2022, Vol. 36, No. 2, 29-47
Revue Française de Gestion Industrielle
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Sécurité des navires et gouvernance internationale : quel rôle pour les sociétés de classification ? Une approche selon Bourdieu
Raphael Lissillour 1, Dominique Bonet Fernandez 2
1Directeur des programmes Chine, IPAG Business School, France, r.lissillour@ipag.fr ,
2Professeure, Directrice chaire d’économie circulaire, IPAG BS, CRET-LOG, AMU, d.bonet-fernandez@ipag.fr
Résumé
La gouvernance de la sécurité maritime mondiale réunit de nombreux acteurs : les Etats, les armateurs, les chantiers navals, les affréteurs, les assureurs et les sociétés de classification. L’article analyse les relations entre les acteurs impliqués dans l'élaboration des normes et réglementations de sécurité maritime. L’objectif est d’identifier les bénéficiaires de cette gouvernance et de décrire les mécanismes de la lutte pour le pouvoir qui sous-tend ces processus de décision au prisme de la théorie de la pratique de Bourdieu. Une étude qualitative-déductive de terrain a été menée auprès d’un panel d'acteurs majeurs de la sécurité maritime mondiale. Nos résultats montrent que les acteurs dominants dans le domaine de la sécurité maritime sont ceux qui sont capables de lever les capitaux appropriés et de mettre en œuvre des mouvements stratégiques qui leur permettent d'accumuler plus de capital ou de réduire la dotation en capital des autres acteurs du domaine. L'étude de terrain révèle que les acteurs non étatiques appartenant à l'ensemble de la chaîne industrielle contribuent de différentes manières aux processus de formulation et de mise en œuvre des politiques. Les acteurs sont inégalement dotés en capital. Nos résultats indiquent que les sociétés de classification tirent profit de leurs dotations en termes de champ, de capital et d’habitus, au sens de Bourdieu, pour maintenir leur rôle de premier plan dans la sécurité maritime mondiale, questionnant le rôle de l’Etat dans la gouvernance mondiale de la sécurité maritime.
Mots clés : Sécurité maritime ; Bourdieu ; Théorie de la pratique ; Sociétés de classification ; Gouvernance mondiale
Ships safety and international governance: what role for classification societies? A bourdieusian perspective
Abstract :
The governance of global maritime safety involves many actors: shipowners, shipyards, charterers, insurers and classification societies. The research analyses the relationships between the actors involved in the development of maritime safety standards and regulations. Our objective is to identify the beneficiaries of this governance and to describe the mechanisms of the struggle for power that underlies these decision-making processes, in the light of Bourdieu’s theory of practice. A qualitative-deductive field study was conducted with a panel of major players in maritime safety. Our results show that the dominant actors in the field of maritime safety are those who are able to raise the appropriate capital and implement strategic movements that allow them to accumulate more capital or reduce the capital endowment of other actors in the field. The research reveals that non-state actors belonging to the entire industrial chain contribute in different ways to the policy formulation and its implementation processes. Actors are unequally endowed with capital. Our results indicate that classification societies benefit from their endowments in terms of field, capital and habitus to maintain their leading role in global maritime safety, questioning the role of the State in the global governance of maritime safety .
Keywords : Maritime safety ; Bourdieu ; Theory of practice ; Classification societies ; Global governance
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses initiatives ont permis d’harmoniser les standards internationaux du transport international. Ces réformes dans la gouvernance portuaire furent associées aux objectifs de réduire l’intervention de l’État dans la planification et la gestion des infrastructures maritimes (Comtois et Slack, 2003). Un des défis majeurs de cette standardisation a été le manque d’autorité centrale pour renforcer les réglementations (Jacobsson, 2000) qui dépend souvent de la reconnaissance volontaire des acteurs privés et publics. Les organisations engagées dans le développement de standards internationaux défendent leurs propres intérêts et stratégies dans un espace social où ont lieu les conflits concernant la sécurité des navires, un espace compétitif (Brunsson et Jacobsson, 2000 ; Hallström, 2004). Cet espace social qu’est la gouvernance mondiale a été étudié en profondeur par le courant néo-institutionnel qui a permis de révéler différentes tendances institutionnelles comme la scientifisation, la marketisation, et la rationalisation (Djelic et Sahlin-Andersson, 2006). La littérature néo-institutionnelle semble avoir mis de côté les enjeux de pouvoir et les contestations inhérentes aux développements de régulations internationales avec certaines exceptions comme Lissillour et Bonet (2018, 2020), Fulconis et al. (2020) et Mattli et Buthe (2003) car ils sont principalement étudiés comme un processus rationnel et technique basé sur le consensus (Loya et Boli, 1999) issu d’un besoin fonctionnel d’orchestration entre acteurs (Abbott et Snidal, 2001). La théorie des parties prenantes est un autre cadre théorique pertinent pour l’étude de la gouvernance mondiale, mais cette approche s’intéresse à l’idéal opérationnel que serait une gouvernance intégrative prenant en compte toutes les parties prenantes. Alors que la littérature sur la chaine d’approvisionnement manque de perspective critique (Touboulic et al., 2020 ; Touboulic & McCarthy, 2020), nous avons privilégié le cadre d’analyse bourdieusien.A l’instar de l’étude de Botzem et Quack (2005) sur les standards comptables, cette recherche vise à compléter l’approche institutionnelle sur la gouvernance mondiale par la théorie de la pratique de Bourdieu (1990).
Si la sécurité dans le transport et la logistique est un enjeu bien étudié dans la littérature (Babei et Paché, 2021 ; El Idrissi et al., 2010 ; Monteiller, 2014 ; Molet, 2007), nous avons choisi la gouvernance de la sécurité maritime comme terrain d’étude car c’est un élément majeur du transport maritime, crucial à l’économie planétaire. Plus de 90% du commerce international est transporté par voie maritime.[1] Cependant, depuis 2000, plus de 2600 incidents maritimes majeurs ont été répertoriés par l’Organisation des Nations Unies (ONU), ce qui n’a pas manqué d’attirer l’attention de l’opinion publique.[2] Les problèmes relevant de la sécurité maritime ne sont pas limités à la gouvernance portuaire déjà bien étudiée par le passé (Comtois et Slack, 2003), mais concernent des acteurs divers dispersés dans le monde entier comme les armateurs (Fulconis et Lissillour, 2021) : la sécurité maritime relève donc de la compétence d’une gouvernance mondiale. Celle-ci parait centralisée autour de l’agence spécialisée de l’ONU : l’Organisation Maritime Internationale (OMI). Mais, l’autorité et l’ambition de l’OMI à développer des standards internationaux sont contestées par les États ce qui contribue à l’émergence d’une gouvernance polycentrique (van Leeuwen, 2015).
Cette recherche analyse les relations mutuelles entre les acteurs engagés dans le développement de standards et de régulations de la sécurité maritime, et plus particulièrement les sociétés de classification (Fulconis et al., 2021). Dans quelles mesures leurs conflits d’intérêts et leurs coopérations contribuent-ils au développement d’un champ de la gouvernance mondiale de la sécurité maritime ? Cette recherche vise à identifier les bénéficiaires de cette gouvernance et à décrire les mécanismes sous-jacents à la lutte pour le pouvoir qui est à la base de ces processus décisionnels. Le champ de la sécurité maritime est défini comme l’espace social où ont lieu les conflits concernant la sécurité des navires plutôt que la sécurité des personnes,[3] par conséquent, le champ ne comprend pas l'Organisation internationale du Travail et des organisations non gouvernementales (ONG) telles que la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) qui ne sont pas considérées ici comme principaux acteurs. La sécurité maritime est un domaine technique qui traite de l'état matériel des navires, par conséquent, les conflits d’ordre environnementaux sont en dehors du champ et les ONG environnementales, tout en étant importantes dans le champ de la protection de l'environnement, sont exclues du champ étudié (Lissillour, 2017). La gouvernance mondiale de la sécurité maritime représente évidement une fonction de régulation. Dans cette recherche, nous avons choisi d’aborder la gouvernance mondiale sous l’angle de la concurrence, et non celui de la régulation, déjà traitée dans la littérature.
La première partie est consacrée à la revue de littérature mobilisant la théorie de la pratique de Bourdieu. La méthodologie qualitative adoptée mobilise 21 acteurs majeurs du secteur de la gouvernance maritime. L’analyse et la discussion des résultats permettent de dresser un panorama et de souligner les paradoxes soulevés par la nature de la gouvernance maritime, à la lumière de la théorie de la pratique de Bourdieu (1990). Nous concluons sur les limites et perspectives de cette recherche, dans un contexte mondial en pleine mutation.
Alors que les États partagent de plus en plus leur pouvoir décisionnel avec des entités du secteur privé, telles que des entreprises ou des groupes d'intérêts, un certain nombre de travaux ont été consacrés aux procédures formelles et informelles créées pour permettre ce changement de pouvoir (Clapp, 1998; Monteiller, 2002),notamment dans les organisations intergouvernementales. Dans le domaine de la sécurité maritime, l’OMI a créé des cadres contractuels permettant aux États et aux sociétés de classification de coopérer, de sorte que la délégation des obligations statutaires des États puisse être honorée par des contrats standardisés. Si un tel exemple indique l'institutionnalisation de la coopération entre le public et le privé, on peut soutenir que l’émergence de cette nouvelle norme n’est pas neutre et constitue le résultat de négociations entre acteurs rivaux, la compréhension des rivalités entre acteurs étant limitée. Le cadre légal développé à l’OMI peut être considéré comme « un reflet direct des rapports de force existants, où s'expriment les déterminations économiques, et en particulier les intérêts du dominant » (Bourdieu, 1986).
Si Bourdieu a confronté sa thèse à l’étude du champ juridique national où « l’autorité juridique, forme par excellence de la violence symbolique légitime dont le monopole appartient à l’état et qui peut s’assortir de l’exercice de la force physique » (Bourdieu, 1986), cette recherche a comme objectif de tester la théorie de la pratique aux enjeux globaux de la gouvernance mondiale.
La sociologie évoque la difficulté d’appliquer aux terrains internationaux les méthodes ordinaires du sociologue. Le chercheur qui entre dans l’espace international en se posant la question de la sécurité se rend vite compte qu’il est plus intéressant de comprendre la complexité de la politique de la sécurité et des normes pour percevoir ses effets sur la gouvernance internationale « objective » (Lefranc, 2015).La pensée de Bourdieu permet de renouveler l’approche sur la gouvernance mondiale de la sécurité́ des navires en transposant ce cadre théorique à l’échelle internationale.
Dans le cadre de son étude, la force du droit, Bourdieu (1986) explique que « le droit consacre l’ordre établi en consacrant une vision de cet ordre qui est une vision d’État, garantie par l’État, » et que la pratique du droit n’est pas insensible aux affinités qui unissent les juristes et les détenteurs du pouvoir économique ou juridique. Qu’en est-il du droit international issu des organisations multilatérales et de la gouvernance mondiales ?
La gouvernance mondiale est souvent décrite comme un champ social neutre et pacifique « qui permet de concilier des intérêts divergents ou conflictuels et de prendre des mesures concertées» (Commission on Global Governance, 1995) et « à travers lequel les intérêts collectifs sont articulés sur le plan mondial, les droits et obligations sont établis, et les différences sont résolues » (Thakur et Weiss, 2006) et qui fait apparaitre les régulations internationales indépendamment des rapports de force dont ils sont issus. En accord avec la sociologie bourdieusienne, nous proposons une vision de la gouvernance globale comme instrument de domination, en effet : « L’influence sur les règles et normes internationales, c’est-à-dire sur les règles du jeu économique, est une composante essentielle quoique peu visible de la compétitivité́ des entreprises et des États. Les régulations internationales ne sont jamais innocentes » (Revel, 2013).
L’émergence de la gouvernance mondiale de la sécurité maritime ouvre un champ social dont les acteurs luttent pour l’occupation symbolique et matérielle. Chaque acteur défend ses propres intérêts selon ses dispositions sociales naturelles (Djelic et Quack, 2003). La gouvernance mondiale est l’espace social d’une concurrence entre organisations fortes de différentes compétences et capitaux qui lutte pour la capacité de produire et interpréter les régulations internationales. Cette lutte est un processus de négociation et de renégociation sur les conditions d’accès et les règles du champ (Dezalay et Garth, 2002) et sur la capacité d’acteur à imposer leur principe de vision et de division du champ (Lissillour et al., 2021 ; Monod et al., 2022).
Les régulations internationales sont conceptualisées comme une forme de pouvoir symbolique qui permet de nommer les choses, de créer les choses nommées, et de produire des catégories selon lesquelles les dominants créent et manipulent le monde social (Bourdieu, 1986). Ceci peut permettre de gagner un avantage compétitif sur la concurrence en ajoutant des contraintes à ses concurrents ou à alléger ses propres contraintes légales. Les normes internationales masquent ces luttes de pouvoir par la forme neutre, officielle, formelle, rationnelle, impersonnelle et systématique de ses textes qui contribuent à son efficacité symbolique. La portée universelle de son application rajoute à sa légitimité « la norme comme la règle ont toujours pour objet de sécuriser les échanges, de faciliter l’interopérabilité́ du commerce et, en principe, de protéger le consommateur tout en lui assurant le meilleur service » (Revel, 2013. p. 8), même si elles profitent en réalité plus à certains agents qu’à d’autres. Par effet de normalisation, « l'institution juridique contribue sans doute universellement à imposer une représentation de la normalité par rapport à laquelle toutes les pratiques différentes tendent à apparaitre comme déviantes » (Bourdieu, 1986) et ainsi promeut les préférences du dominant sous forme de normes universelles. Si la gouvernance mondiale fonctionne comme un appareil juridique caractérisé par « la complémentarité des fonctions et sert en fait de base à une forme subtile de division du travail, de domination symbolique dans laquelle les adversaires, objectivement complices, se servent mutuellement » (Bourdieu, 1986) alors, dans le cadre de la gouvernance mondiale de la sécurité maritime, la question suivante se pose : Quels sont les mécanismes par lesquels les dominés et les dominants renforcent la structure sociale tout en sauvegardant leurs intérêts ? Ensuite, comment et pourquoi les sociétés de classification jouent-elles un rôle central dans cette gouvernance de la sécurité́ des navires ? Nous formulons deux hypothèses. (1) la gouvernance est un instrument de domination avant d’être un moyen de concilier des intérêts divergents et (2) la nature polycentrique de la sécurité maritime paraît accentuée par la privatisation de cette gouvernance.
L’étude d’un seul acteur séparé de son environnement social n’aurait pas de sens dans la sociologie relationnelle de Bourdieu car les acteurs se positionnent les uns envers les autres dans le champ selon leur dotation relative en capital (Bourdieu, 1977). Cette recherche est basée sur une étude de type « qualitative déductive » (Gavard-Perret et al. 2018). Des entretiens semi-directifs avec 21 acteurs de la gouvernance maritime mondiale et 2 experts ont été menés (Cf tableau 1 : guide d’entretien)L’étude se concentre sur quatre groupes d’acteurs, deux organisations industrielles (sociétés de classification et armateurs) et deux organisations publiques (État et Organisation Maritime Internationale). L’unité d’analyse n’est pas l’acteur en lui-même, mais le système d’action qui connecte le groupe d’acteurs au phénomène étudié (Lissillour, 2021). Une telle étude permet une diversité de perspective, incluant autant celle de l’acteur dominant que celle de l’acteur dominé. L’analyse vise à extraire les pratiques qui relient ces quatre groupes d’acteurs et qui constituent la gouvernance de la sécurité maritime. Ces dynamiques collectives révèlent une sociologie de la gouvernance de la société maritime et se situent donc au croisement des sciences politiques et sciences de l’organisation. Nous décrivons les relations constitutives, entre les acteurs, d’un environnement complexe en intégrant des sources d’information complémentaires.
Tableau 1 : guide d’entretien : champ, habitus et capitaux
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Sous-theme |
Questions |
Le champ |
Influence relative |
Qui sont les parties prenantes dans le domaine de la classification des navires ? Quels sont leurs intérêts ? Comment l'IACS exerce-t-elle une très forte influence sur l'OMI ? Quelle est l'influence de l'IACS sur l'OMI ? Cette influence se renforce-t-elle ou se relâche-t-elle ? Quelle est l'influence du CS sur l'IACS/IMO ? Cette influence se renforce-t-elle ou se relâche-t-elle ? L'âge avancé du système CS confère-t-il un degré d'influence particulier par rapport à l'âge relativement jeune des autres parties prenantes (BIMCO, INTERTANKO, etc.) ? Comment l'OMI exerce-t-elle une très forte influence sur le SIGC ? Quelle est l'influence de l'OMI/BIMCO sur l'IACS ? Cette influence se renforce-t-elle ou se relâche-t-elle ? Quelle est l'influence de l'IACS sur l'OMI ? Cette influence se renforce-t-elle ou se relâche-t-elle ? |
Conflit |
Dans quelles circonstances des conflits apparaissent-ils entre les acteurs mentionnés dans cette section ? Quels sont les conflits d'intérêts typiques dans ce champ ? |
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Les quatre formes de capitaux |
Economique |
Qui contrôle les ressources économiques ? Quel groupe entreprend l'investissement ? Quel groupe décide du budget ? La décision est-elle centralisée ou décentralisée ? |
Culturel |
Quel groupe est en position de gardien de l'information ? Quel groupe contrôle la signification de l'information ? Quel groupe doit construire sa crédibilité ? Les connaissances techniques des membres de l'IACS ont-elles une certaine influence par rapport aux connaissances générales de l'OMI ? |
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Social |
Qui a des relations avec les décideurs ? Quel groupe d’acteur est en contact avec ceux qui sont détenteur des formes principales de capitaux ? Qui a des relations de lobbying avec la haute hiérarchie ? |
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Symbolique |
Qui peut imposer des règles et des normes aux autres ? Qui peut imposer des catégories cognitives ? Qui peut imposer son principe préféré de vision et de division du monde social ? La crédibilité est-elle en jeu entre les différents groupes ? L'identité de certains groupes est-elle construite sur des légendes et des héros ? L'identité de certains groupes se construit-elle sur des visions et des rêves ? |
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Habitus |
Une connaisaissance tacite du champ |
L'IACS ou l'OMI/les armateurs essaient-ils de renforcer leur domination sur les sociétés de classification ? Comment ? Comment les sociétés de classification réagissent-elles à cette tentative ?
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Dispositions sociales |
Quel groupe à tendance à faire du lobbying auprès de l'OMI ? Quel agent est en mesure de contrer les prises de position de l’IACS et de l’OMI ? |
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Evolution |
Y a-t-il un changement potentiel concernant la rétention d'informations par certains groupes ? Comment est-ce que l’intégration des acteurs privé à l’OMI est arrivée et comment s’est-elle développée ? |
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Interactions sociales |
Les autres groupes ont-ils intérêt à une communication ouverte afin d'abaisser la position de l'ancien groupe ? L'affaiblissement de la crédibilité d'un groupe permet-il à un autre groupe d'avoir plus d'influence ? |
La collecte des données a été conduite durant cinq ans, de 2014 à 2019, en France, Angleterre, Belgique, Chine et Singapour. Nous avons réalisé un total de 23 entretiens avec huit types d’acteurs (Cf Tableau 2). Le travail de recherche ayant débuté en Asie, les acteurs approchés étaient principalement situés dans l’espace portuaire de Shanghai et de Singapour, la collecte de donnée s’est ensuite poursuivie en Europe. La méthodologie « qualitative déductive » (Gavard-Perret et al. 2018) s’appuie sur une analyse en profondeur et sur la recherche d’une représentativité théorique plutôt que statistique. Nos trois méthodes de collecte des données ont été l’entretien, le focus group, et l’analyse documentaire. Quatre types d’acteurs se sont révélés être prépondérants dans le champ : deux groupes d’acteurs issus de la chaine industrielle, les armateurs et les sociétés de classifications, et deux acteurs publics, l’État et l’OMI. Les entretiens étant semi-ouverts, ils ont permis aux répondants de s’exprimer ouvertement sur le sujet. Nous avons réalisé un focus group avec 10 professionnels de l’industrie maritime à Shanghai pour pouvoir générer autant de contenus que possible (Myers et Newman, 2007) et mettre en perspective les données issues des entretiens et des études documentaires. Un environnement propice au dialogue a été créé par le premier auteur afin de faciliter une discussion ouverte entre les participants à propos des relations de pouvoir entre les sociétés de classification et les autres acteurs. Notre corpus inclue la retranscription de toutes les entretiens, les prises de notes lors du focus group (Yin, 2003) ainsi que de nombreux documents, notamment des discours, manuels et livrets techniques, publications techniques de l’IACS, de l’OMI et des autres acteurs, ainsi que des publications académiques sur la sécurité maritime. Les trois méthodes de collecte ont permis la triangulation de données nécessaire pour rendre compte des interactions complexes entre acteurs.
L'analyse des données est basée sur l’analyse thématique de contenu. L’analyse des verbatim a fait émerger plusieurs thèmes, structurés par la revue de littérature et classés en fonction des trois dimensions : champ, habitus et capitaux. Le codage a été réalisé par le premier auteur et validé par le second auteur. Après leur présentation et leur discussion, une synthèse des principaux résultats est proposée.
Tableau 2 : Panel de répondants
Catégorie |
Position |
Genre |
Organisation |
Pays |
Code |
Société de Classification |
Représentant Permanent à l’OMI |
M |
Bureau VERITAS |
France |
SCA |
Société de Classification |
Représentant Permanent à l’OMI |
M |
Association Internationale des Sociétés de Classification |
Royaume Uni |
SCC |
Société de Classification |
Directeur du Développement |
F |
Société de classification RINA Italie– Bureau de Shanghai |
Chine |
SCB |
Armateur |
Directeur adjoint |
M |
Compagnie Long Navigation Phoenix joint-stock, Département de logistique maritime |
Chine |
SOA |
Armateur |
Directeur |
M |
China Merchants Energy Shipping Co., Ltd. |
Hong-Kong |
SOB |
État |
Président |
M |
Autorités portuaires du Jiangsu Jiangyin Port Group Co, Ltd. |
Chine |
MPAB |
État |
Vice-Président exécutif |
M |
Autorités portuaires du Jiangsu Jiangyin Port Group Co, Ltd. |
Chine |
MPAC |
État |
Pilote, Syndicat professionnel français |
M |
Autorités portuaires du Port de Toulon |
France |
MPAD |
État |
Vice-directeur de la division du transport maritime |
M |
Autorité Maritime et du Port |
Singapour |
MPAA |
État |
Directeur du port |
M |
Autorités portuaires du Port d’Anvers |
Belgique |
MPAE |
État |
Directeur des opérations |
M |
Autorités portuaires du Port d’Anvers |
Belgique |
MPAF |
État |
Conseiller politique |
F |
Ministère des transports de Belgique |
Belgique |
MPAG |
Prestataire logistique |
Vice-Président, filiale de Shanghai |
M |
Zhongyuan Engineering and Logistic Ltd. |
Chine |
PSLA |
Prestataire logistique |
Directeur Général |
M |
Shanghai Pegasus logistics Co, Ltd. |
Chine |
PSLB |
Prestataire logistique |
Directeur Général |
M |
Huyang International Logistics Co Ltd. |
Chine |
PSLC |
Prestataire logistique |
Directeur Général |
M |
Shanghai Winwell International Logistics Co. Ltd. |
Chine |
PSLD |
Prestataire logistique |
Directeur Général |
M |
Huyang International Logistics Co. Ltd. |
Chine |
PSLE |
Prestataire Logistique spécialisé |
Directeur Général |
M |
Shanghai Tongyin Petrochemical Co. Ltd. |
Chine |
PSLF |
Prestataire Logistique spécialisé |
Directeur |
M |
Shanghai Yunze Chemical Logistics Development Co. Ltd. |
Chine |
PSLG |
Chantier naval |
Directeur commercial |
M |
STX France SA |
France |
SYA |
Courtier |
Président et Directeur General |
M |
Join Ocean Shipbrokers Ltd. |
China |
BKA |
Expert |
Professeur |
M |
Aix-Marseille Université |
France |
EXPA |
Expert |
Chercheur en logistique |
F |
Aix-Marseille Université |
France |
EXPB |
Cette section vise à restituer les principaux apports de notre étude de terrain, délimiter le champ de la sécurité maritime, à en identifier les principaux acteurs et révéler leur position relative dans le champ. Nous exposons les intérêts des acteurs, soulignons la position centrale des sociétés de classification. Nous mettons en évidence la répartition inégale des ressources entre les acteurs et l’émergence d’un acteur non étatique dans la gouvernance de la sécurité maritime mondiale, les sociétés de classification, soutenus par les habitus des autres acteurs.
Au niveau supranational, le champ est centré autour de l’Organisation Maritime Internationale (OMI). La mission de l’OMI est de développer le droit international maritime en accord avec les États membres et prenant en compte les intérêts divergents des acteurs concernés. Les groupes d’intérêts les plus importants peuvent participer aux processus d’élaboration de droit s’ils bénéficient du statut de consultation à l’OMI. Cependant, pendant les deux décennies qui ont suivi sa création, le nombre d’accidents maritimes a sérieusement augmenté, ce qui permet de questionner la capacité de l’OMI à solutionner les problèmes liés à la sécurité maritime. Bien sûr, la capacité de l’OMI est limitée par la volonté ou la capacité des États à faire appliquer les conventions internationales, mais une autre raison peut être l’influence croissante des acteurs de la chaine industrielle du transport maritime. Le nombre important d’accidents maritimes semble indiquer que les acteurs industriels globalisés ne respectent pas les standards de sécurité, suggérant que leur influence dépasse celle des États.
Le premier intérêt de l'OMI est de justifier sa position de monopole en tant que seul forum pour l'élaboration des politiques et des règlementations concernant la sécurité maritime. L'étude de terrain indique qu'il existe des conflits d'intérêts entre les pays développés et en développement, qui se traduisent par un consensus sur les textes réglementaires peu clairs et impraticables. L'OMI a besoin des sociétés de classification pour pouvoir transformer ces textes en des règlementations applicables dans la pratique pour les acteurs de toute la chaine industrielle. Les textes manquant de clarté, et n’étant pas traduisibles en terme pratique par l’industrie, restent sur la table et peuvent affecter la capacité perçue de l'OMI à régir l'élaboration des politiques dans ce domaine. Cette position permet aux sociétés de classification d'assurer la continuité et développement du système de classification. En effet, certaines réglementations négociées à l’OMI impliquent la production de certificats, activité qui, dans la pratique, est réalisée par les sociétés de classification.
L’OMI s’est formalisée vis-à-vis de ses membres en se positionnant au sommet de la hiérarchie par le contrôle du processus d’adhésion, des protocoles et des comités. La puissance ne réside pas seulement dans l’étude de ceux qui sont inclus dans le processus d’élaboration des politiques, mais aussi par les pratiques qui ont comme finalité d’exclure d’autres acteurs, notamment sous la forme de privilèges et autres biais institutionnels (Barnett et Duvall, 2005). Barnett et Finnemore (2004) suggèrent que l’autorité des organisations supranationales "réside dans sa capacité à se présenter de manière neutre et impersonnelle, comme si elle n’exerçait pas le pouvoir mais servait uniquement les autres" (Barnett et Finnemore, 2004, p. 21).Cette conception ne semble pas refléter la réalité des rapports de force présent à l’OMI.
Nous pouvons rappeler que juste avant leur naufrage, l’Amoco Cadiz et le Prestige étaient tous deux classifiés par les sociétés de classification. Selon la Commission International du Transport Maritime de 2000, « les sociétés de classification ont été décrites comme inflexibles, peu réceptives, incompétentes, ineptes et, dans certains cas, corrompues. »[4] En effet, les armateurs et les chantiers navals sont tous deux les clients des sociétés de classification. Les affréteurs peuvent émettre une demande pour un transport à bas prix, et ainsi pousser l’industrie à faire fonctionner des navires de basse qualité. Mais les armateurs sont aussi les clients des sociétés d’assurance qui peuvent ne pas vouloir les menacer de ne pas assurer leur navire si leur standard de sécurité ne sont pas à la hauteur.
Les sociétés de classification sont des entreprises privées dont la mission est de certifier les aspects techniques des navires de par le monde. Douze sociétés de classification couvrent 90% du tonnage mondial et sont membres de la prestigieuse Association Internationale des Sociétés de Classification (IACS).[5] En l’absence de certificat de classification, l’armateur ne pourra plus garder son navire en opération. La production de certificat est un service commercial privé entre l’armateur et la société de classification. Ces dernières peuvent être soupçonnées de partialité et de ne pas donner le même service à tous les armateurs car les sociétés de classification sont aussi en compétition entre elles.
Les sociétés de classification sont des entreprises à but lucratif dotées d'une logique économique : leur intérêt est de devenir le principal fournisseur de certificats de sécurité pour tous les acteurs de la chaîne de transport maritime et que la plupart des interactions impliquent la présence d’un certificat de classification. Dans la pratique, les armateurs ne peuvent pas utiliser à des fins commerciales un navire qui n’est pas certifié : les sociétés de classification semblent avoir institutionnalisé leurs opérations au plus haut niveau, devenant ainsi le principal fournisseur de certificats pour les États et l’industrie. Une organisation commerciale et à but lucratif devient ainsi de plus en plus prépondérante sur le champ. L'étude de terrain indique (Cf tableau 3) qu'il existe des conflits d'intérêts entre les différents acteurs, générateur de risques pour la sécurité maritime.
Tableau 3 : Les conflits d’intérêts qui créent des risques pour la sécurité maritime
Acteur |
Intérêts |
Risque pour la sécurité maritime |
Citations représentatives |
Société de classification |
Mission statutaire : prestataire de services public ou privé |
Institutionnalisation d'un acteur privé dans gouvernance mondiale. |
« A chaque fois qu’il y a une nouvelle règlementation, il y a un marché, c’est sûr. S’il est gros ou non, ça dépend. Elles se “concentrent sur la part de marché au détriment de leur fonction » (SCA) |
IMO |
Renforcement limité des règlementations |
Inefficacité en raison du pouvoir des États du pavillon. |
« La mise en œuvre des traités de l'OMI relève bien de la souveraineté des États membres, et les États membres ont en général toujours hésité à accepter l'ingérence d'organismes extérieurs pour vérifier cette mise en œuvre. » (SCC) |
IMO |
Intérêts contradictoires en tant qu'acteur et en tant que forum |
Logique contradictoire : l’OMI a une volonté propre et n’est pas un espace neutre. |
« L’OMI souhaite que le document soit adopté, mais de nombreux États membres sont présents en contrepoids » (SCA) |
Armateurs |
Obligations réglementaires versus logique économique |
Le certificat de classification est l'exigence minimale pour que les navires bénéficient d'une assurance. |
« Conflits d'intérêts entre les sociétés de classification travaillant pour le propriétaire du navire et l'État du pavillon. » (SOA) |
États |
Défense de leurs intérêts nationaux |
Contradictions en les intérêts des pays développés et ceux des pays en développement, qui se traduit par un consensus sur des textes réglementaires peu clairs et impraticables. |
« Le traitement non plus favorable, ... les navires doivent respecter les exigences convenues de l'OMI ... Kyoto ... implique une responsabilité commune mais différenciée, ce qui signifie que si vous êtes un pays développé, vous avez des objectifs différents à atteindre. » (MPAG) |
Les États se livrent une guerre d’influence sur les normes et les régulations internationales qui aboutit dans la pratique, lors des négociations à l’OMI, à la production de textes basés sur le plus bas dénominateur commun. Ceci permet aux sociétés de classification de gagner en influence par leur capacité à interpréter ces textes de manière informée, à en évaluer la signification pratique, et rédiger des propositions de texte parfois très techniques pour le compte des organisations internationales
A la suite, nous montrons les mécanismes de pouvoir qui dotent les acteurs identifiés dans la section précédente de certaines formes d’influence dans le champ : le capital. Conformément à la littérature, quatre types de capital ont été identifiés : le capital symbolique, économique, social et informationnel.
Tous les acteurs semblent avoir une forme de capital symbolique, social, économique et informationnel, mais le degré de dotation en capital varie beaucoup selon les acteurs (Cf tableau 4). En soit, ces types de capital n'impliquent pas de risque pour la sécurité maritime. Cependant, une analyse réflexive de ce capital peut indiquer des risques endémiques qui seront synthétisés à la fin de cette section.
Étant donné que les États sont souverains sur leur territoire et qu’ils ont le pouvoir d’élaborer leur propre cadre juridique pour régir leur circonscription, ils bénéficient d’un capital symbolique important. Cependant, cette souveraineté peut servir à renforcer les conventions internationales et à appliquer des normes de sécurité élevées, ou à faire l’inverse pour attirer des armateurs étrangers. Les États membres de l'Organisation maritime internationale ont le droit de voter et de contribuer à l'élaboration des politiques, mais dans la pratique, la plupart des décisions sont prises par seulement les cinq à six États qui prennent une part active aux négociations.
Les sociétés de classification sont aujourd’hui un acteur clé entre les États du pavillon et l’industrie car « pour assurer un navire ou faire un contrat avec un affréteur, les armateurs n’ont, dans la pratique, pas d’autres alternatives que de contracter une société de classification pour obtenir et maintenir la classification » (Belson, 2002). Si cette citation confère une influence majeure aux sociétés de classification, la question que nous posons est comment est construite cette influence ? Comment les sociétés de classification sont-elles devenues le symbole de la sécurité maritime et quelle en est la conséquence pour l’état et sa capacité à défendre l’intérêt commun ?
Le capital économique des sociétés de classification est principalement dû au rôle clé des certificats de classification tout au long du cycle de vie des navires de sa construction aux diverses inspections techniques et statuaires qui rythment l’activité des armateurs. De plus, de nombreux acteurs exigent les certificats : les membres d’équipage, les affréteurs, les assureurs, etc. Même si un État ne souhaitait pas permettre aux sociétés de classification de fonctionner sur son territoire, il semble impossible de trouver une alternative.
Les sociétés de classification ont un statut paradoxal, car elles bénéficient d’une forte légitimité, mais elles sont souvent blâmées lors d’accidents maritimes. En effet, presque tous les types d’acteurs concernés par la sécurité maritime ont déjà porté plainte envers elles, notamment les armateurs, les sociétés d’assurance et les passagers, les affréteurs, les familles des membres d’équipage, et les États. Cependant, ces procès n’ont pas affecté la position dominante des sociétés de classification et l’IACS est reconnu par l’OMI comme étant leur “partenaire principal avec statut consultatif.” (Hormann, 2006).
Tableau 4 : Une dotation inégale en capital par type d’acteur
Acteur |
Intérêts |
Risque pour la sécurité maritime |
Citations représentatives |
Société de classification |
Mission statutaire : prestataire de services public ou privé |
Institutionnalisation d'un acteur privé dans gouvernance mondiale. |
« A chaque fois qu’il y a une nouvelle règlementation, il y a un marché, c’est sûr. S’il est gros ou non, ça dépend. Elles se “concentrent sur la part de marché au détriment de leur fonction » (SCA) |
IMO |
Renforcement limité des règlementations |
Inefficacité en raison du pouvoir des États du pavillon. |
« La mise en œuvre des traités de l'OMI relève bien de la souveraineté des États membres, et les États membres ont en général toujours hésité à accepter l'ingérence d'organismes extérieurs pour vérifier cette mise en œuvre. » (SCC) |
IMO |
Intérêts contradictoires en tant qu'acteur et en tant que forum |
Logique contradictoire : l’OMI a une volonté propre et n’est pas un espace neutre. |
« L’OMI souhaite que le document soit adopté, mais de nombreux États membres sont présents en contrepoids » (SCA) |
Armateurs |
Obligations réglementaires versus logique économique |
Le certificat de classification est l'exigence minimale pour que les navires bénéficient d'une assurance. |
« Conflits d'intérêts entre les sociétés de classification travaillant pour le propriétaire du navire et l'État du pavillon. » (SOA) |
États |
Défense de leurs intérêts nationaux |
Contradictions en les intérêts des pays développés et ceux des pays en développement, qui se traduit par un consensus sur des textes réglementaires peu clairs et impraticables. |
« Le traitement non plus favorable, ... les navires doivent respecter les exigences convenues de l'OMI ... Kyoto ... implique une responsabilité commune mais différenciée, ce qui signifie que si vous êtes un pays développé, vous avez des objectifs différents à atteindre. » (MPAG) |
La plupart des gouvernements leur font confiance, et il semble “extrêmement difficile de concevoir un système alternatif,” ou, plus radicalement, “il n’y a pas d’alternative aux sociétés de classification.” (Hormann, 2006).
L’IACS bénéficie d’une position de plaque tournante car elle centralise l’information et génère de nombreuses publications techniques faisant autorité dans le champ. Elle bénéficie d’un accès privilégié aux ressources nécessaires pour la formulation de règlementation, notamment les données techniques sur la flotte mondiale et un réseau social composé d’experts compétents dans les problématiques concernant les normes de la sécurité maritime. Leurs normes privées sont mises à jour très rapidement avec l’expérience empirique quotidienne des surveillants techniques. Les institutions publiques ne peuvent pas garder le rythme et sont contraintes de faire référence aux normes privées. Les sociétés de classification ont su introduire des changements indispensables à la survie du système de classification, notamment l’introduction des règles structurelles communes en 2005. Leur fort capital symbolique confère aux sociétés de classification un statut respecté parmi les acteurs de la chaîne industrielle et vis-à-vis des gouvernements. Ce statut se traduit, du point de vue des sociétés de classification, par des citations telles que : "lorsque nous parlons, nous sommes respectés pour ce que nous disons.” (SCC). Mais ce statut leur confère également une atmosphère d’immunité qui fait que, bien qu’elles soient souvent menées au tribunal, elles perdent rarement les procès à l’encontre des représentants des armateurs, des membres d’équipage ou des États. Les sociétés de classification semblent extrêmement utiles aux États membres et à l'OMI, car ils dépendent en partie de leur connaissances et compétences pour l'élaboration des politiques. Le fait que l'OMI ne possède pas un capital informationnel aussi important crée une situation de dépendance vis-à-vis des sociétés de classification. Leur capital informationnel semble être la clé de leur position dominante dans le champ. Le capital informationnel des acteurs ne semble pas poser de problème explicite à la sécurité maritime, qui semble être liée en premier lieu à la dotation d’un capital économique très fort de certains acteurs. Le tableau 5 ci-dessous illustre les problèmes de la sécurité maritime soulevé par la dotation inégale en ressources économiques de chaque acteur.
Tableau 5 : Synthèse des problèmes pour la sécurité maritime posés par le capital économique des acteurs
Acteurs |
Risque pour la sécurité maritime |
Citations représentatives |
Armateurs |
Par le biais des paiements, les armateurs peuvent acheter le certificat de classification au détriment de la sécurité. |
« Il est parfois difficile pour les sociétés de classification d’annuler la classification ou de déranger un gros client.” “les tarifs certainement oscillent si on arrive avec 50 bateaux, on voudrait quelque chose de bien, c’est une activité commerciale comme dans n’importe quelle autre type d’activité. » (SCA) |
Organisation Maritime Internationale |
Les décisions d'investissement qui auront une incidence sur l'ensemble de l'industrie dans le monde sont centralisées à l'OMI, en dépit d’importantes différences régionales. Dans la pratique, ces différences impliquent que les règlements ne peuvent pas être appliqués de façon homogène dans tous les pays. |
« Il y a deux ans, le comité de protection de l'environnement de l'OMI a suggéré que les navires de plus de 200 000 tonnes sont plus respectueux de l'environnement, de sorte que par la suite les armateurs devaient investir davantage pour adapter à ces règlementations » (PSLG) |
Sociétés de Classification |
Il est dans leur intérêt de se conformer aux besoins des armateurs. Les sociétés de classification sont imbriquées à tous les niveaux de la gouvernance de la sécurité maritime et de la chaîne industrielle, ce qui interdit au système international de concevoir un système mieux. |
Il semble « extrêmement difficile de concevoir un système alternatif » autre que le système de classification. Les sociétés de classification sont considérées par les parties prenantes comme des accusés aux poches pleines. » (SCA) |
États |
Pour des raisons économiques, le nombre de fonctionnaire est réduit. Les États manquent de fonctionnaires formés à contrôler le travail des sociétés de classification. Les États peuvent manquer à leur devoir de contrôle du sous-traitant. |
« Lorsque les fonctionnaires viennent exercer le contrôle par l'État du port, ils n'ont pas l'expérience nécessaire pour effectuer le travail de vérification technique. » (SCC) |
La souveraineté implique que les États peuvent choisir entre un contrôle strict ou laxiste des prestataires de services statutaires. Ce choix a un impact important sur l’attractivité du pays pour les armateurs étrangers. |
"Les gouvernements essayaient d'économiser de l'argent" (SCC) vs "appliquer strictement avec une obéissance absolue" (SOC) |
L'analyse du champ a révélé qu'il est composé d'acteurs aux intérêts contradictoires et que ces acteurs sont plus ou moins puissants en fonction du type et de la quantité de capital dont ils disposent. La section suivante explore les mécanismes de reproduction de la structure, l’habitus, qui contribuent à maintenir les sociétés de classification en tant qu'acteur clé dans le champ de la sécurité maritime.
L'OMI a attribué le statut d'observateur à l'IACS, contribuant ainsi à la distinction des sociétés de classification parmi les autres acteurs industriels et à renforcer leur capital symbolique. L’habitus des propriétaires de navires illustre une coopération avec les exigences des sociétés de classification à toutes les étapes du cycle de vie des navires. Les États incluent les certificats délivrés par les sociétés de classification dans la gestion de leur flotte et des navires étrangers transitant par leurs ports.
Les sociétés de classification exercent une forte influence sur les États par leur rôle d’experts mandatés auprès des délégations nationales à l’OMI. En effet, elles sont propriétaires de données, informations et conseils indispensables à l'adoption de diverses conventions de sécurité et bénéficient donc du pouvoir de partage sélectif ou de rétention de l’information. L’organisation régulière de réunions à haut niveau avec l’OMI assure l’institutionnalisation de l’IACS au niveau supranational et contribue à la légitimité des sociétés de classifications. Ainsi, l’IACS se positionne comme un collaborateur actif de l’OMI qui s’appuie sur l’IACS pour résoudre les problèmes d’interprétation des projets de réglementation. Cette collaboration est illustrée par le fait que l’IACS a défini sa mission officielle et ses valeurs en utilisant le même vocabulaire que celui de l’OMI. Les sociétés de classification utilisent diverses options de lobbying pour ajouter leurs problématiques à l’agenda officiel des réunions de l'OMI. Ce rôle leur permet de sécuriser leur accès aux négociations de nombreux débouchés commerciaux, notamment ceux imposant les certificats de classification. L'institutionnalisation des sociétés de classification ne se produit pas seulement au niveau des Etats et au niveau intergouvernemental. Les certificats de classification sont intégrés aux processus opérationnels des acteurs tout au long de la chaine industrielle.
Les sociétés de classification entretiennent des relations d’influence avec les gouvernements car elles sont leur option privilégiée pour pouvoir se conformer à leurs obligations statutaires sans investir davantage en ressources humaines. Lorsqu'on demande quels acteurs de l'industrie maritime tente de renforcer sa domination dans l'élaboration de la politique de sécurité maritime, les acteurs de la chaîne industrielle, qu'ils soient les sociétés de logistique ou armateurs, semblent s'accorder sur le fait que les sociétés de classification sont activement impliquées dans le maintien de leur influence. Du point de vue pragmatique des armateurs, les sociétés de classification sont devenues de plus en plus influentes. D’abord au niveau de la certification, car selon un responsable armateur, « vous devez écouter [les sociétés de classification], sinon vous ne pouvez pas passer la certification. » (SOA) Les sociétés de classification fournissent des services de conseils supplémentaires aux armateurs et « reçoivent de leurs différents clients de substantiels honoraires de consultation ». Mais elles sont aussi toujours plus influentes au niveau supranational où elles peuvent faire pression efficacement pour « établir des règles qui profitent à leurs propres intérêts. » (SOB). Le tableau 6 illustre le lien entre l’habitus et les mécanismes de reproduction de la structure.
Tableau 6 : Habitus et mécanismes de reproduction de la structure
Acteurs |
Habitus |
Citations représentatives |
Armateurs |
Point d’entrée : les sociétés de classification fournissent des services de conseil supplémentaires aux armateurs. |
« En plus des facturations pour services de classification, elles "[...] reçoivent de leurs différents clients de substantiels honoraires de consultation »[6] |
Organisation Maritime Internationale |
Processus politique : Le processus d’élaboration des politiques de l’OMI par consensus aboutit généralement à un accord sur la base de la norme la plus basse qui convient à tous les États membres : c’est un texte qui n’atteint pas la précision requise pour que les acteurs industriels puissent appliquer les réglementations. L’OMI s’appuie sur l’IACS pour résoudre les problèmes d’interprétation qui se posent. |
« L’IACS [...] soumet beaucoup de papiers sur la conformité réglementaire parce que nous effectuons 90% du tonnage mondial, donc nous avons beaucoup d'expérience. La plupart de nos articles sont destinés à fournir des interprétations unifiées, notamment lorsque le texte officiel de l’OMI est vague. Cela se produit parfois car c’est le seul moyen pour l’OMI de parvenir à un accord puisqu’elle écrit les textes de manière à ce que tout le monde puisse l’accepter, parce que cela satisfait leur compréhension. Mais ensuite, lorsque nous allons dans le monde pratique et que nous devons l’appliquer, alors nous constatons que la précision technique n’est pas suffisante. Le texte permet trop d’interprétation différentes, nous écrivons donc des interprétations unifiées. » (SCC) |
Sociétés de Classification |
Rétention d’information : Ils sont le principal agent de conseil technique et d’expertise de l’OMI |
« Elles possèdent des données, informations et conseils indispensables à l'adoption de diverses conventions de sécurité. » [7] |
États |
Processus commercial : les sociétés de classification sont l'option privilégiée des États pour qu'ils puissent se conformer à leurs obligations statutaires sans investir davantage en ressources humaines. |
« Les États du pavillon conservent les sociétés de classification au lieu de créer leur propre agence de régulation. » (BKA) |
L’étude du champ montre que la définition du vocabulaire officiel de la sécurité maritime constitue une capacité essentielle dans la lutte pour le pouvoir. Les acteurs du champ sont tous capables de mobiliser cette capacité à des degrés divers. Les sociétés de classification semblent se distinguer par leur capacité à créer des relations de dépendance avec les autres acteurs.
L’étude du champ révèle que le processus de décision politique implique des rapports de force entre une variété de groupes d’intérêts nationaux et transnationaux. Le capital symbolique des États ne semble pas leur permettre de participer de manière compétente à l'élaboration des politiques sur des sujets techniques au niveau supranational. Les États ne semblent pas en mesure d'assumer seuls les obligations légales croissantes imposées par les conventions internationales : un manque de capital informationnel et social réduit leur capacité à conformer à leurs obligations statutaires sans l'aide des sociétés de classification.
La nature polycentrique de la gouvernance mondiale de la sécurité maritime parait accentuée par la privatisation de cette gouvernance (Bidan et al., 2014). Celle-ci est devenue apparente à mesure que la globalisation alimentait le développement de grandes sociétés transnationales qui avaient tout intérêt à consolider leur influence et leur niveau de participation sur la scène supranationale, notamment à l’OMI. Entre-temps, l'idéologie néolibérale, qui encourage la participation du secteur privé à la gouvernance mondiale, a gagné en influence et "la force est utilisée par les institutions multilatérales pour promouvoir la [...] privatisation [...] au détriment du contrôle public" (Bull et al, 2004 ; Wirtz et Laurent, 2014).
Les États se livrent une guerre d’influence sur les normes et les régulations internationales qui aboutit dans la pratique, lors des négociations à l’OMI, à la production de textes basés sur le plus bas dénominateur commun. Ceci permet aux sociétés de classification de gagner en influence par leur capacité à interpréter ces textes de manière informée, à en évaluer la signification pratique, et rédiger des propositions de texte parfois très techniques pour le compte des organisations internationales. Ces normes, tout en étant adaptées aux acteurs de la chaine industrielle, représentent des enjeux commerciaux importants qui correspondent souvent aux attentes de leur clientèle. Le « législateur » de ces régulations n’est donc pas seulement le rédacteur officiel de la régulation, officiellement l’OMI, ou ceux qui peuvent valider le projet de loi par leur droit de vote (les États membres), mais l’ensemble des acteurs ayant des intérêts et faisant pression pour faire avancer le dossier et imposer une vision du monde social en accord avec leurs intérêts. A ce niveau, les sociétés de classification se distinguent par une action compétente et continue auprès des organisations internationales. En parallèle, les États sont représentés dans les organisations internationales par des généralistes qui ne sont pas experts dans les régulations techniques à l’ordre du jour : ils mandatent des experts issus de l’industrie pour contribuer au processus de prise de décisions. La délégation des contrôles techniques aux certificateurs des organismes privés, même si elle permet à l’état de faire des économies en période de restrictions financières, implique à terme une perte de compétences des pouvoirs publics. Dans “contre-feux”, Bourdieu (1998) avait décrit la baisse de légitimité croissante de l’état comme garant de l’intérêt public et de la responsabilité collective. Il mettait l’accent sur les mesures « visant à la liquidation des acquis du welfare state » et « le discours public avec l’éloge de l’entreprise privée » (Bourdieu 1992, p10). Sous couvert d’une croyance partagée dans le réalisme économique et en la logique néo-libérale, la main droite de l’état fait des économies budgétaires sans considérer les coûts à long terme pour la main gauche de l’état, notamment en termes de compétences et de ressources humaines. La transposition de la théorie de Bourdieu au contexte international nous permet de constater que ce qui échappe à la régulation de chaque États amplifie sa perte de pouvoir.
Dans l’étude du champ de la gouvernance mondiale de la sécurité maritime, les grandes entreprises internationales, les sociétés de classification, apparaissent comme aussi puissantes que les États, qui perdent les avantages de leur souveraineté. Cependant, au-delà de la confrontation d’une conception publique du droit et de celle de l’arbitrage privé, cette participation active du secteur privé semble produire une convergence réglementaire entre les normes professionnelles techniques rédigées par les professionnels sur la base du consensus et les règles supérieures de droit. Cette convergence réglementaire appelle à une plus grande collaboration des États et des entreprises afin de pallier aux limites du pouvoir public et du pouvoir privé. L’élaboration de standards industriels est un processus politique qui implique des acteurs aux intérêts divergents qui luttent pour le pouvoir de décision et le statut. La gouvernance de la sécurité maritime n’implique pas nécessairement des conflits ouverts mais des stratégies d’influences diverses : l’expertise, les ressources sociales, et la réputation. La gouvernance implique une communauté de pratique située au plus près des pratiques propres aux acteurs : un champ commun avec des références et procédures communes malgré leurs divergences. Cette gouvernance demande aux acteurs de développer des compétences nouvelles permettant d’étendre leurs frontières organisationnelles et de s’engager dans un espace social commun avec d’autres acteurs. Le cadre théorique de Bourdieu permet d’analyser les jeux de pouvoir (Lissillour et al., 2021).Nous avons mobilisé Bourdieu pour conceptualiser la gouvernance comme un champ. Ce cadre théorique nous permet, en fin de compte, d’affirmer que les conflits et la lutte entre acteurs peut représenter un cadre institutionnel positif à l’élaboration de réglementations d’intérêt général pour le monde économique. Nos principaux résultats indiquent que les acteurs prédominants, les sociétés de classification, tirent profit de leurs dotations en capital et des habitus des autres acteurs du champ pour maintenir leur rôle de premier plan dans la sécurité maritime mondiale, questionnant le rôle de l’état dans la gouvernance mondiale de la sécurité maritime. Les limites de la recherche concernent le panel de répondants, issu en majorité de la zone portuaire de Shanghai. Notre agenda de recherche en cours nous oriente vers le terrain de l’Europe du Nord, avec un panel composé d’acteurs similaires au terrain initial. Les perspectives de cette recherche sont riches. Nous envisageons une analyse comparée de nos deux terrains de recherche. L’approche holistique de cette recherche nous permet de formuler l’hypothèse que les cultures et les zones d’opérations ont une influence sur la gouvernance de la sécurité des navires et les relations entre les acteurs. Par ailleurs, si la théorie de la pratique permet d’aborder les enjeux logistiques avec une nouvelle perspective, les implications méthodologiques de la mobilisation de ce cadre théorique méritent une clarification. Enfin, le concept d’habitus pourrait permettre à de futures recherches de mieux comprendre les prédispositions des acteurs de la chaine logistique à agir non seulement selon les standards de sécurité, mais aussi selon d’autres standards, notamment ceux du développement durable.
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Raphael Lissillour est professeur associé dans le département Stratégie et Management à l’IPAG Business School et chercheur associé à l’École Polytechnique (i3-CRG). Il est en charge du développement de partenariats académiques à l’international et est directeur du programme de Doctorat en Business et Administration. Il soutenu sa thèse doctorale en 2017 à l’Université́ de Jilin en Chine sur la gouvernance et la sécurité́ maritime globale. Ses recherches se concentrent sur les analyses sociologiques de la supply chain et des systèmes d’information.
Dominique Bonet Fernandez est professeure HDR à l’IPAG Business School Paris et directrice de la chaire d’économie circulaire
Resicities-Erasmus.
Elle est chercheure affiliée au CRET-LOG à Aix-Marseille Université (AMU), membre élue du CA de l’Institut National de l’Économie Circulaire et membre de la Société de Géographie. Ses travaux et ses enseignements portent sur la supply chain, la smart city et les nouveaux modèles de l’Économie circulaire et collaborative. Elle est chargée d’enseignement à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre du Groupe de Travail « RSE/DD » de la Conférence des Grandes Écoles (CGE).
1Raphael Lissillour, Directeur des programmes Chine, IPAG Business School, France, r.lissillour@ipag.fr ,
: https://orcid.org/0000-0001-6952-0774
2Dominique Bonet Fernandez, Directrice chaire d’économie circulaire, IPAG, CRET-LOG, AMU, d.bonet-fernandez@ipag.fr ,
: https://orcid.org/0000-0002- 1586-929X
[1] Allianz Global Corporate & Specialty, “Safety and Shipping Review 2015” http://www.worldshipping.org/industry-issues/safety/Safety_of_Ships_Shipping-Review-2015.pdf (assessed 5 May 2016)
[2] Selon les données publiées par l’IMO dans le module “Marine Casualties and Incidents.” Nous avons écarté les accidents classés comme moins important (Less serious and Unspecified Type), et sélectionné les accidents sérieux et très sérieux. IMO, “Global Integrated Shipping Information System,” https://gisis.imo.org/Public/MCI/Search.aspx.
[3] Il est entendu que la sécurité des navires implique celle des équipes de bord, mais les aspects du droit du travail et des travailleurs ne font pas partie du champ étudié.
[4] International Commission on Shipping, “Ships, Slaves and Competition,” 2000, Article 2.27, available at : http://seafarersrights.org/wp/wp-content/uploads/2014/11/INTERNATIONAL_REPORT_SHIPS-SLAVES-AND-COMPETITION_2000_ENG.pdf (assessed 5 February 2016) (Traduction personnelle).
[5] IACS, “Introduction,” available at http://www.iacs.org.uk/default.aspx, assessed 5 February 2016.
[6] Maritime Advocate, “class Reform,” available at http://www.maritimeadvocate.com/editorial/class_reform.htm, accessed on June 1st, 2016.