En plus de sa charge de professeur titulaire, Monsieur Sylvain Landry assume le rôle de Directeur- conseil et soutien à l’amélioration continue au Cabinet du directeur des HEC Montréal. Monsieur Martin Beaulieu a plus de 20 ans d’expérience comme professionnel de recherche dans le domaine de la logistique hospitalière, sa contribution rend accessible la lecture du livre parce qu’elle nous permet de prendre connaissance de cas véritables avec des solutions réelles.

Tout le long des chapitres, un filon commun se dégage concernant l’importance pour les gestionnaires de participer à la découverte des problèmes et à leurs solutions aux côtés des parties prenantes. Bref, les gestionnaires près des opérations développeront une compréhension systémique des contraintes et des obstacles et aurons l’opportunité de contribuer directement à leurs résolutions.

Un des messages à retenir de cet ouvrage, c’est que le doute et l’humilité sont parmi les qualités les plus importantes d’un leader Lean. Sa capacité à apprendre et à développer les compétences de ses collègues, dans un esprit d’expérimentation scientifique, aide à résoudre les obstacles multiples auxquels toute organisation est confrontée.

2.   Structure du livre et contenu

Le monde que nous avons créé est un produit de notre pensée. Nous ne pouvons le changer sans changer notre façon de penser’ Albert Einstein.

La première partie offre une réflexion sur plusieurs éléments du Lean, le système de gestion et le Toyota Kata. La section sur la gouvernance Lean est particulièrement intéressante, c’est un facteur important pour le succès d’une transition Lean et il est abordé ici d’une manière précise et inspirante. La deuxième et la troisième parties présentent quinze cas d’organisations de différents secteurs d’activités. Les dix récits de la troisième partie portent sur des établissements de santé et services sociaux.

2.1    LA PARTIE I : RÉFLEXIONS ET OBSERVATIONS SUR LE LEAN, LE SYSTÈME DE GESTION ET LE KATA

Cette partie commence par une définition du Lean axé sur la création de la valeur pour le client, appuyée par dix principes de gestion et coiffée par le hoshin kanri (l’alignement des activités d’amélioration avec les objectifs stratégiques de l’organisation). Les pages qui forment le chapitre 2 décrivent la fiche A3 ; ses utilisations variées selon le contexte, et s’arriment avec la méthode scientifique de résolution de problème. Se présente ensuite dans le chapitre 3 un survol des outils Lean les plus connus : le 5S, le SMED, le kanban, le jidoka et le pokayoke.

Le chapitre 4 couvre un sujet peu souvent abordé dans les ouvrages sur le Lean : la gouvernance, c’est-à-dire, la façon dont les décisions importantes sont prises dans une organisation. Bien qu’une équipe spécialisée soit fort utile pour démarrer la transformation Lean, à long terme, l’ensemble des parties prenantes doit être en mesure d’appliquer la philosophie Lean pour gérer les projets. Un des facteurs de réussite d’une transition vers le Lean est le support de la direction dès le départ et de manière soutenue. Cette tâche ne peut pas être déléguée.

Ce qui nous amène à la gestion des ateliers Kaizen du chapitre 5. Le lien entre la création par les parties prenantes de la fiche A3 de Résolution De Problème (RDP), l’atelier Kaizen et le Toyota Kata est démontré par Figure 1 de la page 85 (source Mike Rother) :

 

Figure 1: L’atelier Kaizen et le Toyota Kata

En quelques mots, ce tableau montre où nous en sommes en 2021 avec le Lean: une implication journalière avec les gestionnaires près des opérations afin de rencontrer les objectifs stratégiques de l’organisation. Les chapitres 4 et 5 justifient par eux seuls la lecture de ce livre tellement ces informations sont inspirantes !

Le chapitre 6 débute par cette citation : ‘Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts’, Isaac Newton. Le système intégré de gestion de la performance a justement pour but de créer des ponts entre tous les niveaux hiérarchiques et toutes les fonctions de l’organisation. Le Toyota Kata du chapitre suivant illustre une manière simple d’y arriver avec une approche économique et efficace.

Mais, attention, ‘simple’ ne signifie pas ‘facile’.

 

2.2    LA PARTIE II : RÉCITS D’ORGANISATIONS DE DIVERS SECTEURS : CONSTRUCTION AUTOMOBILE, ÉLECTRONIQUE, PRODUITS PHARMACEUTIQUES, APPAREILS ÉLECTROMÉNAGERS ET TÉLÉCOMMUNICATIONS

Les meilleurs principes de gestion n’ont de valeur que lorsqu’ils sont appliqués et produisent des résultats tangibles. Les cinq études de cas de la partie II portent sur des cas réels dans le secteur manufacturier et le secteur des services.

Le tableau de la page 162 permet au lecteur de cibler les études de cas qui correspondent à ses champs d’intérêts. Quoi de plus pertinent que de commencer par une analyse des forces et faiblesses de l’approche Lean chez Toyota ! Au lendemain de la seconde guerre mondiale, vers 1950, la production de Toyota est de 40 unités par jours, alors que celle de Ford aux E.U est de 8000 quotidiennement. Comment s’adapter à une si grande différence de volume de production ?  À la suite de problèmes financiers chez Toyota et après une grève très dure, de nouveaux principes de gestion ont été mis en place. L’autonomation (dispositif qui arrête la machine dès qu’il y a un défaut ou que la production est terminée ; ça permet à un opérateur de superviser plusieurs machines), le juste à temps et son petit cousin; le kanban. De plus, l’échec retentissant de la Corolla sur le marché américain à cette époque, a donné naissance à la volonté de s’améliorer continuellement. Ces éléments ont forgé en partie, la base du système de production Toyota, comme il sera appelé une trentaine d’années plus tard. Monsieur Taiichi Ohno sera le principal artisan de cette transformation. Trois autres études de cas (IBM Bromont, Mabe et Bell Mobilité) décrivent l’intégration d’un système de gestion de la performance. Chez Merck, l’accent est mis sur l’intégration du Toyota Kata dans la gestion quotidienne.

 

2.3    LA PARTIE III : RÉCITS D’ORGANISATIONS DU SECTEUR DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX

Les dix études de cas de la partie III portent sur le secteur de la santé et des services sociaux, et ici aussi, le tableau de la page 220-221 permet de cibler les thèmes abordés pour orienter le lecteur.  La partie III fait une belle part à la thématique de l’introduction de système intégré de gestion et bien que chacun des cas soit différent, une tendance lourde est facilement observable ; la difficulté de maintenir les gains à long terme.  Par ces cas, le lecteur peut faire un lien avec les observations et les questions posées dans la première partie et le parcours du combattant vécu par les organisations dans l’implantation et les apprentissages qui ont découlés de ces essais.  Presque chaque cas montre l’introduction d’une méthode, d’une démarche (tableau de bord, planification stratégique, salle de pilotages, Kaizen, Kata, etc.) les obstacles qui sont apparus et des cycles d'apprentissages qui ont dû être fait pour maintenir les améliorations. 

Comme la conclusion le dit bien, l’implantation du TPS chez Toyota fut aussi parsemée d’obstacles, d’essais-erreurs et de reprises de travaux et d’apprentissages. La pérennisation d’un nouveau modèle de gestion n’est jamais acquise, comme Toyota l’a vécu en 2010 après presque 60 ans d’expérience !  Il est donc tout à fait normal de vivre ces cycles, et seul un constant désir d’amélioration permet d’introduire une culture d’apprenant dans chaque organisation.  Les cas présentés montrent bien que chacun est unique et que cette nouvelle culture Lean s’implante tout aussi uniquement, l’important étant que chaque organisation y trouve son vrai nord.

3.   Contributions principales et aspects critiques

Dans la préface, Andrew Dillon, parle de l’explosion des définitions du Lean dans le monde en faisant une comparaison avec une simple recherche sur Google du terme « Lean consulting ».  Faisons un parallèle en partant du même principe ; combien de référence obtenons-nous en faisant une simple recherche de livre sur Amazon sur le terme de « Lean management »? Près de 10 000 livres y sont référencés !  À travers ce foisonnement de livres sur la culture du Lean, des références connues elles-mêmes identifiées dans ce volume, comme « The Toyota Way » de J.K.Liker ou encore « « The Machine That Change The World » des auteurs James P. Womack, Daniel T. Jones et Daniel Roos, comment ce livre se distingue-t-il, quel apport ajoute-t-il quand le lecteur se questionne sur l’essence du Lean, et de l’intérêt qu’il porte envers le modèle?  Pourquoi se pencher sur ce livre ?

La réponse à ces questions s’articule autour de réflexions par les auteurs sur l’état du Lean au 21e siècle, et de questionnements et observations faites à propos d’expériences organisationnelles documentées.  L’objectif de cet ouvrage, bien expliqué dans l’avant-propos, n’est pas d’expliquer en détail le Lean ni les outils connus du Lean.  Il propose au lecteur de prendre un pas de recul face à son expérience ; tel un Kata, bien expliqué dans le livre, face à nos expérimentations vécues, à nos essais, nos erreurs, notre apprentissage, quelles sont les leçons tirées de nos essais d’utilisation des méthodes Lean ?  Comment pouvons-nous transformer celles-ci en actions pour un nouveau cycle d’apprentissage ? Quel objectif voulons-nous atteindre ?   Ce livre peut être vu comme un « coach » dans un cycle de Kata ; il nous propose une réflexion, des questionnements auxquels nous pouvons répondre pour nous faire avancer dans notre pratique.  Un avertissement peut être utile ici : le lecteur en tirera les pleins bénéfices s’il possède une expérience du Lean. Bien que les outils soient expliqués dans la première section, un lecteur non initié devra consulter d’autres références pour les comprendre.

Bien que la plupart des récits organisationnels soient consacrés au système intégré de gestion de la performance, une part importante du livre concerne le Toyota Kata, comme mentionnée plus haut, essentiellement dans le chapitre 7, mais aussi dans plusieurs récits d’organisations.  Ce modèle, proposé par Mike Rother, décrit une série de routines et de réflexions basées sur la pensée scientifique qui étaient sous-jacentes dans les façons de faire de Toyota et qui étaient une partie cachée, invisible du Lean.  Dans son livre “Toyota Kata, managing people for improvement, adaptiveness and superior results”, Mike Rother y va d’une analogie intéressante (chapitre 1, p.5); « si on nous demande à la fin de la journée ce que nous avons fait, nous allons expliquer plein de choses, mais nous n’allons pas nécessairement dire que nous avons respiré ».  Par cette comparaison, il met en lumière les pratiques intériorisées chez Toyota qui n’ont pu être saisies lors de simples lectures ou interviews. Elles s’avèrent pourtant essentielles au bon fonctionnement du TPS (Toyota Production System). Le Kata et le système intégré de gestion de la performance font le pont entre la philosophie Lean et ses outils. À la différence des autres outils et méthodes, vus sommairement le livre permet ici une meilleure compréhension de base de la façon de faire.  La manière dont le Toyota Kata est traité est en continuité avec la réflexion proposée sur le Lean, que l’amélioration se fera dans une succession d’expériences, de réussites et d’apprentissages, et qu’il n’y a pas qu’une seule voie pour atteindre nos objectifs.

Une entrevue en fin de section du chapitre 7, bien qu’elle ne soit pas reliée directement au Lean, permet une meilleure compréhension des concepts du Shuhari et de l’apprentissage par le corps (la mémoire musculaire) très présents en Orient, qui permet de mettre en opposition nos modèles occidentaux fondés sur l’apprentissage rationnel, à partir d’une image mentale. Bien que petite (5 pages), cette section apporte un éclairage sur la difficulté d’intégration du Lean en occident et permet une réflexion plus approfondie sur l’apprentissage en général et la nécessité d’intégrer des routines de pratique.

Par exemple, apprendre à jouer du piano permet de passer du conscient à l’intuitif. Lorsqu’on apprend les gammes, on y va graduellement selon un modèle connu.  Plus on joue, plus la mémoire musculaire prend le dessus., Les doigts se souviennent de la position des notes, on n’y pense plus. On a appris avec le corps.

Il est important de préciser que le livre peut être lu dans le désordre ; le lecteur peut lire une section sur un outil ou une pratique, et référer directement à sa correspondance dans un récit organisationnel.  Au début des sections 2 et 3, un tableau fait le sommaire des thèmes abordés dans chacun des récits, ce qui permet une identification rapide pour le lecteur.  Les auteurs soulignent en début de la section 2 que bien que les études parlent des techniques et méthodes, une réflexion plus profonde est imbriquée dans les récits d’organisations. Le lecteur pourrait bénéficier d’une seconde lecture après quelques temps afin de pratiquer le Hansei (autocritique de nos façons de faire afin de mieux comprendre).

Nous nous en voudrions, en terminant, de ne pas mentionner l’importance de cet ouvrage, compte tenu du peu de références en français disponible sur le marché.  L’importance de bien comprendre les notions et questionnements sur la méthodologie est sans équivoque, et le fait de devoir traduire de façon juste ces notions apporte souvent une difficulté ; ce livre apporte non seulement une meilleure compréhension grâce à la clarté de la langue, mais le fait de pouvoir compter sur des récits d’organisations de langue française est un atout de plus.

4.   BIOGRAPHIE

  Gilles Bélanger : ing., MGP, PMP, MBB, Ingénieur diplômé de Polytechnique, détenteur d’une maitrise en gestion de projet de la ‘Western Carolina University’ et de la certification Projet Management Professional (PMP®). Il a géré des projets d’amélioration de processus au Canada, aux États-Unis et au Mexique dans un environnement où le cadre de travail DMAIC du Six Sigma était couramment utilisé.

De 2011 à 2020, il a dirigé son cabinet-conseil en amélioration de la performance. Depuis 2017, il est chargé de cours à l'Université de Sherbrooke en Six Sigma et Lean.

 

  Philipe Joly : ing., Philippe Joly possède plus de 20 ans d'expérience en gestion et en ingénierie dans le secteur manufacturier. Grâce à sa ceinture noire en LEAN Six Sigma obtenue en 2001, il a participé et a animé des activités d'amélioration continue (KAIZEN, Hoshin Kanri, VSM, 5S et Six Sigma) sur plusieurs sites de l'entreprise en Amérique. Il combine aussi de solides expériences en gestion manufacturière, maintenance et systèmes de qualité. À l'hiver 2019, M. Joly a commencé l’enseignement du LEAN et de la gestion de projet à l'Université de Sherbrooke.

 

1 Gilles Bélanger, Ing, MGP, PMP, MBB, Canada, gilles.belanger2@usherbrooke.ca

2 Philippe Joly, Ing., Canada, philippe.joly@usherbrooke.ca