2022, Vol. 36, No.1, 07-26                                                Logo RFGI

Revue Française de Gestion Industrielle

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https://doi.org/10.53102/2022.36. 01.871     

 

Un outil de conception et de production intelligent permettant la personnalisation d’une production continue de masse.

 Latifa BENHAMOU     1,2, Vincent GIARD       1,3, Pierre FENIES 1,2

1EMINES School of Industrial Management, Université Mohammed VI Polytechnique, Benguerir, Maroc. Latifa.Benhamou@emines.um6p.ma

2LARGEPA, Université Paris II Panthéon-Assas, Paris, France, pierre.fenies@u-paris2.fr

3LAMSADE, Université Paris-Dauphine, PSL Research University, Paris, France, vincent.giard@dauphine.psl.eu

Résumé :

La révolution industrielle 4.0 a connu d’importants succès en production discrète (objets…), en retardant la personnalisation dans des unités de production ou d’assemblage. La production continue (granules, liquides…) est l’oubliée de cette révolution, en raison d’une organisation productive en séquence de lots qui rend difficile la production efficiente d’une grande variété de produits. En réponse à ce défi, une nouvelle approche de conception et de fabrication de produits, appelée Reverse Blending et détaillée dans un article d’IJPE, permet de retarder la personnalisation des engrais, dans de petites unités de mélange implémentées à proximité du client final. Elle se fonde sur la recherche de la composition chimique optimale d'un nombre réduit de produits semi-finis dont les combinaisons possibles permettent de satisfaire une très grande diversité de produits finis personnalisés. L’intérêt de cette approche de Chaîne Logistique Intelligente, à la production continue, est montré à travers quatre études.

Mots clés : Chaîne logistique intelligente ; Production continue ; Production de masse de produits personnalisés ; Reverse Blending ; Optimisation.

Methodological problems posed by valuation systems in industrial management models

Abstract : 

Industrial revolution 4.0 has obtained great success in discrete production (objects...) by delaying customization in units of production or assembly. Continuous production (granules, liquids...) is the forgotten part of this revolution due to a productive organization based on a sequence of batches that makes it difficult to efficiently produce a wide variety of products. In response to this challenge, a new approach of product design and manufacturing, called Reverse Blending and detailed in an IJPE article, enables to delay the customization of fertilizers in small blending units implemented close to the final customer. It is based on the search for the optimal chemical composition of a reduced number of semi-finished products whose possible combinations satisfy a very large variety of customized finished products. The interest of this Intelligent Supply Chain approach to continuous production is shown through four case studies.

Keywords : Intelligent Supply Chain ; continuous production ; mass customization ; Reverse Blending ; Optimisation.


1.   INTRODUCTION

Industrie 4.0 ou 4ème révolution industrielle, fabrication intelligente et digitalisation sont des termes que l'on associe souvent aux Chaînes Logistiques Intelligentes (CLI). Les premières définitions de ce concept attribuent le caractère "intelligent" au fait de proposer le bon produit, dans la bonne quantité, au bon moment, au bon endroit, au bon prix, dans le bon état, et au bon client (Susan, 2010). Cette définition étant assez utopique, des travaux de recherche récents proposent des définitions plus opérationnelles en mettant davantage l'accent sur les outils de mise en œuvre d'une CLI. Chen et al. (2020) considère que les chaînes logistiques deviennent intelligentes lorsqu'elles sont spécialement conçues pour être flexibles en utilisant des technologies intelligentes avancées telles que l’intelligence artificielle, Big Data Analytics, Internet of Things, Machine Learning, Cloud Computing, etc. (Shao et al., 2020). Ces technologies constituent ce que Frank et al. (2019) considèrent comme le back-end des CLI. Quant à leur front-end, ils y font référence par le travail intelligent (smart working), le produit intelligent (smart product) et les initiatives de fabrication intelligentes (smart manufacturing). Cela rejoint les propos de Wu et al. (2016) selon lesquels les innovations de produit et de process constituent les éléments de base d’une CLI. En effet, investir dans l'innovation de produits et/ou de processus intelligents est l'une des initiatives clés à prendre lors de la transformation d'une CL traditionnelle en une CLI. Cependant, rares sont les travaux de recherche ayant abordé le concept de produits et/ou de processus intelligents, en particulier dans l'industrie de process où la production est à flux continu (par exemple, l'industrie chimique). En effet, la Personnalisation de Masse (PM) ˗ technique cruciale pour le développement de produits ciblés et intelligents via des lignes d'assemblage (Prause, 2019) ˗ ne peut être réalisée en production continue où les produits sont des substances miscibles non solides (fluides, granulés, crèmes, poudres...) pour lesquelles la personnalisation ne peut être assurée qu'à travers une succession de lots différents. C'est notamment le cas des engrais sur-mesure dont la personnalisation en fonction des besoins en nutriments des sols et des plantes se fait dès les phases de conception au sein de l'usine chimique. Compte tenu de l'énorme variété des sols et des plantes, une telle personnalisation impliquerait une diversité colossale des flux à gérer au niveau de la production, du stockage et de la distribution.

 Pour remédier à cette situation, l’approche du Reverse Blending (RB), a été conçue pour fournir des engrais sur-mesure en reportant le processus de personnalisation vers les dernières étapes de la chaîne logistique des engrais (Benhamou et al., 2020). Il s'agit d'un problème de création optimisée d’une nomenclature de composants chimiques existants ou à créer, permettant une production de masse de produits fortement diversifiés dans les Chaînes Logistiques Continues (CLC) à travers trois étapes « intelligentes » (cf. Figure 1) :

 

Figure 1: Les trois étapes principales vers une chaîne logistique intelligente

- Produits intelligents. Le RB consiste à déterminer un très petit ensemble de produits semi-finis communs dont les combinaisons possibles de mélanges permettent la création d'une très grande variété de produits personnalisés. Ces produits communs sont considérés comme intelligents car ils peuvent être utilisés dans des milliers de nomenclatures, chacune d’entre elles assurant la production d’un produit fini personnalisé.

-  Processus intelligent. Les quelques produits semi-finis communs sont à fabriquer pour stock dans les usines qui doivent alimenter plusieurs points de vente. La différenciation des produits dans ces points de vente serait assurée par un processus de mélange aussi flexible que le processus d'assemblage dans la production discrète. De telles unités décentralisées de blending d’engrais existent dans certains pays. Un programme d'optimisation linéaire sur tableur serait alors utilisé pour trouver la bonne nomenclature des produits semi-finis communs (i.e. une recette de mélange) permettant d’obtenir le produit personnalisé demandé.

-  Conception intelligente. Pour que ces deux premières étapes soient conçues avec succès et que les risques soient maîtrisés, toutes les parties prenantes doivent travailler « en bonne intelligence ». La mobilisation d'équipes pluridisciplinaires (marketing, recherche opérationnelle, génie des procédés, génie chimique, génie agronomique...) est en effet incontournable. Pour Kuo et al. (2020), cette perception de la chaîne logistique collaborative est encore plus cruciale dans les CLI.

Par ces trois étapes, le RB permet une organisation industrielle intelligente qui facilite la gestion de la CL tout en restant compétitif sur le marché, étant donné qu'il réduit la variété à produire sans compromettre la variété commerciale. Cela est possible grâce à une différenciation retardée efficace obtenue par la standardisation (un nombre réduit de produits semi-finis communs à une énorme variété de produits sur-mesure), la flexibilité (une personnalisation assurée par un processus de mélange simple et rapide) et les technologies de l'information (une application informatique qui déterminerait les recettes de mélange optimales à utiliser pour satisfaire toute demande). L’objectif de cet article est de montrer que le RB pourrait être une solution de rupture aux problèmes induits par la recherche d’une forte diversité en production continue. Pour cela, nous nous appuyons sur l'approche méthodologique de l'étude de cas qui, selon Wacheux (1996), est la plus utilisée pour approuver ou réfuter un modèle théorique. Dans cette optique, et en accord avec (Yin, 1984) qui affirme qu'une généralisation d'une théorie ne doit être effectuée que si elle est testée dans deux contextes différents, nous proposons dans cet article quatre études de cas pour illustrer l'intérêt du RB dans les deux contextes des engrais et des cosmétiques.

 

La section 2 est consacrée à une brève revue de la littérature pour positionner notre travail par rapport à la littérature existante. La section 3 rappelle les principes fondamentaux du RB et ses modèles d'optimisation. Dans la section 4, nous présentons quatre courtes études de cas qui soulignent l'intérêt et les conséquences managériales du RB, avant de conclure par quelques perspectives dans la section 5.

2.   REVUE de la littérature

La fabrication intelligente (Kusiak, 2018) et les CLI (Wu et al., 2016) sont principalement axées sur la production et la livraison d'objets destinés aux utilisateurs finaux ; elles visent à améliorer la réactivité, l'efficience et l'efficacité du système productif pour mieux répondre aux attentes des clients en termes de qualité et de variété, et ce, à l'aide de technologies de l'information. Une chaîne logistique basée sur le RB a le même objectif et consiste à utiliser le RB comme une nouvelle méthode de gestion pour la conception d'une grande variété de produits personnalisés. L'objectif de cette revue de la littérature est de positionner brièvement notre travail par rapport à la littérature existante sur les méthodes de conception de produits personnalisés (§2.1) et de rappeler brièvement en quoi l'approche du RB diffère des problèmes classiques de mélange discutés dans la littérature (§2.2).

2.1   Reverse Blending : une nouvelle méthode de gestion pour la conception de produits personnalisés.

Selon de nombreux chercheurs (Gania et al., 2017 ; Gupta et al., 2019 ; Contador et al., 2020 ; Salunkhe & Fast-Berglund, 2020), une CLI ne peut être atteinte que si elle présente une agilité et une flexibilité élevées, celles-ci faisant référence à la capacité des entreprises à répondre aux changements du marché en temps opportun et de manière appropriée (Brozovic, 2018) et sans encourir de pénalités de coûts élevés (Jain et al., 2013). L'une des principales méthodes pour y parvenir consiste à concevoir des produits flexibles intelligents qui peuvent être adaptés à tous les besoins des clients (Frank et al., 2019). Pour ce faire, les systèmes de fabrication reconfigurables et modulaires sont considérés comme les plus efficaces (Koh et al., 2019 ; Shoval & Efatmaneshnik, 2019 ; Schischke et al., 2019). En effet, la modularité, que (Gupta, 2019) identifie comme un outil clé de l'industrie 4.0, offre les avantages d'une production de masse ainsi que la capacité de produire une forte diversité de produits individuellement personnalisés (Huang, 2000). Dans l’industrie automobile, l'une des industries les plus connues pour la conception modulaire, le client peut choisir, à travers un configurateur, le produit qu’il souhaite parmi un ensemble pouvant comporter des millions de produits différents. Cette solution, relevant d’une personnalisation de masse où le point de personnalisation est retardé jusqu'à la dernière étape de la production, ne semble pas être une option pour les CLC. Ceci est notamment dû au fait que les industries de process traitent de produits homogènes qui ne peuvent pas être décomposés en plusieurs sous-modules que l’on peut assembler à la demande des clients (Van Hoek, 2001). Pour ce type de produits, retarder la personnalisation n’est éventuellement possible qu’au niveau du conditionnement du produit destiné à un marché, notamment pour des raisons linguistiques ou réglementaires et ce, sans modification du produit. Par ailleurs, certaines industries de process différencient leurs produits selon le concept de commonalité, qui se définit comme une méthode de conception de produits par laquelle plusieurs composants de différents produits finis sont remplacés par un seul composant commun (Perera et al., 1999). C'est en particulier le cas dans le secteur alimentaire où la différenciation est apportée à une formule de base (composant commun) en ajoutant, par exemple, des arômes et des saveurs (ex. industrie viticole (Van Hoek, 1997)). Néanmoins, la différenciation ici n'est pas synonyme de personnalisation ; il s'agit plutôt d'accroître la variété, et non de concevoir des produits ciblés. La seule exception d'une personnalisation offrant une grande flexibilité à des coûts abordables dans les CLC se trouve dans la distribution de peinture dans des magasins spécialisés, ou le client choisit une référence de couleur parmi plusieurs centaines possibles, le produit étant fabriqué sur place à partir d’une base de peinture et d’un jeu réduit de colorants, en respectant scrupuleusement les proportions de la nomenclature associée à la référence choisie (nomenclature prédéterminée). Dans ce cas, le produit est personnalisé dans les magasins et non à l'usine. Cette organisation industrielle aurait été volontiers adoptée par les autres industries de process, mais ce n'est que dans l'industrie de la peinture que les quelques colorants de base conduisant à des milliers de teintes sont connus et préexistants. C'est dans ce contexte que le RB est proposé comme une nouvelle méthode de conception de produits homogènes afin de déterminer les produits semi-finis de base (i.e. l'équivalent des colorants de base dans la peinture) à partir desquels des centaines de produits finis pourraient être obtenus.

2.2   Le Reverse Blending, un nouveau problème de mélange mono-étage

Cette section ne détaille pas le positionnement original du RB dans la littérature scientifique de la Recherche Opérationnelle (RO), qui est présenté dans Benhamou et al. (2020).

Du point de vue de la RO, le RB peut être considéré comme une extension du problème du blending dans lequel les inputs ne sont pas préexistants et doivent être définis, en nombre et en composition, simultanément à leur utilisation pour obtenir les produits souhaités. Ces inputs peuvent être créés de toutes pièces en faisant réagir chimiquement des matières premières comme ils peuvent être obtenus par le mélange mécanique de composites commerciaux. Dans ce cas, le problème devient une variante du problème de pooling, un problème de mélange à deux étages (Chang et al., 2019). Ainsi, pour démontrer en quoi RB est une approche disruptive, nous rappelons d’abord les principales caractéristiques des deux problèmes classiques de mélange (blending et pooling) en nous référant à des articles très peu nombreux mais récents qui en fournissent une analyse approfondie.

Le Problème du Blending (PB), très connu des chercheurs en RO depuis les travaux séminaux de Danzig, détermine les quantités optimales d’inputs à utiliser pour produire la quantité requise d'un ou plusieurs outputs, en respectant certaines contraintes de composition de ces outputs. Des centaines d'articles ont été écrits pour considérer des contextes industriels spécifiques. Sur la base de l'analyse des articles traitant de la problématique du blending, cinq critères principaux caractérisant le problème peuvent être identifiés (Azzamouri et al., 2020).

1.      Caractéristiques des inputs. Ils peuvent être achetés ou produits en interne. Les caractéristiques des composants des inputs, utilisés dans le mélange au fil du temps, peuvent être fixes et/ou variables, en termes de quantité et/ou de qualité. Dans tous les cas, ces caractéristiques sont des données d'entrée du modèle BP. La disponibilité des inputs peut être introduite comme une contrainte supplémentaire.

2.      Processus de blending. Il peut s'agir d'un processus à un ou plusieurs étages. Dans ce dernier cas, il peut exister des acheminements alternatifs, avec des rendements et des distorsions différents dans la composition des inputs ; les inputs peuvent être introduits dans les unités de mélange simultanément ou séquentiellement ; la plupart du temps, les outputs sont produits par lots, et le problème de mélange relève d'un carnet de commandes, ce qui implique des interdépendances spatiales et temporelles.

3.      Caractéristiques des outputs. Elles peuvent être fixes ou variables dans le temps suivant une demande régulière ou irrégulière.

4.      Critère d'optimisation. La plupart du temps, un critère économique est utilisé.

5.      Formulation mathématique. La plupart des formulations sont basées sur la programmation linéaire, mais certaines utilisent la programmation quadratique ou sont orientées vers la programmation multi-objectifs.

Le Problème de Pooling (PP), introduit par Haverly (1978), peut être considéré comme une sorte de problème de mélange hiérarchique à deux étages, l'un consacré à une décision tactique et l'autre à une décision opérationnelle. Le problème tactique porte sur : i) la composition d'un nombre fixe d'inputs intermédiaires obtenus à partir du mélange d'inputs primaires existants qui sont des matières premières ; ii) les nomenclatures de fabrication d'un ensemble d'outputs, dont la demande est potentielle à ce stade ; ces nomenclatures utilisent les inputs intermédiaires. La décision opérationnelle utilise ces nomenclatures pour répondre à une demande d’outputs. Cette décision diffère de celle du PB, dont la nomenclature fait intervenir des inputs existants et n'est pas prédéterminée, comme dans le second étage du PB. Le PP se fonde sur un modèle quadratique. Il a été utilisé initialement dans la chaîne logistique pétrolière où le nombre des inputs intermédiaires est un paramètre fixe qui est égal au nombre des réservoirs existants, où ils sont stockés.

Le problème de Reverse Blending (RB), introduit par Benhamou et al. (2018, 2020), est un problème de mélange à un seul étage où les inputs ne sont pas existants, comme dans le PB, et ne sont pas des matières premières, comme dans le PP, mais des composites à créer, pour satisfaire une grande variété d'outputs (produits finis), dont la composition requise est connue mais dont la demande est potentielle à ce stade. Le modèle quadratique du RB détermine simultanément le nombre et la composition des inputs à créer (les produits semi-finis communs) et les nomenclatures optimales des outputs, ce qui relève d’une décision tactique. Ensuite, la décision opérationnelle utilise ces nomenclatures pour répondre à la demande de l'output à produire. Pour limiter le nombre des inputs à créer de toutes pièces, une version adaptée du problème de pooling (AP) peut être utilisée (Benhamou et al., 2020) dans laquelle les inputs primaires sont des composites existants, et les inputs intermédiaires (i.e. les produits semi-finis communs) sont des matières composites qui doivent être fabriquées à partir du mélange des inputs primaires. Cette approche doit prendre en compte certaines contraintes de compatibilité chimique dans la combinaison des composites commerciaux existants pour produire les inputs intermédiaires, sachant que ces contraintes peuvent être héritées pour limiter certaines combinaisons d'inputs intermédiaires lors de la production d'un output. Le modèle AP doit prendre en compte ces contraintes, ce qui fait que tous les outputs ne peuvent pas être produits avec les composites commerciaux existants. Par conséquent, dans une première étape, l'approche AP est utilisée pour répondre à la demande du nombre maximum possible d'outputs ; pour l'ensemble des outputs résiduels, l'approche RB est utilisée pour créer de nouveaux composites intermédiaires, qui, en plus des inputs intermédiaires de l'AP, permettent de produire tous les outputs considérés.

Les modèles d'optimisation de ces trois problèmes de mélange ainsi que de deux autres sont présentés dans la section suivante afin de mettre en évidence leurs différences et de montrer l'originalité de l'approche RB.

3.   L’approche du reverse blending

3.1   Principaux résultats du RB

Le RB, décrit en détail dans Benhamou et al. (2020), a été imaginé pour rendre possible une agriculture durable et raisonnable, sachant que la variété des besoins d’engrais (qui est de plusieurs milliers) s’explique principalement par la combinaison des caractéristiques d’une parcelle de terrain et les besoins en nutriments de la culture choisie pour cette parcelle (les principaux étant l’azote N, le phosphore P et la potasse K). L’administration de l’un des engrais commercialement disponibles conduit nécessairement à un excès ou une insuffisance de certains nutriments. De tels écarts peuvent s’avérer préjudiciable pour une agriculture durable. La norme EU PE-CONS 76/18 (2019) définit les écarts acceptables de composition d’un engrais pour obtenir la performance attendue si sa composition est celle requise pour le couple « culture – sol ». Les dix principaux producteurs mondiaux d’engrais produisent moins de 200 engrais différents. L’une des parades anciennes à la non-adéquation de ces engrais aux besoins à satisfaire, consiste à mélanger deux engrais ou plus pour se rapprocher de ces besoins, ce mélange étant normalement défini par un simple programme linéaire visant à minimiser un indicateur d’écart entre la composition requise et la composition obtenue par le mélange « optimal » de ces engrais. Bien que cette solution soit souvent utilisée, elle répond rarement aux exigences de composition, dans les limites des tolérances autorisées.

Dans l’exemple de l’industrie de la peinture, la nomenclature de fabrication correspondant à une référence de nuancier, se définie en partant d’une liste réduite de colorants préexistants d’un fond de peinture (base) et d’un nuancier. Pour le cas des engrais, la liste des besoins n’existe pas (premier problème) et il en est de même pour l’équivalent de l’ensemble des colorants (second problème). Pour le premier problème, il est à espérer pouvoir s'appuyer sur un échantillon assez large de besoins ; dans Benhamou el al. (2020), cet échantillon représentatif est de 700 besoins d’engrais (exprimés en Kg/ha), correspondant à 482 formules d'engrais NPK personnalisées (exprimées en %). À partir de cet échantillon, l’approche du RB a permis de définir simultanément par un programme quadratique :

i) Les spécifications de composition de nouveaux composites appartenant à un ensemble de taille la plus réduite possible, considérée comme une Base Canonique (BC), pour reprendre une terminologie classique en mathématique (ces Composites de la BC étant repérés par le sigle CBC); c’est la réponse au second problème. Le modèle RB a été capable de trouver 8 CBC qui ont pu, par combinaison linéaire, satisfaire la totalité des 700 besoins en NPK (Benhamou et al., 2020).

ii)    La nomenclature de production des engrais de cet échantillon, à partir des composites de cette base canonique, en acceptant toutefois une déviance très faible (c’est la réponse au premier problème). Dans le contexte des engrais, la différenciation retardée, correspondant à un mélange de CBC, s’effectue dans de petites unités de blending pouvant desservir un ensemble suffisant de clients.

3.2   Modèles d’optimisation

3.2.1    Modèles de mélange mono-étage

En plus des modèles de PB, RB et PP décrits en détail dans Benhamou et al. (2020), nous introduisons ici deux autres modèles de mélange mono-étage pour répondre aux besoins du présent article :

Modèle de l’Utilisation de la Base Canonique (UBC) : Ce problème permet de montrer qu'une BC est utilisable pour de nouveaux outputs, autres que ceux de l'échantillon initialement utilisé pour sa détermination. Si l'échantillon initial couvre une variété suffisante de besoins, la production de n'importe quel output serait possible en utilisant les CBC de cette base canonique, si l’échantillon initial couvre une variété suffisante des besoins. Le schéma descriptif du modèle UBC est fourni dans la Figure 2.

 

Figure 2: Schéma descriptif du modèle de UBC

Ce modèle vise − à travers un programme linéaire utilisant le solveur d’Excel − de déterminer les quantités optimales à prélever des CBC pour satisfaire les spécifications de l’output à produire. Au lieu d'exiger qu'elles se tiennent dans une fourchette min-max, ces spécifications doivent être satisfaites en respectant des déviances (variables de décision) que l’on cherche à minimiser dans la fonction-objectif. Le modèle repose sur l’hypothèse implicite d’une disponibilité immédiate des CBC et fait intervenir une contrainte de quantité minimale qui exige de consommer chaque CBC utilisé avec une certaine quantité minimale. Cela permettrait d'éviter des mélanges de recettes irréalistes (par exemple, utiliser un CBC en quelques milligrammes dans un mélange qui pèse plusieurs kilogrammes).

Modèle de Réduction de la diversité (RD). Le modèle du RB vise à minimiser le nombre d’inputs dont la composition optimale est à déterminer. Le modèle RD cherche à montrer la valeur ajoutée du RB par rapport à l’approche actuellement utilisée par les agriculteurs, qui consiste à obtenir un engrais (output) en mélangeant des engrais existants (inputs). L’approche RD s’appuie sur le modèle de blending pour évaluer à quel point le blending classique permet de réduire la diversité des engrais à produire sans limiter la diversité d’usage potentielle. Le schéma descriptif du modèle RD est donné dans la Figure 3.

Sa résolution fait appel à la programmation linéaire mixte. Cela est dû à l’introduction de deux variables binaires : wj qui est égal à 1 si l’output j est produit et vi qui est égal à 1 si l’input i est utilisé. En tenant compte des contraintes liées au respect de la demande et des spécifications chimiques des outputs, on cherche à produire J engrais (outputs) tout en minimisant le nombre S d’inputs utilisés (S correspondant à un sous-ensemble des J engrais), la résolution de ce modèle commence par S = J-1 puis nous décrémentons progressivement S (S = J-2, J-3…) jusqu'à ce que l'on trouve le nombre minimum d'inputs nécessaires pour que tous les outputs puissent être obtenus. La fonction-objectif étant de maximiser le nombre des engrais réalisables.

Figure 3: Schéma descriptif du modèle de RD

La présentation formelle les modèles PB, RB, UBC et RD est fournie dans le Tableau 1.

La formulation « classique » du Blending retenue dans ce tableau est celle de la détermination des quantités d’inputs à mélanger pour produire les quantités demandées de plusieurs outputs dont les contraintes de composition doivent être respectées. Les inputs sont disponibles en quantités limitées et leurs coûts unitaires d’obtention sont connus. Dans le problème mono-période, la solution recherchée est celle qui minimise le coût total d’obtention des inputs.

Dans la formulation du Reverse blending, la préoccupation de coût est absente, en raison de la méconnaissance des demandes potentielles des engrais sur-mesure à fabriquer et de celle du coût de production des CBC. Dans ce problème, nous cherchons simultanément la composition des CBC (inputs) et les formules de mélange de ces CBC permettant d’atteindre avec une précision suffisante la structure des outputs à produire. La méconnaissance des demandes conduit à travailler avec des demandes identiques fixées à un niveau arbitraire, le problème étant de trouver une solution technique au problème posé sans se préoccuper, à ce stade, de considérations de coûts.


Tableau 1 : Tableau comparatif des modèles de quatre variantes du blending mono-étage


Ce problème, qui vise à répondre à toutes les demandes identifiées, avec une base canonique la plus réduite (critère d’optimisation), relève d’une logique de régime de croisière. Ce problème comporte des contraintes quadratiques faisant intervenir le produit de quantités de CBC à utiliser pour produire les outputs de composition imposée, avec la composition des CBC devant être déterminée par l’optimisation.

La formulation du modèle de réduction de la diversité (RD) vise à déterminer le plus petit sous-ensemble des outputs appartenant à un ensemble existant d’engrais, permettant de produire les autres outputs du sous-ensemble complémentaire, ainsi que la définition de leurs nomenclatures de mélange. Les considérations de coûts et de demandes réels n'interviennent pas car nous ne nous intéressons ici qu'à la possibilité technique de fabriquer des engrais en combinant d'autres engrais.

Enfin, la formulation du modèle d’utilisation de la base canonique pour fabriquer un output qui n’a pas été retenu dans l’échantillon ayant permis la création de cette base, est un problème ponctuel de réponse à une demande dans lequel on cherche le mélange de CBC dont la composition est la plus proche de celle de l’output à produire. Pour ce faire, on minimise un indicateur calculé comme la somme des écarts absolus obtenus dans la composition trouvée, par rapport à la composition-cible.

3.2.2  Modèles de mélange à deux étages

Les engrais sont fabriqués à partir d’un certain nombre de composites existants (urée, phosphate monoammonique, chlorure de potassium…). Techniquement les processus de fabrication des composites à créer pour obtenir la base canonique sont, d’après les experts, proches de ceux de fabrication des engrais. Il peut alors être possible d’utiliser l’approche de blending à deux étages, connue sous le nom de Pooling, dans laquelle les inputs sont des inputs intermédiaires produits par mélange d’inputs primaires. La transposition de cette approche à notre problème conduirait à considérer les CBC comme inputs intermédiaires et les composites existants comme inputs primaires. Dans cette classe de problèmes, utilisée par exemple dans les hydrocarbures pour permettre une diversité d’approvisionnement final d’outputs de caractéristiques différentes, les cuves de stockage finale peuvent être alimentées directement par les inputs primaires ou/ et par un mélange de quelques inputs intermédiaires en provenance de quelques cuves spécialisées dans le stockage d’inputs intermédiaires. Ces inputs intermédiaires sont obtenus par mélange d’inputs primaires. La modélisation de ce problème de pooling (noté P) possède des contraintes quadratiques et est décrit dans le tableau 2.

Le RB ne se préoccupant pas de la fabrication des composites de la base canonique et la fabrication de ces composites étant techniquement voisine, on pense tout naturellement, que le problème posé peut être traité par une formulation de pooling, dans laquelle les inputs primaires seraient les composites primaires utilisés pour fabriquer les engrais. Ce n’est pas si simple car, dans le Pooling, aux trois niveaux étudiés, les produits sont de même nature, ce qui implique une absence de contraintes techniques sur les mélanges. Dans la fabrication d’engrais, la combinaison de certains composites primaires est interdite pour des raisons de sécurité ou de stabilité du produit.  Une version adaptée du Pooling (notée AP pour Adapted Pooling) a été proposée pour intégrer ces contraintes de fabrication des inputs intermédiaires à partir des inputs primaires et tenir compte de l’héritage de ces contraintes dans le mélange d’inputs intermédiaires pour produire un output, l’ensemble de ces inputs intermédiaires ne devant pas faire intervenir des inputs primaires incompatibles.

 


Tableau 2 : Tableau comparatif des modèles de deux variantes du blending à double-étages



4.   études de cas

Nous nous concentrons sur certaines conséquences managériales du RB à travers quatre études de cas : - Dans la première étude de cas, il est montré que la BC de 8 CBC trouvée dans (Benhamou et al., 2020), à partir d’un échantillon de 700 besoins d’engrais NPK couverts par 482 formules d'engrais NPK, ne permet pas seulement de reconstituer ces 482 formules (ce qui est une conséquence directe du RB) mais que cette BC peut s’avérer suffisante pour répondre à une grande variété d’autres besoins d’engrais NPK. Cette possibilité est illustrée par une étude portant sur un échantillon aléatoire d’une cinquantaine de nouveaux engrais NPK.

- La deuxième étude de cas concerne l’étude d’un scénario du remplacement de la production d’engrais de Jorf (le plus grand centre mondial de production d’engrais) en 2019, par une production de CBC dont le mélange permet d’obtenir exactement ces engrais. L'intérêt se porte alors sur les conséquences d’une réduction sensible de la diversité à produire sur l’organisation de la production et du stockage, à la maille mensuelle. Cette étude ne vise absolument pas à proposer le remplacement des engrais existants mais à définir un scénario plausible d’une BC répondant techniquement à une offre commerciale d’engrais existante, dont le remplacement par une production de CBC ne présente guère d’intérêt. En partant d’une BC permettant de répondre exactement à cette offre commerciale, l’étude d’impact s’appuie sur une diversité plausible de production de CBC et donc sur des hypothèses de travail réalistes.

- La troisième étude de cas s’intéresse à la réduction de la diversité des engrais offerte sur le marché international. En partant de l’ensemble des 142 formules différentes d’engrais vendues par les dix premiers producteurs d’engrais mondiaux, il sera montré qu’une partie importante de ces 142 formules peut s’obtenir par un simple mélange de quelques-unes de ces formules, montrant ainsi que la diversité offerte sur le marché n’est pas aussi grande qu'il n'y paraît. La réflexion sera ensuite poussée plus loin sur la réduction de diversité produite pour une même diversité offerte en cherchant la BC permettant de reconstituer ces 142 formules. Comme pour l’étude précédente, il ne s’agit pas de chercher à remplacer ces 142 engrais par des mélanges car, là encore, pour un même nombre de CBC, il est possible de répondre à des centaines, voire des milliers, de besoins différents d’engrais, en appliquant la démarche du RB à un très grand échantillon de besoins d’engrais.

- La dernière étude de cas vise à étendre le champ d’application du RB par une étude montrant son intérêt possible dans la différenciation retardée des cosmétiques, au niveau des points de vente.

4.1   Utilisation de la Base Canonique pour produire des engrais du même type que ceux utilisés pour la création de la base canonique

Les 700 besoins NPK, correspondant aux 482 formules personnalisées, ont été définis sur un échantillon raisonné de parcelles de quelques provinces au Maroc où la culture du blé est jugée intéressante. La méthode de construction de cet échantillon est décrite dans Benhamou et al. (2020) et les caractéristiques de cet échantillon dans le lien Mendeley : http://dx.doi.org/10.17632/z3sbn5j9z7.1. Ces besoins sont calculés par différence entre les exigences nutritives des cultures, compatibles avec une agriculture durable, et les apports possibles de ces parcelles, compte tenu de leurs caractéristiques pédologiques. L’application du RB à cet ensemble de besoins a permis de déterminer simultanément la BC dont chaque composite contient, en plus des nutriments majeurs, le « filler » qui est un composant supplémentaire neutre utilisé pour la stabilisation chimique de la composition des granules (voir Tableau 3) et les nomenclatures de ces 482 engrais utilisant les 8 CBC trouvés pour satisfaire chacune des 482 formules.

Tableau 3 : Les composites de la base canonique trouvée à partir de l'exemple des 700 besoins NPK

Cette BC a été définie pour répondre aux exigences du blé marocain, mais elle n’est pas, à proprement parler, dédiée à cette culture et à ce pays. En effet, la variété d’engrais que l’on peut obtenir par combinaison linéaire de ces CBC dépasse très largement les 482 engrais de l’échantillon, un très grand nombre de ces combinaisons linéaires correspondant exactement à une composition demandée, d’autres s’en écartant un peu mais dans les limites de tolérance fixées par la réglementation européenne.

Pour exploiter cette possibilité, le modèle de programmation linéaire (UBC) a été créé, permettant de trouver la nomenclature d’utilisation des CBC répondant aux spécifications d’un nouvel engrais. Ce modèle, décrit dans le tableau 1 (colonne 3) : i) minimise un indicateur d’écart entre la composition requise et la composition optimale trouvée ; ii) permet de n’utiliser un CBC dans la nomenclature d’un engrais à produire, qu’à condition de représenter un pourcentage suffisant (1% retenu par défaut) ; iii) considère qu’il n’existe pas de contraintes de disponibilité des CBC et que la demande de l’engrais étudié est conventionnellement de 100 tonnes pour faciliter l’analyse des résultats. Les contraintes réglementaires de l’UE n’ont pas été intégrées, la vérification de leur respect s’effectuant à partir de la solution. Ce modèle est implémenté sous Excel, pour en permettre l’usage facile dans les unités de blending déportées, en réponse à une nouvelle demande d’engrais.

Un échantillon aléatoire de 50 engrais NPK a été constitué. Un extrait de cet échantillon est donné dans le tableau 4 (les données complètes étant fournies dans la feuille «EC1_Données» du fichier Excel inclus dans le lien[1] : https://data.mendeley.com/datasets/ctdxxp5484/draft?a=83acbcda-9219-4158-8d5f-8aee0bcf7b1d

Les résultats de ces 50 optimisations (voir la feuille «EC1S_Résultats_UBC»), dont un extrait est présenté dans le Tableau 4, conduisent à l’obtention exacte de la composition demandée pour 48 engrais. Pour les deux engrais restants, on observe des écarts largement inférieurs aux tolérances de la norme européenne : pour l’engrais 8 : 0% pour N et K et +0.05% pour P ; pour l’engrais 17 : +0.01% pour N et 0% pour P et K.



Tableau 4 : Extrait des compositions optimales de CBC à utiliser pour répondre aux caractéristiques chimiques des 50 engrais


On est en droit de penser, au vu de ces résultats, que la constitution d’un échantillon raisonné de quelques milliers de besoins d’engrais croisant des caractéristiques pédologiques et celles de cultures puisse permettre de créer une base canonique permettant de couvrir l’essentiel des besoins en nutriments NPK, auxquels on peut ajouter le souffre S que l’on rencontre dans le monde. D’autres nutriments sont quelque fois demandés, comme l’étude suivante va le montrer. Pour satisfaire ces nouveaux besoins, il suffit de partir de la base canonique initiale et d’ajouter de nouveaux composites à créer pour couvrir ces nouveaux besoins.

4.2   L’impact du Reverse Blending sur la gestion de la diversité produite par OCP à Jorf

Entre 2000 et 2020, le Groupe OCP, l’un des leaders mondiaux dans le secteur des engrais, a augmenté la diversité de ses produits de 5 à environ 50 engrais. L’OCP poursuit toujours cette stratégie d’accroissement de la diversité, qui lui permet de mieux coller aux besoins et de conquérir de nouveaux clients. La contrepartie est une complexité croissante au niveau de la gestion de la production et du stockage. On s’intéresse ici aux avantages potentiels du RB en examinant comment la production et le stockage seraient organisés si la production d'OCP en 2019 avait été réalisée en utilisant le RB. Pour ce faire, on part du carnet de commandes de l’OCP pour l’année 2019 qui porte sur 28 références d’engrais dont les volumes mensuels produits sur 7 lignes de production sont donnés dans «EC2_Données» . La Figure 4 indique les parts de ces engrais dans la production totale de chaque mois. Il peut être observé que la diversité des produits (illustrée par les différentes couleurs dans chaque bâton) et les volumes de production varient d’un mois à l’autre et que ces volumes correspondent à de petits lots.

Figure 4 : Parts individuelles des engrais dans la production de chaque mois

Cette figure reflète le nombre important des changements de référence d’engrais qui ont dû être effectués lors de chaque mois. Une analyse plus fine, à la maille quotidienne, montre que sur cette année, 175 changements de références à produire ont été réalisés sur les 7 lignes de production. Même en considérant le plus court temps de lancement qui est de l’ordre de deux heures (il peut aller jusqu’à huit heures), la production a dû être arrêtée pendant au moins 350 heures (175*2). Compte tenu des débits de production de chaque ligne, cela se traduit par une perte minimale de capacité de production de 33,783 tonnes. Au niveau de ses 9 hangars de stockage, ce mode de production, qui repose sur le lancement irrégulier de petits lots, entraîne des problèmes d’allocation de l’espace et de contamination des engrais due à une mauvaise séparation entre les différentes références.

Pour analyser l’impact du remplacement de l’organisation actuelle par la production de CBC, il fallait d’abord définir une base canonique difficile à contester. On a retenu la BC dont les composites permettent de satisfaire le carnet de commandes de l’OCP. Ces derniers sont au nombre de 8 et leur composition optimale en termes de N, P, K, B2O3 (bore), Zn (zinc) et filler est décrite dans le Tableau 5.

Tableau 5: Composition optimale des CBC

 

Les quantités à en prélever pour obtenir le volume mensuel exactement produit de chaque engrais sont présentées dans «EC2_Résultats_RB». Ces quantités sont représentées autrement dans la Figure 5 pour indiquer la part de chaque CBC dans la production de chaque mois.

Figure 5 : Parts des CBC dans la production de chaque mois

Une comparaison des figures 4 et 5 montre comment cette transformation simplifie considérablement la gestion de la production puisqu’avec seulement 8 CBC, on arrive à assurer exactement la production mensuelle de l’OCP. En plus, chaque mois, au moins 90% de cette production ne fait intervenir que les premiers 4 CBC, CBC 2 (couleur orange) en représentant plus de 60%.

Cette massification des flux, qui aurait été encore plus importante si la variété traitée avait été supérieure à 28 engrais, montre l'opportunité de concevoir un nouveau système de production basé sur une production pour stock. En effet, avec sept lignes de production, dont trois ont un débit annuel d'environ 897 000 tonnes et quatre, d'environ 669 000 tonnes, la gestion de la production de 8 CBC est relativement simple. Compte tenu de la quantité totale nécessaire de chaque CBC et des débits de ces lignes de production, il est choisi d'affecter arbitrairement les CBC les plus demandés aux lignes les plus productives (et accessoirement les plus économiques). Par conséquent, étant donné que CBC 2 représente plus de 66 % du volume de production annuel, trois lignes de production peuvent lui être entièrement consacrées. Pour les CBC 1, 3 et 4, représentant chacun environ 10 %, il faut prévoir une ligne de production pour chacun d’eux. Enfin, le reste des CBC représentant moins de 4 % de la production totale, tous les CBC peuvent être affectés à une seule ligne de production.

En produisant en flux continu, les lignes « mono-produit » élimineraient les arrêts dus aux temps de lancement, augmentant ainsi la capacité de production. Quant à la seule ligne de production « multi-produits », elle pourrait conserver une logique de production au point de commande (la production démarre lorsqu'un niveau de stock donné est atteint) pour produire CBC 5 qui représente près de 2 % de la production totale. Concernant les CBC 6, 7 et 8 (représentant chacun moins de 1 % de la production totale), la production pourrait être déclenchée lorsque le stock descend en dessous du stock de sécurité et arrêtée lorsque la capacité de stockage est pleinement utilisée.

La gestion des hangars de stockage deviendrait également plus facile puisque, étant donné que OCP a 9 hangars, le stockage de 8 CBC, contre celui de 28 engrais, ne posera pas de problème. Chaque hangar pourrait en effet être affecté à un/deux CBC ce qui éliminerait les problèmes de stockage causés principalement par une forte diversité tels que l’espace vacant en raison de petits lots de production et l’arrêt de la production en raison de la saturation des stocks.

Pour terminer, revenons sur la pertinence de la BC retenue. On a montré les implications de la production des CBC d’une BC permettant de reconstituer tous les engrais produits. En partant d’une analyse des besoins d’engrais sur un échantillon raisonné de grande envergure, il est possible, avec une autre BC comportant le même nombre de CBC, de répondre à des centaines, voire des milliers, de besoins d’engrais.

4.3   Analyse de la réduction potentielle des engrais produits par les principaux producteurs mondiaux

La diversité d’engrais vendus par les 10 premiers producteurs mondiaux d’engrais (OCP Group, Yara, Agrium, K+S, Potashcorp, Mosaic, Uralkali, Belraruskali et CF Industries) est de 175 engrais composés mais si l'on ne tient compte que de ceux qui ont des formules différentes, un total de J=142 formules d’engrais est atteint. Ces formules peuvent contenir de 2 à C=10 composants, de c=1 à c=9 correspondants respectivement à N, P, K, S, B2O3, Zn, Mg (magnésium), Na (sodium) et Ca (calcium) et c=C=10 correspondant au filler. Notons que les engrais contenant au moins un des composants majeurs (NPK) représentent 56% de ces formules et si on ajoute le S, on arrive à 82%. Les caractéristiques chimiques de ces formules sont données dans «EC3_Données ».

Cette diversité de l’offre est loin de pouvoir couvrir les besoins d’une agriculture durable. Pour éviter d’augmenter cette variété par la création de nouveaux engrais, certains distributeurs mélangent des engrais existants, dans de petites unités de blending, localisées dans des zones agricoles. Ce mélange conduit à la création d’un nouvel engrais dont la composition diffère de celles des engrais existants. Il s’ensuit que la « diversité d’usage potentielle » des engrais existants est très supérieure à la diversité de l’offre commerciale. Dans ce contexte, il est intéressant de voir jusqu’à quel point on peut réduire la diversité de l’offre commerciale sans affecter la « diversité d’usage potentielle ».

Pour ce faire, on va commencer par regarder jusqu’à quel point certains engrais existants peuvent être obtenus par mélange d’autres engrais, ce qui conduit à la recherche de l’ensemble minimal des engrais (inputs) à partir duquel les 142 engrais peuvent être reconstitués (§4.3.1). Dans cette recherche, on tolèrera que l’écart absolu tolérée entre la valeur-cible de la part d’un composant dans le poids total et la valeur obtenu par la solution trouvée ne dépasser pas 0.0005 (par exemple, pour l’engrais 1, N devant représenter 20.52% du poids total, la solution n’est acceptable que si cette-ci est comprise entre 20.47% et 20.57% dans la solution proposée). Cette marge d’erreur satisfait très largement la réglementation européenne. Pour réduire davantage cet ensemble d’inputs permettant de reconstituer ces 142 formules d’engrais, on appliquera ensuite la démarche du RB pour déterminer la BC permettant de reconstituer ces formules d’engrais (§4.3.2). On terminera cette analyse en expliquant les limites de l’intérêt de la réduction de l’offre commerciale (§4.3.3).

4.3.1  Réduction de la diversité de l’offre commerciale d’engrais par combinaison d’engrais existants

Cette analyse a été menée par le modèle qualifié de « Réduction de la Diversité (RD) » (décrit en colonne 4 du tableau 1) qui est modèle de blending correspondant à un programme linéaire mixte paramétré. Dans ce modèle, la notion de tolérance est introduite afin de mener une comparaison équitable avec le RB où une très faible tolérance est autorisée pour chaque composant de chaque output.

L’utilisation du modèle RD révèle qu’au lieu de produire la totalité des J=142 engrais par transformation chimique, ce qui est fait actuellement, il est en effet possible avec S=33 engrais de produire les 109 (142-33) engrais restants. La composition de ces 33 engrais et les quantités à en prélever pour satisfaire toutes les spécifications chimiques de manière exacte sont données dans la feuille «EC3_Résultats_RD ». La tolérance vis-à-vis des spécifications cibles étant fixée à ±0.0005, un test complémentaire a été fait en diminuant la tolérance et il s’est avéré qu’une solution optimale exacte existe. On a préféré garder cette solution dans le classeur.

4.3.2  Réduction de la diversité de l’offre commerciale d’engrais par le Reverse Blending

L’objectif est de déterminer les CBC permettant a priori de recréer les 142 engrais actuellement vendus, en respectant la réglementation européenne (EU PE-CONS 76/18, 2019) et de satisfaire un très grand nombre d’autres besoins nutritifs. Ces CBC doivent respecter certaines contraintes de composition qui exigent qu'un élément chimique soit contenu dans un CBC dans des proportions minimales et maximales à ne pas dépasser. Ces proportions sont indiquées pour chaque CBC dans le Tableau 6.

Le modèle d’optimisation à utiliser est celui du RB. Sa formulation mathématique peut être consultée dans la deuxième colonne du tableau 1. Comme déjà expliqué, de petits écarts par rapport aux spécifications cibles sont admis dans le RB et le RD tant que ces écarts restent dans les limites des tolérances réglementées. Il convient de préciser que dans la réglementation (EU PE-CONS 76/18, 2019), les spécifications nutritives d’un engrais doivent être respectées, en tenant compte d'une marge de tolérance qui varie selon le nombre et le type de composants contenus dans cet engrais. Par exemple, pour les nutriments secondaires, les tolérances admises par rapport aux valeurs déclarées du Ca, du Mg, du Na et du S sont fixées à un 1/4 des teneurs déclarées en ces éléments avec un maximum de 0,9% en valeur absolue pour le CaO, le MgO, le Na2O et le SO3, soit 0,64% pour le Ca, 0,55% pour le Mg, 0,67% pour le Na et 0,36% pour le S. Pour ne pas compliquer les modèles, quel que soit le nombre de composants et qu'il s'agisse de nutriments majeurs, secondaires ou d'oligoéléments, il a été décidé d'opter pour une tolérance très faible pour chaque nutriment, de manière à ce que les tolérances réglementaires soient toujours respectées.

L’application du modèle de RB au 142 engrais montre que la totalité de ces engrais, portant sur 10 différents composants, peuvent être satisfaits avec seulement 16 CBC, dont l’un joue le rôle du filler. La composition optimale des CBC est détaillée dans le tableau 6 et les quantités à en prélever pour produire chaque engrais sont données dans la feuille «EC3_Résultats_RB».

En analysant ces quantités, il est remarqué que pour produire 100 tonnes des outputs j=84, j=109, j=64 et j=59, il faut respectivement 100 tonnes des CBC i=2, i=3, i=8 et i=15. Cela signifie que ces CBC correspondent à des engrais, et puisqu'ils sont utilisés dans plusieurs autres mélanges, ils doivent être traités à la fois comme étant CBC et engrais.

Tableau 6: Composition optimale des 16 CBC nécessaires pour répondre aux 142 engrais commercialisés (en %)

Étant les trois nutriments les plus importants pour tout sol, les NPK sont les engrais les plus produits et vendus au monde. Dans cet exemple, les 79 engrais NPK représentent environ 56 % de toutes les références prises en compte. Pour les fabriquer, le solveur a proposé, en plus du filler (i=1), 6 CBC (i=2 →i=7) dont la composition permet de satisfaire tous les besoins nutritionnels de l'ensemble des 79 NPK. Dans l’exemple des 700 besoins NPK, il ne fallait qu’un seul composite de plus (7 CBC). Cela confirme que la diversité de l'échantillon considéré n'est pas proportionnelle à la taille de la BC. Le soufre est le 4e plus essentiel des nutriments pour le sol, raison pour laquelle, les NPKS comptent pour 82 % des références considérées, soit 117 engrais. Pour les produire, le RB nécessite un nombre minimal de 10 CBC (i=2 →i=11). Enfin, le RB permet de répondre à tous les engrais vendus par les leaders du marché des engrais avec seulement 15 CBC et ce en respectant les exigences nutritionnelles de manière presque exacte (à ±0,05 % près). Il peut être ajouté qu’en ayant opté au début pour une tolérance nulle, l’output j=79 n’était pas faisable et que, pour pouvoir le fabriquer, le RB l’a proposé en tant que CBC, augmentant ainsi le nombre des CBC de 15 CBC à 16 CBC (sans compter le filler). Pour éviter cette augmentation des CBC, il a été choisi de tolérer une déviation minimale de 0.05 % (déviation minimale à accepter pour que l’engrais j=79 devienne réalisable) ; d'autant plus qu'elle reste largement conforme à la réglementation européenne.

4.3.3  Limites de l’intérêt de la réduction de la variété de l’offre commerciale

Dans les deux cas (§4.3.1 et §4.3.2), on montre qu’il est possible de réduire la variété de production, sans réduire la variété d’usage potentielle liée à cette offre commerciale existante. On peut raisonnablement penser que la solution du RB permet, par rapport à la précédente, d’accroître la variété d’usage potentielle, parce que les CBC comportent, en moyenne, moins de composants. Cela étant, si cette forme de redondance de l’offre commerciale a de nombreuses justifications économiques, il convient de s’interroger sur la pertinence de la variété d’usage potentielle de cette offre. Il nous semble nécessaire de prendre le problème à l’envers en partant d’une variété d’usage potentielle couvrant une majorité de besoins, pour déterminer la variété minimale de production requise. C’est exactement la démarche du RB que l’on préconise d’appliquer dans une perspective d’agriculture raisonnée et durable. L’application du RB à un échantillon représentatif très large de besoins d’engrais permet de créer une BC d’importance numérique sans doute similaire à celle trouvée pour pouvoir obtenir par mélange les engrais existants, mais avec un spectre d’utilisation plus large et plus pertinent.

4.4   Application possible du RB pour obtenir une différenciation retardée des cosmétiques

L’application potentielle du RB a été analysée pour la chaîne logistique du phosphate. La différenciation retardée présente un intérêt dans d’autres industries chimiques souhaitant accroître leur diversité en offrant à leurs clients des produits personnalisés (ex. industrie cosmétique).

Le RB peut s’appliquer à la fabrication de produits miscibles en mélangeant les inputs, à condition que ces inputs ainsi que les outputs soient caractérisés par le même ensemble de composants chimiques, dont la composition peut être définie par les pourcentages en poids de ces composants dans leur poids total. C’est le cas de certains produits cosmétiques personnalisables dont la différenciation se fait au sein de l’usine en réponse à la demande du client, ce qui conduit à une approche classique de fabrication de petits lots. Une approche alternative inspirée de l'industrie de la peinture consiste en une formule de base et quelques colorants (nomenclature prédéterminée) afin de proposer des produits cosmétiques (ex. fond de teint de Lancôme) dont seulement la teinte est personnalisée en fonction de la couleur de la peau du client, qui est déterminée par un scan de peau. En revanche, en plus de la personnalisation des teintes, le RB pourrait être utilisé pour proposer un sur-mesure complet en s’appuyant sur une DR qui serait effectuée au comptoir des magasins à partir d’un nombre réduit de CBC. Pour illustrer cela, le RB est testé sur un exemple simplifié tiré de l'industrie cosmétique : les poudres faciales.

Pour un sur-mesure complet, il est nécessaire de partir d'une assez grande variété de poudres personnalisées en termes de plusieurs propriétés dermocosmétiques, à savoir : la couvrance, l’absorption, l’hydratation et l’adhésivité. D’après Bennett (2017), la couvrance d’une poudre se réfère à sa capacité de couvrir visuellement la peau de telle sorte à réduire la brillance et à cacher toutes les imperfections (par exemple, les pores dilatés, l’acné, la pigmentation irrégulière…). Les composants chimiques qui peuvent être utilisés à des doses différentes, selon le degré de gravité des imperfections de la peau, sont TiO2, ZnO, MgSIO4 ou Mg3Si4O10(OH)2, C36H70O4Zn et CaCO3 ou MgCO3. L’absorption, quant à elle, se rapporte à la capacité de la poudre à absorber la transpiration et l’excès de sébum afin que le visage ne soit plus brillant. Elle dépend des éléments chimiques suivants : MgCO3, Fumée de silice et Kaolin. Concernant l’hydratation, elle joue un rôle essentiel dans le déroulement du renouvellement cutané et le travail des cellules de l’épiderme et la prévention du vieillissement prématuré. Les différents niveaux d’hydratation peuvent être assurés par les composants chimiques (C14H20NO11Na) n et C3H8O3 et C30H50 (Bennett 2017). Enfin, la propriété de l’adhésivité désigne l’aptitude de la poudre à adhérer et à coller à la peau et dépend du complexe : C36H70MgO4. Au final, en fonction du niveau requis de chaque propriété dont dépend la dose d’un ou plusieurs composants, les poudres sur-mesure seraient personnalisées en termes de 12 composants chimiques. Ces composants sont présentés dans le Tableau 7.

Tableau 7: Composants considérés dans la personnalisation des poudres faciales

Pour définir les besoins exacts de chaque peau en ces 12 éléments, un diagnostic complet, portant sur une série de tests dermatologiques, doit être mené afin d’identifier la formule optimale (i.e. pourcentage optimal de chaque ingrédient dans le produit final pour chaque cliente). Pour cette étude de cas, l’ensemble des outputs considérés porte sur un échantillon de 100 peaux de femmes qui ont été théoriquement définies (sans contrôle par des spécialistes en dermatologie), ce qui signifie que certains individus de l'échantillon peuvent ne pas réellement exister, mais comme il s'agit de paramètres d'entrée, ils seront remplacés par des besoins réels une fois qu’une investigation complémentaire serait faite avec les spécialistes. Cet échantillon peut être consulté dans « S5.1». En utilisant la notation du modèle RB dans le tableau 1, J (nombre des outputs) étant égal à 100 et C (nombre de composants) étant égal à 12. Il est supposé qu'un CBC doit représenter au moins du poids de 100 grammes de poudre . Pour la déviation absolue tolérée, une structure exacteest choisie.

En appliquant le modèle RB à l'exemple ci-dessus, le problème obtenu contient 896 variables et 2116 contraintes, dont 1200 sont quadratiques non-convexes. La résolution de ce problème, sous le solveur Xpress, montre que seulement 8 CBC sont nécessaires pour satisfaire les J =100 outputs (voir la feuille «EC4_Données »). La composition optimale de ces CBC est fournie dans le Tableau 8.

Tableau 8: Composition optimale des 8 CBC nécessaires pour produire 100 poudres faciales

Les quantités optimales (indiquées dans la feuille «EC4_Résultats ») montrent que les CBC ont été utilisées en quantités minimales de grammes, ce qui équivaut à un minimum de 1 gramme puisque toutes les demandes ont été conventionnellement fixées à 100 grammes. La déviance absolue par rapport aux valeurs cible étant fixée à zéro pour l’ensemble des composants et outputs, la solution proposée permet de répondre de manière exacte aux spécifications chimiquesde toutes les poudres faciales considérées. Au-dessous de I=8 CBC, le solveur n’arrive plus à trouver une solution satisfaisant toutes ces spécifications.

Les résultats ci-dessus montrent que le RB peut permettre une énorme massification des flux en réduisant les flux à gérer de 100 % à seulement 8% (sous réserve d'expériences en laboratoire permettant de trouver des réactions chimiquement stables pour le développement de ces nouvelles formules). Il faut admettre que, contrairement au cas des engrais dont la BC a été définie avec l’aide d’experts en chimie, pour cet exemple des cosmétiques, la BC trouvée ne prend pas en compte la faisabilité chimique de ses composites. Cela ne remet pourtant pas en cause notre approche, une fois que les contraintes liées à cette faisabilité chimique sont connues, elles peuvent facilement être intégrées dans le modèle (pour les engrais, ces contraintes sont indiquées dans la liste des contraintes du tableau 2).     

5.   CONCLUSIon

Cet article s'inscrit dans une thématique actuelle et pertinente de la gestion industrielle, peu abordée pour les industries de process opérant dans un contexte de mélange. Il met en évidence les avantages potentiels du RB en tant qu'outil intelligent de gestion d'une grande variété de produits, en jouant simultanément sur la conception, la production et une différenciation retardée auprès du client.

L’analyse de ces études de cas permet de dégager trois axes de réflexion, si la différenciation retardée dans des chaînes logistiques chimiques est considérée comme la solution pour accroitre une diversité de produits considérée comme indispensable, comme c’est le cas pour les engrais.

Tout d’abord, le caractère disruptif de l’approche du RB implique qu’une telle transformation ne soit possible qu’à partir d’une approche pluridisciplinaire mobilisant non seulement des compétences en génie industriel mais aussi en chimie pour la fabrication des CBC et celle de spécialistes pour l’analyse des besoins potentiels à satisfaire (agronomes, dermatologues…). Cette mobilisation nécessite une implication forte et durable de la direction générale. Dans l’industrie pharmaceutique, seuls les deux (ou trois) premiers groupes à lancer un nouveau principe actif s’imposent sur cette fenêtre thérapeutique. Cet exemple peut inciter la Direction de certains grands groupes à investir dans le RB.

Le second axe de réflexion porte sur la « diversité d’usage potentielle ». La réflexion industrielle privilégie une diversité de l’offre. Dans l’industrie chimique, la diversité commerciale offerte est généralement définie pour répondre exactement à un nombre limité de besoins, définis à partir d’études de marché. Avec l’approche du RB, le raisonnement s’inverse : une même base canonique est utilisable pour répondre à des centaines ou des milliers de besoins, pour la plupart non encore identifiés.

Se pose enfin la question de la définition de l’échantillon conduisant à la création d’une BC. Cette question est à positionner dans une approche globale de chaîne logistique, faisant intervenir des centres de production pouvant desservir une ou plusieurs zones commerciales, de caractéristiques hétérogènes, au moyen d’un réseau de distribution (que le RB contribue à massifier). Si l’on prend l’exemple des engrais, on peut se poser la question de l’utilité d’un vaste échantillon planétaire de besoins d’engrais. Il est vraisemblable que l’on a intérêt à définir quelques échantillons correspondant à des marchés de très grande taille, à desservir à partir d’une ou deux usines. Une telle approche conduisant à autant d’ensembles disjoints de CBC, on peut se poser la question de savoir s’il n’est pas judicieux de mutualiser certains CBC, notamment dans une perspective de gestion des risques. Ce type réflexion doit s’appuyer sur des études économiques mobilisant des systèmes de coûts pertinents.

C’est en travaillant simultanément dans ces trois directions que le RB a des chances de pouvoir être adopté.

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7.   BIOGRAPHIE

 Latifa BENHAMOU   : Doctorante en sciences de gestion au LARGEPA (https://www.u-paris2.fr ) de l’Université Paris II Panthéon Assas de Paris et à l’EMINES School of Industrial Management (http://www.emines-ingenieur.org ) de l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguerir.

  Vincent GIARD   : Professeur émérite à l’Université Paris-Dauphine, PSL (http://www.dauphine.fr) et professeur affilié à l’EMINES School of Industrial Management (http://www.emines-in genieur.org) de l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguerir. Il est un spécialiste de management industriel et de management de projets (http://www.lamsade.dauphine.fr/~giard/ )

 Pierre FÉNIÈS : Professeur au LARGEPA de l’Université Paris II Panthéon Assas, où il dirige le master management de projets logistiques. Ses travaux de recherche portent sur le management de projet et le management industriel et logistique.

1 Latifa BENHAMOU, EMINES School of Industrial Management, Université Mohammed VI Polytechnique, Benguerir, Maroc. Latifa.Benhamou@emines.um6p.ma    

 

2 Vincent Giard, Université Paris-Dauphine, PSL Research University, vincent.giard@dauphine.psl.eu ,

3 Pierre FENIES , LARGEPA, Université Paris II Panthéon-Assas, Paris, France, pierre.fenies@u-paris2.fr

 



[1] Par souci de gain de place dans le texte, ce lien Mendeley a été créé pour stocker une grande masse de données. Il comprend un seul classeur Excel regroupant toutes les données d'entrée et les résultats des quatre études de cas. Dans ce qui suit, ces données sont référencées en appelant le nom de la feuille qui les contient.