2022, Vol. 36, No. 1, 60-82Logo RFGI

Revue Française de Gestion Industrielle

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https://doi.org/10.53102/2022.36. 01.917

 

Réflexions sur les usages de la blockchain pour la logistique et le Supply Chain Management : une approche prospective.

Mathieu Lesueur-Cazé      1, Laurent Bironneau      2, Gulliver Lux      3,Thierry Morvan    4 .

1Univ Rennes, CNRS, CREM – UMR 6211, Rennes, France – Talan,  mathieu.lesueur@univ-rennes1.fr         

2Univ Rennes, CNRS, CREM – UMR 6211, Rennes, France, laurent.bironneau@univ-rennes1.fr       

3Université du Québec à Montréal, lux.gulliver@uqam.ca   

4Univ Rennes, CNRS, CREM – UMR 6211, Rennes, France, thierry.morvan@univ-rennes1.fr

 

Résumé : Dans un environnement se caractérisant par des mutations numériques profondes, objets connectés, big data, plateformes, etc., la blockchain laisse entrevoir un potentiel de changements dans le pilotage des chaines logistiques. Se pose donc la question des potentialités d’une telle technologie innovante sur la logistique et plus globalement le Supply Chain Management (SCM) et ses principes de pilotage des flux et des processus. Cet article se propose donc de faire un point prospectif sur les usages de cette technologie pour la logistique et le SCM en mobilisant le modèle du SCM proposé par Mentzer et al. (2001). Plus précisément, ce modèle nous a offert la possibilité d’étudier les conséquences de la blockchain sur les six axes définis par Mentzer et al. (2001) : les flux « produits », les flux « services », la gestion de l’information, la gestion des ressources financières, la gestion des stocks et la coordination intra et inter-entreprises. Nos résultats mettent en avant (i) la nécessaire interopérabilité des blockchains en vue d’une traçabilité complète, (ii) les questions de pouvoir qu’impliquent l’interconnexion des flux de service et (iii) la modification des frontières de l’entreprise dans une vision plus large d’entreprise étendue.

Mots clés : Blockchain, Digitalisation, Supply Chain Management.

Reflections on the uses of blockchain for logistics and Supply Chain Management: a prospective approach.

 

Abstract : In an environment characterized by profound digital mutations, connected objects, big data, and platforms, the blockchain offers potential for changes in the management of logistic chains. This raises the question of the impacts of such an innovative technology on logistics and, more globally, on Supply Chain Management (SCM) and its principles of flow and process management. This article takes a prospective look at the uses of this technology for logistics and SCM by mobilizing the SCM model proposed by Mentzer et al (2001). More precisely, this model was the premise for us to study the impacts of blockchain along the six axes defined by Mentzer et al. (2001): "product" flows, "service" flows, information management, financial resources management, inventory management and intra- and inter-firm coordination. Our results highlight (i) the required interoperability of blockchains for full traceability, (ii) issues of power implied by the interconnection of service flows and (iii) the evolution of the enterprise into a broader extended enterprise.

Keywords : Blockchain, Digitalization, Supply Chain Management.


1.     INTRODUCTION

Il y a 25 ans déjà, Bowersox et Daugherty (1995) prévoyaient le rôle clé des systèmes et technologies de traitement et diffusion de l’information (IS/IT) sur l’évolution des paradigmes de la fonction logistique.  Force est de constater que ces outils ont effectivement joué un rôle important dans l'émergence du Supply Chain Management, en permettant l'intégration et l’accélération des flux d’information (interfaces clients / fournisseurs ou entre prévision, stock et planification par exemple), mais aussi en tant que solutions autorisant un pilotage global de la chaine logistique : approvisionnement, production, distribution, demande. Parmi ces IS/IT, nous pouvons évoquer avec Bayraktar et al. (2009) : (i) les IS/IT « entreprise étendue », comme les ERP (Entreprise Resources Planning), qui permettent de gérer l’ensemble des informations transactionnelles au sein d’une organisation et entre organisations, (ii) les IS/IT intégrateurs, comme les outils de « Supply Chain Planning », qui ont pour objectif de faciliter l’aide à la décision dans la chaîne logistique, (iii) les IS/IT facilitateurs, complémentaires des systèmes précédents, qui ont pour rôle de permettre et d’accélérer la diffusion et le traitement de l’information entre les partenaires.

Aujourd’hui l’émergence de nouvelles solutions vient à nouveau questionner la logistique et le Supply Chain Management dans leur fonctionnement. C’est en particulier le cas de la blockchain comme le montre un état de l’art récent (Queiroz et al., 2019 ; Wang et al., 2019 ; Duan et al., 2020 ; Benhayoun & Saikouk, 2022). La blockchain peut être définie comme « une technologie de stockage et transmissions d’informations (…) transparente, sécurisée et qui fonctionne sans organe central de contrôle » utilisant « une base de données numériques infalsifiable sur laquelle sont inscrits tous les échanges effectués entre ses utilisateurs » (Blockchain France, 2016). Sa principale promesse est de créer de la transparence (Tapscott & Tapscott, 2017 ; Imeri, 2021), domaine parmi les plus importants et les plus difficiles à améliorer pour la logistique et le Supply Chain Management (Abeyratne & Monfared, 2016). Il n'est alors pas surprenant que certains experts en logistique considèrent la blockchain comme offrant "un énorme potentiel" (O’Marah, 2017) comme une "plate-forme indispensable pour le renouveau économique" (Casey & Wong, 2017), ou encore comme une "plate-forme indispensable pour transformer la chaîne logistique et améliorer la manière dont nous produisons, commercialisons, achetons et consommons nos produits" (Dickson, 2016 ; Ahmed et al., 2019). Ces potentiels méritent d’être organisés et pensés afin de guider les futurs travaux de recherche sur le sujet. Aussi notre problématique sera la suivante : Quelles sont les potentialités de la technologie blockchain pour la logistique et plus globalement le SCM et ses principes de pilotage des flux et des processus ? Pour répondre à cette question, cet article se propose de faire un point prospectif (Scouarnec, 2008) sur les usages de cette technologie pour la logistique et le SCM. Après avoir décrit son fonctionnement (2), nous présenterons la méthodologie de notre démarche prospective (3) et nous l’appliquerons aux différentes activités de la logistique et du Supply Chain Management, ce qui nous permettra d’évoquer différentes pistes de recherche (4).

2.     LA TECHNOLOGIE BLOCKCHAIN

2.1   Caractéristiques et principes de fonctionnement

La blockchain repose avant tout sur la technologie des registres distribués(DLT, Distributed Ledgers Technology). Un registre distribué est un journal de transactions enregistré et synchronisé sur un réseau d'ordinateurs. Ce registre est diffusé à travers un réseau de pairs à pairs sur lequel est venue se greffer un algorithme de consensus afin de synchroniser et authentifier l’état du registre.  Celui-ci se présente sous la forme d’une chaîne de blocs plus communément appelée « blockchain ». La blockchain n’est pas la seule forme de registre distribué, mais c’est la forme la plus répandue parmi les cryptomonnaies, dont découle les applications industrielles abordées dans cet article. La structure distribuée de la blockchain lui confère une sécurité supplémentaire par rapport aux systèmes d’architectures classiques « Client – Serveur » (Gatti et al., 2004).

Les blocs de la chaîne sont ordonnés suivant des numéros de hachage. La fonction de hachage, de l'anglais hash function (hash : de l’anglais, recouper et mélanger), sert à calculer une empreinte numérique unique à partir d'une donnée fournie en entrée.  Chaque bloc portant le numéro de hash du précédent bloc, il est impossible d’intervertir des blocs. Le schéma suivant proposé par Desplebin et al. (2021) résume le fonctionnement de ce réseau (cf. figure 1).

 

La blockchain s’appuie également sur un algorithme de consensus, fonctionnalité qui confère à la blockchain un rôle particulier d’attribution de confiance (la littérature évoque souvent le terme de « machine à faire confiance » ou « trust machine » pour décrire la blockchain  (cf. The Economist 31/10/2015). L’objectif du mécanisme de consensus est d’obtenir un accord sur l’état historique des transactions, sans entité centralisée.


L’ajout des smart contract (contrats « intelligents » ou smart contrats) a permis l’application d’une logique métier complexe à la blockchain. Un contrat intelligent est un ensemble de code et de données (parfois appelé fonctions et état) qui est déployé dans une blockchain permettant d’effectuer des calculs, stocker des informations et envoyer automatiquement des fonds à d'autres comptes (Yaga et al., 2018).

Les smart contrats font entrer les blockchains dans le panel des outils de gestion industriels avec une particularité supplémentaire : celle de l’automatisation des calculs de contrôle. Ils peuvent effectivement, et par exemple, déclencher des processus de type commande de pièces qui viennent d’être vendues, mais aussi attester de la bonne conformité des pièces produites (Yaga et al., 2018). Ils permettent ainsi l’application d’une logique métier complexe à la blockchain .

Soulignons enfin, qu’au-delà des aspects techniques il est possible de distinguer deux types de blockchain : les blockchain publiques ou autorisées (public ou permissionless) et les blockchain privées (private ou permissioned). Dans une blockchain privée, seuls certains participants peuvent rejoindre le réseau peer-to-peer (Dumas, 2018). Un groupe restreint d'acteurs a le pouvoir d'accéder, de vérifier et d'ajouter des transactions au registre, et il est possible de limiter l’accès à certaines informations à quelques participants (Lewis et al., 2017). Les industriels se tournant vers des blockchain privées, nous n’évoquerons désormais que ces dernières.

 

2.2   L’évolution de la blockchain et principaux enjeux.

Depuis la création de la première blockchain en 2008 avec le Bitcoin, plusieurs évolutions en ont modifié l’usage. Il est possible de caractériser trois grandes étapes : La blockchain 1.0 pour la monnaie numérique, la blockchain 2.0 pour la finance numérique et le Supply Chain Management et la blockchain 3.0 pour la société numérique.

La blockchain 1.0 rassemble l’ensemble des cryptomonnaies. Ces blockchain constituent les premiers actifs numériques apparus dans la suite logique du célèbre Bitcoin.

Par la suite en 2014, l’ajout de smart contrats a permis d’utiliser la blockchain pour des applications non financières notamment dans le Supply Chain. Dès lors certaines blockchain s’éloignent complétement des Crypto-monnaies et s’adressent directement aux industriels. Cet ensemble applicatif utilisant des smart contrats constitue la blockchain de deuxième génération appelée : blockchain 2.0.

La blockchain 3.0 dépasse le cadre de l’entreprise et même du secteur d’appartenance. Le terme de DAO (Decentralized Autonomous Organizations) est alors utilisé. Pour plus de clarté, nous parlerons d’organisation inter-entreprises. La blockchain 3.0 introduit le concept d'applications et d'informatique décentralisés (Della Chiesa et al., 2018). Cette offre nécessite le partage ou l'externalisation partielle d'activités qui, autrement, seraient prises en charge par l'organisme de coordination. Elle modifie le type plus traditionnel de structure de transaction et nécessite généralement des modifications de gouvernance puisque les services fournis et les fonctions de soutien sous-jacentes ne relèvent pas du contrôle direct de l'organisme central. Le changement des limites organisationnelles permet d'adapter différents modes opératoires afin de générer de la valeur de manière privilégiée, notamment dans le cas du lien entre le flux physique et le flux financier. De manière générale, il est admis d’utiliser la terminologie de blockchain 3.0 dès lors qu’une Application Décentralisée (DApp) sert à échanger de la valeur entre plusieurs entreprises.

L’évolution de la Blockchain peut se résumer de la façon suivante (cf. figure 2) :

2.3 Les limites actuelles de la blockchain 

Avant d’envisager les usages possibles de la blockchain en logistique et Supply Chain Management, il nous faut préciser que celle-ci n’est pas exempte de limites. Elles sont à la fois technologiques, économiques, juridiques et relatives à la gouvernance.  

Technologiques, tout d’abord. Il n’existe pas à ce jour de protocole universel de blockchain (Roubini, 2018) et les registres distribués se développent un peu partout dans le monde sur de nombreuses applications sans qu’un protocole commun ne puisse voir le jour. La maturité du smart contrat est par ailleurs elle-même remise en cause ; il existe à l’heure actuelle certaines failles dans l’application des smart contrats qui ont eu de fortes répercussions dans la communauté des développeurs blockchain (Guégan, 2017).  

Economiques, ensuite : les cryptomonnaies ne sont toujours pas stables (Caginalp & Caginalp, 2018), le bitcoin en est un exemple retentissant, il est donc difficile d’entrevoir un financement de la Supply Chain par la blockchain dans cet optique.  

Juridiques, également : les smart contrats po--sent problème notamment (Sklaroff, 2017) : une marque a-t-elle le droit d’imposer à ses fournisseurs un programme informatique de contrôle des conditions de travail ou de provenance des matières premières ? Et à qui appartiendrait le smart contrat ainsi créé ?

En termes de gouvernance, enfin certaines semblent créer une entité de gouvernance à part entière en contrôlant les accès au droit de vote de chacun pour l’accès d’un nouveau bloc (cf. fonctionnement de l’algorithme Delegated Proof of Stake - Preuve d’Enjeu Déléguée).

Certaines de ces limites nous semblent toutefois pouvoir être dépassées. Il est probable notamment que les problèmes freinant le développement de la blockchain seront résolus dans quelques années. D’autres seront peut-être plus difficiles à lever à horizon court, notamment les difficultés liées à la gouvernance, actuellement point d’achoppement principal à l’adoption de la blockchain ; en effet, certains problèmes dans la constitution de l’écosystème demeureront prégnants, car il s’agit de la révolution d’un système plus que d’un changement de technologie (Christensen, 2016).

Au-delà de ces limites, ces trois évolutions sont autant d’éléments de réflexion pour la prospective des métiers et du secteur de la logistique et du Supply Chain Management. Après une présentation de la démarche prospective, nous développons notre réflexion sur la blockchain

3.     METHODOLOGIE : UNE REFLEXION PROSPECTIVE

Notre méthodologie s’appuie sur une « activité prospective » (Bootz, 2005) visant à « stimuler l’intuition des acteurs et à développer une compréhension nouvelle du monde » (Mérindol et al., 2009). Plus particulièrement notre réflexion suit la méthodologie de la prospective métier développée par (Boyer & Scouarnec, 2002 ; 2005) qui vise notamment à l’identification de scénarii possibles  (Dumoutier et al., 2022) sur l’évolution des métiers, mais aussi plus généralement sur les futurs les plus probables que les entreprises auront à affronter (Kin et al., 2018a ; Bentalha et al. 2020) : « Il s’agit alors d’imaginer les conséquences de ces tendances sur les situations réelles du travail, l’organisation du travail et les métiers » (Mérindol et al., 2009). Cette approche a notamment été utilisée pour étudier les effets de la mise en œuvre de la blockchain en comptabilité et audit (Desplebin et al., 2018), en SCM (Kin et al., 2018a), et plus globalement pour analyser l’évolution des services (Bentalha et al. 2020). Scouarnec (2008), définit la prospective comme « l’élaboration d’une réflexion sur les avenirs possibles et reposant sur une méthodologie appropriée (…). La prospective est de l’ordre de l’anticipation, même imparfaite, des changements, des discontinuités, des éventualités. (…)». (Desplebin et al., 2018), citant les travaux de (Hatem et Préel, 1995) rappellent qu’il existe cinq caractéristiques de la prospective : globale, longue, rationnelle, d'appropriation et c'est une vision pour l'action ( tableau 1).

Notre démarche qui tente d’appréhender les effets de la blockchain dans le champ de la logistique et du Supply Chain Management (SCM) répond à l’ensemble de ces caractéristiques. Ainsi, elle est globale, car elle tente d’identifier les impacts « entreprise et processus » au sein de la logistique et du SCM. Notre réflexion est également longue, car elle vise à anticiper des changements qui sont aujourd’hui pour le mieux en phase de lancement et pour la plupart au stade du projet.

Notre démarche est rationnelle, car elle s’appuie sur les dires d’experts de la blockchain et de la logistique rencontrés par les auteurs, la réflexion d’auteurs experts (deux sont des spécialistes de la logistique et deux des blockchain), mais aussi d’observations de pratiques concrètes de terrain (l’un des auteurs est en poste dans une organisation à la pointe de la réflexion sur le sujet en logistique et SCM). Comme le soulignent (Desplebin et al., 2018), « il s’agit d’adopter une forme de bon sens », facilité par la connaissance de la profession étudiée. Enfin, l’implication d’un des auteurs dans une entreprise du secteur en tant qu’expert blockchain permet de garantir l’appropriation et la vision pour l’action de notre réflexion (prévoir sans prédire) en restant au plus près du terrain.


La démarche prospective s’appuie sur une multitude de sources : productions scientifiques, productions « grises », avis d’experts notamment. Dans cette étude, de façon très pratique, notre démarche prospective s’appuie, au-delà de la réflexion d’auteurs-experts, sur des rencontres et échanges avec des experts de la  blockchain, notamment lors d’entretiens et de travaux menés au sein d’une Entreprise de Services Numériques (annexe 1), mais aussi lors de conférences professionnelles de référence (Salon Bpifrance Inno Génération 2018, West Data Festival 2019, VivaTech 2019, Forum de la blockchain 2018, 2019, Rencontres Dumont d’Urville 2019, « les « ROIs » de la blockchain 2019 ») et de plusieurs Hackathons (Africa Blockchain Summit 2018, Hackathon Blockchain and Shop 2018 ). Enfin, elle se base sur la mobilisation de productions académiques et professionnelles sur le sujet. Les éléments discutés dans la suite de cet article sont le fruit de ces rencontres et réflexions. L’ensemble des entretiens, séances de travail et références théoriques a fait l’objet d’un codage selon les principes du modèle d'Eisenhardt (Eisenhardt, 1989). L'analyse menée s'appuie sur les étapes suivantes.

Dans un premier temps les données empiriques (discussions avec des experts de la blockchain, participation à des colloques) ont été classées en utilisant le modèle proposé par Mentzer et al., 2001, Figure 3. A la différence d’une approche à la Gioia et al. (2013), nous sommes donc partis d’un modèle théorique pour organiser nos données et de ce fait notre réflexion prospective. Ce modèle a été retenu car, comme le précisent Estampe et Babai (2016), il peut servir de cadre de référence pour l’ensemble des réflexions à mener sur le SCM et nous semble donc pertinent par rapport à notre objet. Ce modèle représente la finalité du SCM (créer de la valeur pour le client, conquérir un avantage concurrentiel, réduire les coûts, etc.), les différents flux qui  circulent entre les  acteurs de la chaîne étendue (produits, services, etc.), les fonctions impliquées dans le processus de coordination et de gestion des flux, les conditions d’une coordination inter-fonctionnelle (confiance, engagement, risques, dépendance et fonctionnement) et les frontières  des différents systèmes à travers lesquels s’articule la Supply Chain.


Dans un second temps les productions académiques et professionnelles ont été codées. Cette approche a permis de décrire à la fois les processus de création de ces différentes dimensions et les conditions de leur mise en œuvre. Notre approche est donc fondée sur une logique hypothético-déductive basée sur le modèle SCM (Figure 4). La figure 4 se lit donc de gauche à droite en partant du modèle SCM comme cadre structurant aux littératures scientifiques et grises et au dire des experts. Cette approche méthodologique nous a permis de nourrir six axes de réflexion que nous développons dans les parties suivantes.


Figure 4: Représentation schématique de la méthodologie de recherche

4.     REFLEXIONS SUR LES USAGES DE LA TECHNOLOGIE BLOCKCHAIN LOGISTIQUE POUR LA LOGISTIQUE ET LE SCM

Dans un environnement se caractérisant par des mutations numériques profondes, objets connectés, big data, plateformes, jumeaux numériques, etc. (Korpela et al., 2017 ; Straube & Junge, 2017 ; Porter & Heppelmann, 2018 ; Dumoutier et al., 2022), la blockchain laisse entrevoir un potentiel de changements profonds dans le pilotage des chaines logistiques (Kshetri, 2018 ; Perboli et al., 2018). Plus précisément, la blockchain, comme registre numérique distribué décentralisant le partage de données, assurant le stockage et la transmission d’informations de manière sécurisée sans autorité de contrôle, permettrait notamment de sécuriser les échanges tout au long de la chaîne logistique, de mieux coordonner des acteurs, d’améliorer la traçabilité, voire de diminuer le nombre d’intermédiaires au sein de celle-ci (Hug, 2017 ; Kin et al., 2018b). Se pose donc la question des potentialités d’une telle technologie innovante sur la logistique et plus globalement le SCM et ses principes de pilotage des flux et des processus (Fabbe-costes & Jahre, 2008 ; Kin et al., 2018b).

Dans les sections qui suivent, nous proposons d’analyser les conséquences de la blockchain sur les flux logistiques (4.1), pour ensuite étudier son impact sur la coordination entre les acteurs et les pratiques collaboratives (4.2).

4.1   Applications possibles de la blockchain aux flux logistiques

Nous discutons dans cette section des applications possibles de la blockchain selon les différentes catégories de flux du schéma de la logistique de Mentzer et al. (2001) : Produits, services, Informations, Ressources Financières, Demandes et Prévisions.

4.1.1       Flux Produits : Traçabilité, origine et flux

Le terme de traçabilité fait référence à la fois au traçage et au suivi des produits. Nous en distinguerons les trois composants clés : le suivi amont des produits, leur suivi aval et les informations sur leur historique associées à leur mouvement dans la chaîne d'approvisionnement (Viruéga, 2005 ; Fabbe-Costes, 2005 ; Bosona & Gebresenbet, 2013 ; Lazzeri & Fabbe-Costes, 2014).

Ces trois types d’informations sont intrinsèquement liées dans une blockchain. Ainsi, l’utilisation de la blockchain comme support de traçabilité apparait comme un moyen efficace et sûr de conserver l’information, de la diffuser et de l’authentifier (Apte & Petrovsky, 2016 ; Saucède & Moisa, 2017 ; Galvez et al., 2018).

S’agissant de la traçabilité amont, des applications dans le domaine alimentaire servent à démontrer la provenance d’un produit (Lee & Pilkington, 2017 ; Kamble et al., 2020). Par ailleurs, plusieurs labels qualité s’appuient sur des renseignements fournis par une blockchain, pour affirmer la qualité liée à l’origine du produit (Marfia & Esposti, 2017 ; ElMessiry & ElMessiry, 2018), ou prouver qu’il est issu d’une filière « durable » (Beck et al., 2017 ; Kouhizadeh & Sarkis, 2018). 

Concernant la traçabilité aval, de nombreux exemples montrent la performance de la blockchain pour le traitement des retours des produits, comme l’illustre le cas des mangues Walmart, ou pour assurer la surveillance de la chaîne logistique, du fournisseur au consommateur (Toyoda et al., 2017 ; Alawi et al., 2022). C’est notamment le cas dans le domaine de l’ultra-frais où il s’agit de vérifier la Date Limite de Consommation (DLC) restante d’un produit alimentaire à réception dans les centres de distribution.

Enfin, les algorithmes de hachage contenus dans la blockchain pourraient permettre une traçabilité plus fine que celle utilisée jusqu’à présent, sa généralisation pouvant autoriser une couverture intégrale de l’ensemble de la chaîne logistique.

En définitive, la blockchain a pour ambition de suivre la traçabilité d’un produit tout au long de la chaîne logistique tout en répondant à une demande de transparence accrue exigée par le consommateur. Des questions mériteraient cependant d’être approfondies dans des recherches futures : la blockchain pourrait-elle remettre en cause les modes de gouvernance des organisations au sein des Supply Chain avec un consommateur mieux informé ?

Comment la blockchain pourrait-elle amener une forme de traçabilité nouvelle ?

4.1.2       Flux Services : Accréditation des données et Nouveaux systèmes de recommandations

Si le service au client est fourni par l’ensemble des fonctions de l’entreprise, la logistique est susceptible de proposer un ensemble de services (disponibilité, délais, fiabilité des délais, etc.) permettant de différencier un produit et d’apporter de la valeur à un client consommant de plus en plus de services comme le souligne le développement du e-commerce (Baranger et al., 2007 ; Nguyen & Chanut, 2018). Ainsi, l’information apportée par la logistique joue un rôle fondamental dans la satisfaction du client notamment et plus particulièrement en termes de gestion des stocks, de gestion des garanties et des systèmes de recommandations.

En ce qui concerne la gestion des stocks, nous pensons notamment au système de Vendor Managed Inventory (VMI) mis en place entre industriels et fournisseurs pour optimiser leur fonctionnement. Ce système implique notamment un partage d’informations sur les ventes et les quantités restantes en stock. Dans un contexte de blockchain privées, ces données peuvent être accréditées par l’ensemble des acteurs d’un consortium et par le processus des smart contrats, ce qui nous semble pouvoir permettre un fonctionnement moins coûteux et plus sûr que l’installation d’une chaîne d’ERP. Pour certifier les données d’entrées, ce qui constitue un problème important aujourd’hui, ces blockchain privées pourraient être associées à d’autres technologies comme l’Internet des objets dans les systèmes automatisés ou le contrôle de cohérence grâce à l’intelligence artificielle.

S’agissant des garanties, la blockchain peut apporter des solutions pour faciliter les remboursements. Cela existe déjà dans le cas de remboursement des billets d’avion lors de leur retard (Cuny, 2017), mais pourrait se voir généraliser à de nombreuses situations en raison d’un traitement moins coûteux et plus fiable pour les entreprises (Li et al., 2019). Solidement encadrées par des smart contrats, ces opérations de remboursement, mais aussi pourquoi pas d’offres promotionnelles, seraient directement crédités sur le compte client et pourraient devenir la norme, facilitant une meilleure relation commerciale.

En ce qui concerne les systèmes de recommandations, Frey et al., 2016, montrent qu’il serait possible de suivre l’identité et la réputation de clients grâce à des données certifiées issues de la blockchain, comme c’est le cas de l’application Uziit, logiciel d’avis et de recommandations stockés dans une blockchain. Dans ce cadre, nous avons de fortes raisons de penser que les plateformes de notation en tout genre, dans l’hôtellerie et la restauration par exemple, se transformeront de manière à prendre en compte uniquement des évaluations attribuées par la blockchain après vérification de la preuve d’une facture (numéro de hash) de l’établissement. Dans la même logique, il serait possible d’utiliser des contrats intelligents pour négocier automatiquement les meilleurs prix en temps réel en tenant compte de la réputation du vendeur (Bahga & Madisetti, 2017).

Il découle de ces développement une interrogation à laquelle devraient s’intéresser les travaux futurs : quels pourraient-être les modèles d’affaire à envisager et quel serait le rôle des SC au sein de ces modèles ?

4.1.3       Flux d’informations : gestion de l’information.

De nos jours, des volumes très importants d’information doivent être récoltés, traités, stockés et communiqués, afin de déclencher, de piloter et contrôler les opérations physiques élémentaires permettant de satisfaire toute demande émise par un client. Par conséquent, les Technologies de l’Information et de la Communication s’arrogent une place majeure dans la maitrise de ces flux physiques. C’est particulièrement vrai dans le cas de la blockchain (Kshetri, 2018 ; Perboli et al., 2018). En effet, les données présentes dans une blockchain ne sont pas uniquement « requêtables », comme celles présentent dans une base données, mais elles peuvent aussi déclencher des processus via les smart contrats (O’Leary, 2017). Cela représente un certain avantage dans le traitement de l’information car, d’une part, on ne s’appuie que sur des données accréditées par le système et que, d’autre part, ces dernières déclenchent automatiquement des opérations par le biais des smart contrats (De Giovanni, 2020).

 En conséquence, nous pensons que les entreprises devront modifier leurs ERP, de manière à rendre l’ensemble du couplage blockchain – ERP fonctionnel et bénéficier ainsi d’un certain degré d’automatisation. Comme l’a noté (Mearian, 2017), citant un représentant d’EY, cela semble être un défi moins grand qu’il n’y paraît puisque de nombreuses entreprises utilisent déjà des outils semblables « pour l’EDI, XML ou pour l’analyse d’intégration des données ». Des modèles existent désormais permettant une traduction et une intégration de différents messages EDI ou XML dans une blockchain (Li, et al., 2017 ; Fiaidhi et al., 2018). Comme le souligne O’Leary (2017), une alternative à l’adoption de modèles types EDI pour récupérer les données de la blockchain consiste à modifier l’ERP. La figure 5 ci-dessous représente l’intégration d’une blockchain à travers les différentes couches d’un ERP : commande, bon de livraison, facturation, paiement ; chaque étape est jalonnée par une authentification des actes dans une blockchain grâce au principe des signatures cryptographiques. L’ensemble des données de la blockchain représentant une couche sous-jacente à la base données ERP. Ainsi, ces progiciels de gestion évolueraient, passant d’une base de données centralisée et relationnelle, à une base de données, automatisée et transactionnelle dans une perspective plus large de gestion du big data (Karamchandani et al., 2022). De plus, le paiement automatisé via un token (actif numérique émis et échangeable sur une blockchain) au sein d’un réseau inter-organisationnel permettrait d’accélérer les paiements de façon sécurisé et contribuerait ainsi à une nette diminution des BFR de l’ensemble des partenaires de la chaîne logistique.

Au final, les questions de recherche suivantes mériteraient selon nous d’être envisagées dans le futur: comment intégrer l’outil blockchain au sein des systèmes d’information logistiques pour apporter de la valeur au produit ?

Quels seraient les effets de la technologie blockchain sur la normalisation des informations logistiques ?

4.1.4       Ressources financières : Mécanismes plus solides de gestion des contrats et améliorations des BFR

Se pose ici la question de la contribution de la logistique à l’obtention des résultats financiers de l’entreprise. Ainsi, l’identification de processus logistiques à externaliser et leur pilotage par un tiers de confiance, le Prestataire de Services Logistiques (PSL), afin d’atteindre une meilleure efficience de l’organisation tout en améliorant la satisfaction des clients, nécessite la mise en place de mécanismes contractuels spécifiques, afin d’éviter l’apparition de dysfonctionnements dégradant le service attendu par le client (Rouquet & Vega, 2015). Plus précisément, les relations construites par une entreprise avec les différents acteurs composant sa chaine logistique se matérialisent par un contrat qui nécessite parfois un engagement des parties dans une relation durable (Mevel et al., 2015). C’est particulièrement vrai   dans le cas des relations initiées avec le PSL. En effet, le PSL est devenu un acteur incontournable dans l’élaboration, l’organisation et le suivi au quotidien des chaines logistiques ; un PSL dénommé 4PL par sa capacité à accompagner la stratégie des acteurs de la chaine logistique, par ses compétences en termes de systèmes d’information et par son expertise à initier et à construire un réseau de sous-traitants logistiques pour une demande spécifique (Fabbe-Costes et al., 2008 ; Wagner & Sutter, 2012 ; Fulconis & Roveillo, 2017).Cependant, la gestion de tels acteurs devenus incontournables est souvent jugée difficile par les clients car, lors de l’établissement du contrat et lors de sa réalisation, les deux protagonistes ne possèdent pas la même information. Dès lors, l’asymétrie d’information occupe un rôle majeur dans la construction de la relation. Une relation susceptible d’être empreinte de méfiance au regard des informations maitrisées par chacun des deux contractants. (Roveillo et al., 2012; Fulconis & Roveillo, 2017).

Là encore, la blockchain nous semble pouvoir apporter des solutions. Ainsi, Rico Polim et al. (2017), montrent qu’il est possible d’obtenir un bon niveau de transparence grâce à la blockchain, dans l’attribution des marchés ou dans la négociation des contrats d’approvisionnement.  Dans un tel système “retailers  post their service needs and prove their intent to enter into an agreement by showing fund source(s) to procure services from 3PL providers; who then respond to retailers’ enquiry (pricing, performance measure, etc.) in a decentralized and transparent manner. Other retailers and 3PL providers are aware that a transaction has been done, promoting rational pricing for the network. We eliminate the broker (administration) fee by hosting such a network. Without having to meet physically, 3PLs have secured orders without the assistance of a 4PL.” (Polim et al., 2017) De ce fait il est légitime de se poser la question de l’avenir des 4PL dans un processus d’adoption très large de la blockchain par les 3PL car une telle technologie permet une rencontre facilitée entre les acteurs, qu’ils soient chargeurs, prestataires logistiques ou transporteurs et elle réduit ainsi les questions de confiance, ou les déplacent vers la technologie support qui est utilisée.

Ensuite, les relations entre la performance opérationnelle de la Supply Chain et les enjeux financiers de celle-ci impliquent des réflexions sur le financement des stocks, des commandes, etc. Ainsi, dans le but de réduire leurs cycles de trésorerie les entreprises ont recours à des produits bancaires pour financer leurs fonds de roulement. Or ces produits sont chers, ils exigent beaucoup de documents administratifs et certaines garanties quant à l’origine des fonds dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent. Dans un tel contexte, la blockchain améliore la connaissance client (KYC, Know Your Customer), diminue le coût de traitement grâce à un certain niveau d’automatisation associé aux algorithmes de consensus, et améliore la transparence des opérations financières (Cermeño, 2016 ; Casey, et al., 2018 ; Fosso Wamba & Guthrie, 2020 ; Ke & Tang, 2022). La titrisation des opérations financières liées à la Supply Chain dans le but d’optimiser le Working Capital est un domaine dans lequel l’application de la blockchain pourrait avoir de grandes répercussions (Hofmann et al., 2018). A terme la blockchain pourrait permettre l’apparition de plateformes de titrisation d’un nouveau genre, plateformes qui faciliteront les paiements et les authentifications documentaires.

La question principale à étudier concernant l’impact de la blockchain sur les ressources financières serait la suivante : comment la blockchain pourrait-elle assurer le lien entre opérations logistiques et opérations financières ?

4.1.5       Demandes et prévisions : Amélioration de la gestion de stocks et de la performance logistique

Le pilotage des chaines logistiques ne peut s’envisager sans anticipation ; un pilotage dont le défi est d’être capable de satisfaire une demande de plus en plus diversifiée, dans des délais courts et avec des stocks minimums. Réduire les stocks contribue donc souvent à une amélioration des résultats pour l’entreprise (Jones & Womack, 2012 ; Chanegrih & Creusier, 2015).

La blockchain nous semble pouvoir être utilisée à cette fin, comme le présentent Madhwal et Panfilov, (2017), dans une démonstration théorique appliquée à la construction d’avions de ligne.


Ces auteurs ont par ailleurs démontré l’efficacité de la blockchain dans la gestion des pièces de rechange pour l’aviation. Assembly ledger will keep the record of all the new products generated at each level, which would be integrated with transaction ledger that will show the transacting details among the individual members. This whole network could also works as inventory registry for individual companies along with details of the products, which will show the production details. » (Madhwal & Panfilov, 2017). Même si leurs travaux ne spécifient pas explicitement le partage des prévisions de réapprovisionnement, il n’y a en fait qu’un pas entre la gestion de stock « partagée » (Vendor Managed Inventory) et le partage de prévision de réapprovisionnement.

Ces systèmes reposent actuellement sur l’acquisition de signaux en provenance de nombreux capteurs, et rend l’ensemble assez couteux. Toutefois, tout cela est à mettre en rapport avec la valeur des marchandises dont on désire connaître le stock (pour cette raison les produits du luxe sont en priorité visés par cette application de la blockchain).

Le pilotage des chaines logistiques, s’appuyant sur les technologies blockchain, implique une multitude d’acteurs ; plusieurs questions émergent. Quels sont les effets de la blockchain sur l’apprentissage inter organisationnel ? Quelle est la performance d’une blockchain au sein de consortium logistiques ?

Comment construire des espaces de confiance dont l’objectif est de partager de l’information ?

En conclusion et sur la base de ces différentes réflexions prospectives, nous proposons la modélisation (cf. figure 6) pour décrire les flux de l’entreprise, selon l’approche proposée par Mentzer et al. (2001).

4.2   Application de la blockchain et amélioration de la coordination intra et inter-entreprises

Considérons maintenant l’ensemble d’une chaîne logistique et les problématiques inter et intra organisationnelles associées. En effet, le modèle de Mentzer et al. souligne le fait que l’un des principes fondateurs du SCM est que la performance de la chaine logistique implique une coordination, « une gestion des interfaces » de l’ensemble des acteurs impliqués dans le pilotage des flux. Par conséquent, si la gestion de l’ensemble des informations, de leur circulation, de leur stockage et de leur traitement est la clé de la Supply Chain, un ensemble de principes doivent être adoptés afin de favoriser la gestion des interfaces (décloisonnement inter-fonctionnel en interne et formes de coopération, mise en réseau en externe) : intégration des comportements, partage mutuel des informations, partage mutuel des informations, coopération, etc. La blockchain pourrait constituer une source de données permettant de faciliter la mise en pratique des principales méthodes collaboratives inter-entreprises que sont la GPA (Gestion Partagée des Approvisionnements) et le CPFR (Collaborative Planning, Forecasting and Replenishment). Suivant Lavastre et Ageron (2007) : « La flexibilité des outils inter-organisationnels se retrouve également au niveau de leur facilité d'opérationnalisation : une simple extraction d'une base de données de l'entreprise, envoyée par courrier électronique à son partenaire, peut constituer, selon les informations communiquées, de la VMI ou du CPFR. La technique de doit pas constituer un frein à cet échange d'informations, mais le déclenchement des actions doit provenir d'un choix délibéré des acteurs et les organisations. » La blockchain peut devenir un moyen de structuration de ces échanges et constituer un modèle d’entreprise étendue.

 La blockchain étant un registre distribué, ses données sont le résultat de transactions certifiées entre les acteurs de la même chaîne logistique. La blockchain serait de ce point de vue, la solution permettant une collaboration complète et totale entre les acteurs, comme le décrit la figure 7.


Certains systèmes blockchain font en sorte, par l’adaptation de l’algorithme, que l’ensemble de la structure permette que chaque membre de la plateforme ait intérêt à reconduire les contrats initiés.

En rendant impossible la tricherie des participants, on empêche toute tentative opportuniste, au sein d’un espace de confiance relatif, dénommé consortium, dont l’intérêt finalement pourrait être une diminution des prix par la diminution des coûts de transaction. Selon certains auteurs, ce nouveau mode de relation constitue plus qu’un partage de données ; la blockchain serait à ce titre une nouvelle technologie institutionnelle (Davidson, De Filippi, & Potts, 2018).


 


La blockchain constitue ainsi un nouvel espace d’échange au sein duquel les entreprises sont interconnectées, ce que l’on peut représenter par le schéma ci-dessous (cf. figure 8) en adaptant celui de Mentzer et al. (2001).

Ce dernier point concernant les conséquences de la blockchain sur la coordination et la collaboration au sein des chaines logistiques devrait inciter la recherche à apporter des réponses aux questions suivantes : quels sont les modes de gouvernance à envisager dans un environnement blockchain ? Comment faire émerger une typologie des blockchain permettant d’éclairer les enjeux de gouvernance au sein des chaînes logistiques ?

5.     CONCLUSION ET OUVERTURE

La réflexion prospective entamée ici nous permet de mettre en exergue plusieurs apports de la blockchain à la fonction logistique et au SCM tant au niveau des processus intra-organisationnels, qu’au niveau des processus inter-organisationnels. La blockchain peut impacter les « flux produits » notamment par l’apport d’une traçabilité plus fine permise par les algorithmes de hachage. Elle peut également impacter les « flux services » en permettant une accréditation des données qui, à terme, donnera naissance à de nouveaux systèmes de recommandation. Les « flux d’informations » peuvent également être impactés par l’arrivée de la blockchain. En effet l’automatisation apportée par les smart contrats confère aux données des propriétés dynamiques, dans la mesure où elles sont devenues capables de déclencher des processus. De plus, les mécanismes de gestion des contrats à travers la blockchain sont plus solides, il est en effet plus facile d’obtenir un bon niveau de transparence grâce à la bloAckchain dans l’attribution des marchés ou dans la négociation des contrats d’approvisionnement. De façon plus évidente, la blockchain doit permettre l’amélioration de la gestion des stocks et plus généralement l’amélioration de la performance logistique. Finalement, la blockchain est un moyen de structuration des échanges qui permet la constitution d’entreprise étendue. La blockchain, de ce point de vue, nécessite et encourage une collaboration complète et totale entre les acteurs. Cette réflexion prospective nous amène à repenser le schéma de Mentzer et al. (cf. figure 9), à l’aune d’un développement important de cette technologie.

Ainsi, à l’égard de ce que fut Internet pour la fin du XXème siècle, la blockchain semble caractériser une innovation majeure du 21ème Siècle. Le recours aux smart contrats et aux algorithmes de consensus constitue une innovation technologique. Une fois ce premier modèle (Blockhain 2.0) adopté par les industriels, certaines entreprises (Carrefour, Nestlé, Airbus) se tournent alors vers une autre approche plus à même d’apporter un gain (diminution des coûts de transaction, amélioration de la gestion des ressources) dans un climat relatif de confiance (Brookbanks & Parry, 2022).

Ce deuxième niveau de blockchain (blockchain 3.0) pratiquée au sein des blockchain de consortium et des systèmes inter-organisationnels peut, quant à elle, être assimilée à une innovation de rupture de marché. Ces nouveaux modèles déplaceraient le modèle de gouvernance classique vers un modèle plus équilibré voire plus coopératif. Si l’on se réfère à Christensen, un nouveau modèle d’affaires provoque l’intrusion de nouveaux acteurs (Jouini & Silberzahn, 2016). En ce sens, les nouvelles plateformes blockchain seraient ces nouvelles places de marché, introduisant également de nouveaux critères de performance. Notamment sur le plan économique certains auteurs démontrent, que les blockchain constituent de nouvelles technologies institutionnelles (Davidson et al., 2018), et amènent une diminution des coûts de transaction. Toutefois, comme le montre Treiblmaier (2018), à ce jour en SCM, les recherches académiques sur ce sujet en sont à leurs débuts. Le développement d’études empiriques en ce sens apparaît maintenant nécessaire. Il y aurait là une perspective de recherche intéressante, en plus de celles mises en évidence pour chacun des flux :  l’interopérabilité des blockchain en vue d’une traçabilité complète, les questions de pouvoir engendrées par l’interconnexion des flux de services, la gestion des frontières de l’entreprise, l’utilisation de token comme moyen de paiement des opérations logistiques, l’essor des méthodes de gestion collaboratives avec le développement des blockchain.

 

 


Figure 9: adaptation de la Blockchain au modèle de Mentzer et al (2001), source : Auteurs.


6.     REMErCIEMENTS

Les auteurs remercient Talan, en particulier le Centre de Recherche et d’Innovation de Talan, et l’équipe Blockchain Talan Lille.

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8.     Biographies

Mathieu LESUEUR, est doctorant CIFRE au Centre de Recherche en Economie et Management de l’Université Rennes 1, également consultant pour le déploiement des blockchains en entreprises au sein du groupe Talan. Sa thèse s’intitule : Coordination, collaboration, confiance et performance : l’impact de la blockchain sur le Supply Chain Management. Thèse effectuée sous la direction de Laurent BIRONNEAU et Thierry MORVAN.

Laurent Bironneau, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, vice-président de l’Université de Rennes 1.

Ses recherches et ses enseignements portent essentiellement sur la gestion des systèmes de production et l’optimisation de la chaîne logistique globale. Ses travaux les plus récents portent sur l’analyse des conditions et des conséquences managériales et humaines de l’insertion des outils de gestion de la Supply Chain en milieu industriel.

 

Gulliver LUX est professeur en management à l’École des Sciences de la Gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG-UQAM). Ses travaux de recherche traitent principalement des dimensions psychosociologiques des outils de mesure de la performance (appropriation, usages, émotions et risques psychosociaux liés aux outils) ainsi que des enjeux de la blockchain en comptabilité – contrôle et audit. Il a notamment publié dans les revues Accounting Auditing & Accountability Journal, Comptabilité – Contrôle – Audit, Finance Contrôle Stratégie, Public Organization Review et International Journal of Work Organization and Emotion.

 

 

 

Thierry Morvan, Maitre de conférences - HDR en Sciences de Gestion à l’Université de Rennes1, est l’auteur d’articles dans le domaine de la logistique. Ses travaux concernent plus spécifiquement les Prestataires de Services logistiques au sein des chaînes logistiques multi-acteurs et les évolutions, les enjeux et les perspectives de la digitalisation pour les GSA.

 

1 Mathieu LESUEUR, Univ Rennes, CNRS, CREM – UMR 6211, Rennes, France – Talan ,  mathieu.lesueur@univ-rennes1.fr              

 

2 Laurent BIRONNEAU, Univ Rennes, CNRS, CREM – UMR 6211, Rennes, France, laurent.bironneau@univ-rennes1.fr                              

 

3 Gulliver LUX, Université du Québec à Montréal, lux.gulliver@uqam.ca

 

4 Thierry MORVAN, Univ Rennes, CNRS, CREM – UMR 6211, Rennes, France, thierry.morvan@univ-rennes1.fr

 



9.     annexe