Revue Française de Gestion Industrielle
Vol. 34, N° 1
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PLANIFICATION STRATEGIQUE POUR LA LOGISTIQUE
URBAINE : L'APPORT DE LA RECHERCHE OPERATIONNELLE
Olivier GUYON
1
, Nabil ABSI
2
, Daniel BOUDOUIN
3
& Dominique FEILLET
4
—————————
Résumé : Cet article cherche à évaluer comment les outils de la recherche
opérationnelle peuvent aider à la prise de décision stratégique en logistique
urbaine. Aussi bien les collectivités locales que les transporteurs ont besoin de
définir de nouveaux schémas d'organisation logistique dédiés aux
agglomérations. Nous rappelons dans un premier temps ce qu'est la logistique
urbaine et introduisons les Espaces Logistiques Urbains. Nous décrivons
ensuite deux modèles de recherche opérationnelle, le problème de conception
de réseau (network design problem) et le problème de localisation de sites
(facility location problem), à même de répondre à de nombreux questionnements
stratégiques en logistique. Nous donnons des exemples ces modèles ont
été déclinés pour la logistique urbaine. Nous concluons enfin par un regard
critique sur ces modèles et la nécessaire pluridisciplinarité pour traiter des
enjeux stratégiques de la logistique urbaine.
Mots-clés : Logistique urbaine, City logistics, Transport de Marchandises en Ville, Recherche
opérationnelle
1. Introduction
La circulation des marchandises est une donnée importante dans l'économie des villes
et dans la qualité de vie de ses habitants (particuliers et professionnels). Le fonctionnement
d'une ville implique en effet mécaniquement des échanges de marchandises et le volume de
ces derniers est reconnu comme étant un bon indicateur de la dynamique des zones
urbaines.
1
Dans la période où cette recherche a été effectuée, O. Guyon était chercheur post-doctoral à l’Ecole
des Mines de Saint-Etienne, CMP Georges Charpak, 13541 Gardanne, France
2
Chargé de recherche, Ecole des Mines de Saint-Etienne, CMP Georges Charpak, 13541 Gardanne,
France, absi@emse.fr
3
Chercheur, Jonction, CRET-LOG, 13625 Aix en Provence, France, boudouin@jonction.fr
4
Professeur, Ecole des Mines de Saint-Etienne, CMP Georges Charpak, 13541 Gardanne, France,
feillet@emse.fr
100 O. GUYON, N. ABSI, D. FEILLET, D. BOUDOUIN
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Ces déplacements engendrent malheureusement des conditions de circulation qui se
dégradent sans cesse dans des villes de plus en plus polluées et congestionnées. De
nouveaux schémas logistiques, respectueux de l'environnement, doivent donc être
réinventés pour mieux coller au mode de fonctionnement des agglomérations. C'est dans
cette optique qu'est étudiée depuis quelques années une nouvelle problématique : la
logistique urbaine (city logistics).
Au milieu des années 1990, devant les nouveaux problèmes de distribution de
marchandises auxquels elles se trouvaient confrontées, les collectivités locales ont fait appel
au monde de la Recherche, et plus spécifiquement aux chercheurs spécialisés en économie
du transport ou en sciences de gestion, pour fournir des diagnostics et proposer des
solutions dédiées (Routhier, 2002). Un nombre important d'expérimentations ont alors vu le
jour à travers le monde (Geroliminis et Daganzo, 2005). Elles ont malheureusement souvent
été menées de manière indépendante, sans qu'un schéma applicatif générique n'ait pour le
moment vu le jour. Le constat actuel porte alors sur la réelle nécessité d'établir une démarche
globale, pour la logistique urbaine, avec évaluation a priori et a posteriori des résultats
(Delaître et alii, 2007).
En parallèle de ces expérimentations sur le terrain, la recherche opérationnelle
commence elle aussi à s'intéresser à la logistique urbaine. Cette communauté, qui propose
des modèles conceptuels pour analyser des situations complexes et permet aux décideurs de
faire les choix les plus efficaces, est en effet capable de proposer des outils d'aide à la
décision pour l'organisation de la distribution urbaine. De nouveaux problèmes
académiques, souvent basés sur des modèles classiques bien connus, ont commencé à être
étudiés. Toutefois, ces problèmes s'avèrent souvent éloignés des préoccupations concrètes
des différents acteurs de la logistique urbaine, et donc peu applicables.
Il nous paraît clair qu'une collaboration entre les différentes communautés constituerait
une force évidente pour résoudre les nouveaux problèmes liés à la logistique urbaine. D'un
côté, l'expertise-métier et la remontée d’informations du terrain sont nécessaires pour la
définition et l'évaluation de nouveaux schémas logistiques adaptés innovants. D'un autre
côté, la recherche opérationnelle peut fournir des outils pour aider à l'optimisation a priori
de la mise en place de tels schémas.
A notre connaissance, les travaux collaboratifs sont encore rares. Nous nous
l'expliquons par un manque de connaissance réciproque de la nature des problèmes et des
solutions proposées par chacune de ces communautés. Nous entendons alors contribuer à
leur rapprochement en identifiant en quoi les outils de la recherche opérationnelle peuvent
apporter des réponses à des questions soulevées par la logistique urbaine.
Afin de limiter le spectre de l'étude, nous ne couvrons que les problèmes dits
stratégiques, c'est-à-dire liés à des décisions sur le long terme, typiquement relatives au
dimensionnement/positionnement de structures logistiques et aux stratégies de distribution.
Ce travail fait suite au projet PLUME
5
qui visait à modéliser la problématique du
positionnement de plateformes de distribution pour la desserte urbaine.
Le plan de cet article est le suivant. Nous rappelons tout d'abord les concepts et les
enjeux de la logistique urbaine, en insistant particulièrement sur ce qui la différencie de la
5
Projet réalisé en partenariat avec SOGARIS et le cluster PACA Logistique dans le cadre de la
convention de subvention N°09 MT CV 39 du Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement
durable et de la Mer en charge des Technologies vertes et des Négociations sur le climat (PREDIT 4)
101 Planification stratégique pour la logistique urbaine :
l’apport de la recherche opérationnelle
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logistique de distribution classique et sur les équipements mis en jeu (section 2). Nous
introduisons ensuite, dans la section 3, deux modèles de recherche opérationnelle génériques
importants pour la planification stratégique de la distribution : le problème de conception de
réseau (network design problem) et le problème de localisation de sites (facility location problem).
Ces deux modèles, étudiés dans de très nombreuses variantes, constituent le socle de tout
modèle de recherche opérationnelle pouvant adresser la logistique urbaine un niveau
stratégique). La présentation est ici volontairement didactique afin de bien faire ressortir la
structure de ces deux modèles pour des non-spécialistes. La section suivante liste quelques
études où ces deux modèles sont déclinés pour traiter des cas relatifs au transport de
marchandises en ville (section 4). L'article se poursuit par une discussion sur les opportunités
offertes par les outils de la recherche opérationnelle, mais aussi leurs limites et les freins à
lever pour capturer au mieux les spécificités de la logistique urbaine (section 5).
2. Schémas de distribution en logistique urbaine
2.1. Définitions et contexte
La logistique urbaine est le procédé par lequel on optimise les activités de logistique et de
transport des compagnies privées avec l'aide de systèmes d'information avancés pour la gestion du
trafic, de sa congestion, de la sécurité et des ressources d'énergie dans les agglomérations, à l'intérieur
d'une économie de marché (Papaux, 2006). Elle considère ainsi, sous plusieurs critères
d'évaluation, le Transport de Marchandises en Ville sur l'ensemble de sa chaîne logistique,
depuis le producteur jusqu'au client en passant par des zones de
stockage/entreposage/dégroupage éventuelles. Le TMV se constitue de trois composantes :
les flux relatifs aux établissements du secteur privé
les déplacements effectués par les particuliers pour s'approvisionner
les flux annexes dus aux autres activités (déchetteries, services publics,
déménagements, livraisons à domicile, services postaux, hôpitaux)
Le TMV génère une part importante des flux motorisés en ville. En France, 13 à 20%
des déplacements dans une agglomération et 25% d'occupation de la voirie urbaine sont
générés par le TMV (Dufour et alii, 2002). Ces déplacements sont nécessaires à la dynamique
des villes mais ne vont pas sans quelques désagréments (Delaître et alii, 2007).
Au niveau fonctionnel, les voiries urbaines des grandes agglomérations sont de plus en
plus congestionnées. Les véhicules dédiés au TMV stationnent sur des emplacements
illicites, et donc gênants pour la circulation, dans 60% à 80% des cas (Dufour et alii, 2002).
Au niveau économique, les coûts induits, aussi bien au niveau des infrastructures que
des coûts de desserte, par la circulation de marchandises en ville sont des charges très
importantes. La livraison du dernier kilomètre représente en effet 20% du coût total de la
chaîne de distribution (Interface Transport et alii, 2009).
Au niveau environnemental et sociétal, le transport de biens dans les agglomérations
est responsable d'une part importante de la pollution atmosphérique et sonore subie par les
citadins. A Tokyo, 77% des émissions en oxyde d'azote (NO) sont dues au transport de
marchandises (Organisation for Economic Co-operation and Development, 2003).
Bien que déjà élevée, la quantité de marchandises transportée en milieu urbain
augmente régulièrement et augmentera à taux régulier (Crainic, 2008). Les grandes
agglomérations se densifient très rapidement et très fortement : l'OCDE prévoit que la
population urbaine de ses pays membres atteigne 85% de sa population totale en 2020
102 O. GUYON, N. ABSI, D. FEILLET, D. BOUDOUIN
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(contre 50% en 1950 et 77% en 2000). Aussi, des nouveaux modes de fonctionnement des
entreprises, telle la gestion des stocks en flux tendu, et de consommation des particuliers,
comme l'explosion du e-commerce (Taniguchi et Kakimoto, 2003 ; Paché, 2010), favorisent
une multiplication de ces transports.
Longtemps sous-estimés par rapport au transport de passagers, les enjeux liés à la
distribution urbaine et les problèmes de transport qu'elle pose dans les agglomérations sont,
depuis une vingtaine d'années, mieux considérés par les collectivités. Des initiatives et
expérimentations menées partout dans le monde, notamment en France avec le Programme
National Marchandises en Ville (Gérardin Conseil, 2007), en Europe avec les actions COST et
le réseau BESTUFS ou au Japon, ont permis de mieux appréhender cette question de
l'efficacité des systèmes de transport de marchandises dans les agglomérations. Cependant,
le chemin vers une gestion optimale durable de la distribution urbaine est encore long
(Dablanc, 2007).
2.2. Spécificités de la distribution en logistique urbaine
Jusqu'alors, la distribution de marchandises en ville n'était pas différenciée de la
distribution classique. Traditionnellement, les transporteurs disposaient d'une plateforme en
périphérie des grandes villes. Depuis celle-ci s'effectuaient des tournées quotidiennes des
camions, souvent volumineux, étaient utilisés pour permettre la livraison et le ramassage
des marchandises dans un périmètre large non exclusivement urbain.
Cette organisation a longtemps été préférée car elle présentait la meilleure rentabilité.
L'avantage principal d'un tel mode de distribution est que le coût du foncier est moins élevé
en périphérie qu'en pleine ville. Pendant de nombreuses années, cet argument a prédominé
car les autres coûts (notamment les coûts de distribution) n'étaient pas assez élevés pour
justifier de la mise en place d'un autre mode de fonctionnement.
Cependant, ce système, efficace durant de nombreuses années, semble aujourd'hui être
arrivé à échéance. L'émergence de nouveaux facteurs fait qu'il est désormais obligatoire pour
les opérateurs de transport de trouver des schémas logistiques innovants dédiés aux villes.
Désormais, l'équilibre entre coûts fonciers et coûts de distribution a changé. La part de
cette deuxième charge est désormais suffisamment importante pour repenser les
implantations des plateformes logistiques et les stratégies de distribution. A notre sens,
quatre facteurs expliquent l'augmentation de la part des coûts de distribution en ville.
Tout d'abord, on peut bien évidemment citer l'augmentation significative ces dernières
années du prix de l'essence. A volume constant, il est nettement plus onéreux de transporter
des marchandises actuellement qu'il ne l'était il y a encore seulement quelques années.
Aussi, l'apparition du e-commerce est une raison importante. Les besoins de livraison
aux particuliers ont explosé avec l'avènement de ce nouveau mode de consommation. Les
transporteurs doivent livrer de plus en plus de marchandises en ville (là où habite la majeure
partie de la population) tout en s'adaptant aux exigences de cette clientèle. A l'inverse des
professionnels, les particuliers veulent être livrés en dehors des heures de bureau. Dès lors,
les transporteurs doivent multiplier le nombre de tournées intra-urbaines pour livrer
davantage et dissocier au mieux tournées de particuliers et tournées de professionnels.
La congestion accrue des zones urbaines est également un facteur notable. Ce
phénomène a deux conséquences directes : l'augmentation des temps de livraison et la plus
grande incertitude sur les durées exactes des tournées. Il est en effet de plus en plus
compliqué pour un camion venant de l'extérieur de la ville de pénétrer puis circuler en ville.
Ces difficultés intrinsèques sont aussi renforcées par la multiplication des réglementations
103 Planification stratégique pour la logistique urbaine :
l’apport de la recherche opérationnelle
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contraignantes à destination des véhicules de livraison pour endiguer la congestion (horaires
d'accès en ville, tonnage limité).
Enfin, les transporteurs font désormais face à une évolution des mœurs de la société
qui demande plus de considération pour les coûts environnementaux et sociétaux de la
logistique (impact sur le changement climatique, pollution atmosphérique et visuelle, bruit,
accidentologie, production d'énergie, congestion…). En pratique, il est très complexe de
définir des métriques pour quantifier ces coûts. A ce sujet, des avancées politiques (Maibach
et alii, 2008) et scientifiques (Henriot et alii, 2008 ; Quariguasi Frota Neto et alii, 2008 ; Patier
et Routhier, 2009 ; González-Feliu et Morana, 2010) sont à noter. Cependant, le chemin à
parcourir pour harmoniser les méthodes d'estimation du développement durable semble
encore long (Gérardin Conseil, 2007).
La convergence de ces facteurs fait alors de la distribution en logistique urbaine une
problématique spécifique les acteurs-métier (expéditeurs/détenteurs de fret,
transporteurs et élus) doivent innover. Ils doivent concevoir des organisations différentes
des modes de distribution classiques actuellement utilisés et dont l'applicabilité et la
rentabilité sont de moins en moins assurées. Depuis maintenant quelques années, de
nouvelles solutions techniques dédiées ont été testées, regroupées sous le terme d’Espaces
Logistiques Urbains (ELU).
2.3. Les Espaces Logistiques Urbains
Les Espaces Logistiques Urbains sont une réponse au besoin de retour au cœur des
villes de plateformes physiques (de stockage, entreposage, dégroupage) (Boudouin, 2006).
Les ELU servent de pilotes du système logistique urbain dans un environnement le coût
du foncier est particulièrement élevé et les nuisances (sonores, visuelles) doivent être
limitées. Ces installations participent à une organisation cohérente de la circulation des
marchandises en ville fondée sur une répartition harmonieuse des lieux de rupture de charge
dans l'espace (Paché, 2010). Elles contribuent à une meilleure gestion structurelle de la ville
(dynamiser des zones denses, fluidifier la circulation), à des économies de gestion (limiter les
coûts d'infrastructures et de transport) mais aussi à une amélioration de l'impact
environnemental de la logistique urbaine (améliorer l'image du centre-ville, minimiser le
nombre de véhicules, les émissions de polluants). On distingue cinq catégories d'ELU
(résumés extraits de (Dufour et alii, 2002)):
Les Zones Logistiques Urbaines. Les ZLU ont pour finalité de localiser les
professionnels à proximité de leurs clients afin de limiter les mouvements de
véhicules. Les gares ferrées, Marchés d'Intérêt National, hôtels logistiques, espaces
spécialisés, sont des ZLU.
Les Centres de Distribution Urbaine. Les CDU permettent de mutualiser les flux
qui pénètrent ou sortent de la ville en les canalisant vers un site où sont groupées ou
dégroupées les marchandises avant la distribution finale par un opérateur unique
(public ou privé).
Les Points d'Accueil des Véhicules. Les PAV sont destinés à la livraison d'envois
de petite taille, ils offrent aux véhicules utilitaires la possibilité de stationner en un
lieu gardienné, garanti libre d'accès et sécurisé, d'où le chauffeur-livreur rejoint à
pied le lieu de destination.
Les Points d'Accueil des Marchandises. Les PAM permettent de concentrer les
envois à destination ou en provenance d'une zone difficile d'accès. Ces interfaces de
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faible superficie se substituent au destinataire ou à l'expéditeur pour éviter le
dernier mètre.
Les Boîtes Logistiques Urbaines. Les BLU sont des interfaces qui permettent de
relier le transporteur et le client sans que la présence d'une personne sur le lieu de
transfert ne soit nécessaire, tels des sas, des casiers aménagés ou apportés, des
automates…
Des expérimentations sur la mise en place d'espaces logistiques urbains ont vu le jour à
travers le Monde. Pour ne donner que quelques exemples français, on peut citer Paris et
Marseille pour les ZLU, Monaco et La Rochelle pour les CDU, Bordeaux pour les PAV, les
quelques 3900 relais Kiala pour les PAM, la Poste (Cityssimo), Consignity et DHL
(Packstation) pour les BLU, ou Géodis pour le dispositif Distripolis (Browne et alii, 2005).
Toutes ces tentatives prouvent bien l'intérêt de schémas logistiques innovants dédiés à
la distribution urbaine. Les résultats de ces initiatives démontrent cependant également que,
malgré leurs atouts organisationnels (Paché, 2010), de tels schémas sont difficiles à mettre en
place. Le choix du type d'installation, leur localisation et bien d'autres paramètres doivent
être pris en compte pour un fonctionnement pérenne. En effet, les projets expérimentaux
menés jusqu'alors n'ont pas tous abouti à de francs succès. Force est de constater que nombre
d'entre eux constituent aujourd'hui des demi-réussites, certains devant même leur survie à
l'injection régulière de fonds publics (González-Feliu et Morana, 2010).
Face à ce constat, il apparaît clair que la recherche opérationnelle peut s'avérer d'une
très grande utilité, que ce soit pour les collectivités ou bien les entreprises spécialisées en
distribution urbaine. La recherche opérationnelle est en effet en mesure de développer des
outils dédiés d'aide à la décision servant efficacement à la mise en place physique de
solutions innovantes pour une meilleure organisation de l'outil logistique urbain des grandes
agglomérations.
Dans la section suivante qui se veut volontairement didactique, nous présentons deux
modèles pour la planification stratégique de la distribution très étudiés en recherche
opérationnelle. Ces deux modèles génériques n’ont pas de lien direct avec la logistique
urbaine et sont simplistes par rapport à la majorité des problèmes de planification
stratégiques rencontrés par les industriels dans la gestion de leur chaîne logistique. Malgré
tout, ils ont prouvé à de très nombreuses reprises leur capacité d’adaptation à des
problématiques réelles et sont à la base des moteurs d’optimisation de nombreux outils du
marché. Leur déclinaison dans la cadre de la logistique urbaine est l’objet de la section 4.
3. Deux modèles génériques pour la planification stratégique de la
distribution
Deux problématiques génériques se dégagent lorsqu'on évoque la planification
stratégique de la distribution : le problème de conception de réseau (network design problem)
et le problème de localisation de sites (facility location problem). Ainsi, le network design problem
s'intéresse d'un côté à définir la meilleure conception des réseaux de distribution alors que le
facility location problem vise lui à optimiser la localisation des différentes infrastructures de la
chaîne logistique à optimiser. Ces deux problématiques ont fait l'objet de très nombreux
travaux en recherche opérationnelle. Pour l'essentiel, l'échelle géographique considérée est
celle d'une région, d'un pays, voire internationale ou mondiale. La littérature est très riche en
exemples pratiques ces modèles ont été adaptés et appliqués avec succès pour la
conception de schémas logistiques.
105 Planification stratégique pour la logistique urbaine :
l’apport de la recherche opérationnelle
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Nous définissons ici de manière didactique, à l'attention de non-spécialistes de la
recherche opérationnelle, la version originelle de ces deux problèmes. La terminologie
française n'étant pas clairement établie dans la plupart des cas, nous privilégions la
terminologie anglo-saxonne.
3.1. Problème de conception de réseau (network design problem)
Le network design problem vise à concevoir un réseau optimal sur lequel des entités,
appelons-les produits, seront transportées entre différents points. Conçu dans les années
1960 pour des problématiques de conception de réseaux de télécommunication, le panel
d'application du network design problem couvre désormais la micro-informatique, les réseaux
de transport (personne, énergie, eau…), la logistique
Dans le modèle générique, le fixed cost network design problem (Minoux, 1989), on
considère un graphe G = (N, A), avec N un ensemble de nœuds et A un ensemble d'arcs. On
s'intéresse de plus à un ensemble de produits p P à transporter sur le réseau ; une quantité
de chaque produit transitant depuis un nœud origine
vers un nœud
destination
. Le problème consiste alors à déterminer le sous-ensemble d'arcs de A qui
assure le transit de l'ensemble des produits de P au moindre coût. Le coût d'une solution se
caractérise par la somme des coûts fixes de sélection des arcs (chaque arc de A a un coût de
conception) et des coûts de transport, dits variables (chaque arc de A a un coût de transport
selon le produit p P en transit).
La Figure 1 illustre une instance d'un fixed cost network design problem. Dans cet
exemple, volontairement très réduit, on s'intéresse à un unique produit
et à un graphe G
composé de 4 nœuds et 5 arcs. 7 unités de
doivent transiter depuis le nœud 1 vers le nœud
4. La solution optimale de cette instance consiste à faire circuler les 7 unités de
sur les arcs
(1,2), (2,3) et (3,4). On obtient ainsi une solution de coût 133 correspondant à la somme des
coûts fixes de sélection des arcs (20+5+10) ajoutée à la somme des coûts de transport
(7×(2+2+10)).
Figure 1: Exemple d'un fixed cost network design problem
Une multitude de variantes à ce modèle de base existent. Toutes exploitent ce modèle
générique et y rattachent des contraintes additionnelles (plusieurs produits en transit, des
capacités sur les arcs, des contraintes budgétaires, une distance maximale de transit d'un
produit à respecter et/ou des fonctions-objectif différentes). Des méthodes de résolution,
souvent basées sur des modèles mathématiques, permettent alors d’obtenir des schémas
optimaux ou quasi-optimaux.
3.2. Problème de localisation de sites (Facility location problem)
Le facility location problem fait référence à une classe de problèmes de localisation de
sites dans un espace géographique prédéfini.
Sommairement, chaque variante du facility location problem considère en entrées deux
106 O. GUYON, N. ABSI, D. FEILLET, D. BOUDOUIN
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ensembles J et. J est un ensemble de nœuds (appelés dépôts) représentant chacun une
localisation possible pour l'implantation d'un maillon terminal de la chaîne logistique
(typiquement une usine de fabrication et son entrepôt, ou une plateforme de distribution).
est un ensemble de nœuds symbolisant chacun un client i I caractérisé par un niveau de
demande
. Un des objectifs du problème consiste à déterminer un sous-ensemble de nœuds
sur lesquels créer des dépôts. Chaque client est alors rattaché à un ou plusieurs dépôts qui le
desservent.
Dans la version de base du problème, le p-median problem, on s'intéresse à localiser
exactement p dépôts puis à rattacher chaque client à l'un d'eux. L'objectif du problème
consiste à minimiser la somme totale des distances, pondérées par les demandes, des clients
à leur dépôt. Le p-median problem est NP-difficile (Kariv et Hakimi, 1979).
La Figure 2 décrit une instance de p-median problem avec 5 clients, 3 localisations et 2
dépôts à localiser. Dans la solution proposée, les clients ayant une demande respective égale
à 100 et à 20 sont liés à un premier dépôt, alors que les clients dont la demande vaut
respectivement 50, 15 et 10 sont connectés à l'autre localisation retenue.
D’autres variantes du facility location problem existent (Klose et Drexl, 2005 ; Revelle et
alii, 2008). Toutes se basent sur la modélisation générique et y ajoutent des contraintes ou
objectifs supplémentaires (le nombre de dépôts à ouvrir est une variable à décider, les
dépôts ont des capacités à respecter, plusieurs produits ou périodes sont considérés…).
4. Recherche opérationnelle et conception de schémas de logistique
urbaine
Dans cette section nous donnons quelques exemples d’études qui relèvent des modèles
de recherche opérationnelle présentés ci-dessus et qui adressent des problèmes de
conception de schémas de logistique urbaine. Notre but n’est pas ici de faire un état de l’art
exhaustif qui s’adresserait à des experts en recherche opérationnelle. Pour des états de l’art
détaillés, nous nous référons à (Srivastava, 2007) pour des problématiques liées à la
logistique verte (green logistics), à (Crainic et alii, 2009) pour celles concernant la logistique
urbaine, et à (Farahania et alii, 2013) pour des problèmes liés à la conception de réseaux de
transport urbains.
Comme indiqué précédemment, une première caractéristique de la logistique urbaine
est la présence d’ELU, c’est-à-dire, de plateformes physiques à proximité du client final.
50
100
client, dont la demande vaut q
q
10
50
15
20
a/ Instance
100
affectation d’un client à un dépôt
localisation sélectionnée
10
15
20
b/ Solution
Figure 2 : Exemple d'un p-median problem
107 Planification stratégique pour la logistique urbaine :
l’apport de la recherche opérationnelle
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Deux questions stratégiques importantes sont de décider localiser ces ELU et comment
assurer la livraison des clients depuis ces derniers.
Pour commencer à y répondre, une problématique ressort tout particulièrement des
travaux de la recherche opérationnelle appliquée à la logistique urbaine. Il s'agit du
problème de tournées de véhicules à deux niveaux (two-echelon vehicle routing problem)
(Jacobsen et Madsen, 1980 ; González-Feliu, 2008). Dans ce problème, des systèmes de
logistique urbaine à deux niveaux sont étudiés. Au premier niveau, des marchandises sont
transportées par des véhicules volumineux depuis un unique dépôt principal (généralement
une plateforme située aux abords de l'agglomération considérée) vers un nombre fixé de
structures de petite taille (situées au cœur de la ville) où elles sont transférées à des véhicules
légers. Au second niveau, les véhicules légers effectuent des tournées pour livrer les
marchandises aux clients auxquels elles sont destinées. Le dispositif Distripolis de la société
Géodis est une illustration pratique du two-echelon vehicle routing problem. Dans ce système,
des marchandises sont expédiées depuis une plateforme située en dehors de la ville (ZLU)
vers des bases logistiques urbaines écologiques (assimilables à des PAM) d’où sont effectuées des
tournées de livraison en véhicules légers vers les clients finaux.
Le projet PLUME
6
adresse la problématique de localisation des ZLU pour la livraison
en centre ville de Marseille (Absi et alii, 2010). Dans le cadre de ce projet, il a été développé
un outil d’aide à la décision pour la localisation de ZLU dans une ville en tenant compte de
contraintes organisationnelles (accès restreints à des zones, autonomie des véhicules...) et en
optimisant différents objectifs (économique, environnemental et sociétal). Le problème traité
révèle des similarités avec le location routing problem (modèle de localisation de sites
considérant explicitement des tournées de distribution) mais intègre des contraintes
particulières (livraison de zones au lieu de livrer des clients finaux).
Une organisation plus futuriste et mutualisée a été proposée dans le cadre du projet
MODUM
7
. Celle-ci repose sur un ensemble de CDU à localiser dans la périphérie ou le centre
de la ville permettant ainsi la livraison du dernier kilomètre. Ces CDU sont reliés par une
navette (train, tram ou camion volumineux) permettant la circulation des marchandises entre
eux. Des solutions mathématiques pour répondre aux questions de localisation de CDU et
d’affectation des clients sont proposées (Gianessi et alli, 2013).
De manière générale, la plupart des problèmes en lien avec la logistique urbaine
adressés par la communauté de la recherche opérationnelle étudient la rentabilité de la
consolidation des marchandises à travers des CDU (Taniguchi et Thompson, 2002 ; Crainic et
alii, 2009). L'essentiel des contributions porte sur la description du système de distribution et
la modélisation sous forme de programme linéaire en nombres entiers. Cette attirance vers
les CDU s'explique doublement. D'une part par l'attractivité de la mutualisation, qui semble
une solution naturelle pour une meilleure consolidation des flux et organisation de la
distribution. D'autre part car une prise de décision centralisée, qui est une des conséquences
de la mise en place de CDU, correspond bien aux paradigmes habituels de la recherche
opérationnelle. En effet, dans les modèles classiques, une fonction globale, dictant l'ensemble
des décisions, doit être optimisée. Ce point est développé dans la section 5.
6
Projet PLUME : Plates-formes en centre-ville pour la Logistique Urbaine : étude sur la ville de Marseille
7
Projet MODUM : Mutualisation et Optimisation de la distribution Urbaine de Marchandises
108 O. GUYON, N. ABSI, D. FEILLET, D. BOUDOUIN
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5. Opportunités et limites de la recherche opérationnelle pour la
logistique urbaine
Face à un nouveau problème, la méthodologie d'un projet de recherche opérationnelle
se compose d'un ensemble d'étapes, globalement réalisées de manière séquentielle (même si
des retours en arrière sont toujours nécessaires), tel qu'illustré dans la Figure 3.
Figure 3 : Méthodologie de la recherche opérationnelle
Le cœur de l'expertise des spécialistes de la recherche opérationnelle concerne les
étapes de modélisation (élaboration du modèle) et de résolution (phase de résolution). Les
autres étapes nécessitent l'implication d'autres acteurs, ainsi qu'une forte coopération entre
ces acteurs et les experts de recherche opérationnelle. Deux phases sont particulièrement
critiques :
Phase de formulation du problème. Il s'agit ici de définir les contours de la
modélisation, à savoir, les indicateurs qui doivent être mis en avant, les contraintes
qu'il faut intégrer, le degré de finesse vers lequel tendreIl est alors indispensable
d'être capable de comprendre de manière précise les enjeux de la problématique
étudiée, les déterminants, les leviers sur lesquels agir. Il est tout aussi essentiel de
mettre en relation les choix fait à ce stade et leur impact pour les phases suivantes,
notamment la modélisation et la résolution.
Phase de collecte des données. Il s'agit ici d'alimenter le modèle en données. De
nouveau, il est essentiel d'anticiper sur cette phase lors de la formulation du
problème. En effet, les résultats obtenus en fin d'étude ne pourront être crédibles
que si les données initiales le sont elles-mêmes. A la question de la précision des
valeurs affectées aux données, s'ajoute aussi la difficulté d'accéder à ces données :
quelqu'un les détient-il ? qui ? la difficulté de rassembler l'ensemble des données
peut-elle faire échec au projet ?
Décliné dans le cas de problèmes stratégiques pour la logistique urbaine, plusieurs
difficultés importantes apparaissent liées à ces deux étapes. Ces difficultés sont présentées,
classées par thème, ci-dessous. L’objet n’est pas ici de dire qu’il s’agit de points bloquants,
rendant inutile l’utilisation de la recherche opérationnelle, mais bien au contraire de mieux
définir ce que peut et ne peut pas (ou plus difficilement) faire la recherche opérationnelle,
afin d’éviter les désillusions. Il est de plus essentiel de bien garder en tête que les résultats
fournis par les modèles de recherche opérationnelle, et ceci est particulièrement vrai dans un
109 Planification stratégique pour la logistique urbaine :
l’apport de la recherche opérationnelle
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 34, N° 1
contexte stratégique, ne sont que des éléments parmi d’autres pour guider des décisions
généralement très complexes et à très fort impact, et qu’il ne faut pas en attendre une vision
exhaustive et complète.
Sur tous les thèmes développés ci-dessous, de nombreux auteurs ont proposés des
solutions ponctuelles et ont parfois pu développer des outils d'aide à la décision performants
(Munuzuri et alii, 2011) ; malgré tout, des solutions plus globales vers lesquelles la
littérature convergerait restent à trouver.
5.1. Modélisation de la demande
Dans la ville, la demande en ramasse ou livraison est extrêmement dynamique. A un
niveau stratégique, elle ne peut évidemment pas être modélisée en considérant explicitement
chaque point de demande, d'une part du fait de la quantité de données qu'il y aurait à traiter,
mais aussi et surtout car cette information ne se découvre qu'au plus quelques heures ou
quelques jours à l'avance.
Il s'avère donc nécessaire d'agréger la demande en demande par secteur. Chaque
secteur se verra ainsi associé un niveau de demande à satisfaire quotidiennement. Selon les
besoins, il sera possible d'indicer par le temps le niveau de demande, de manière à traduire
une évolution de la demande par secteur tout au long de l'horizon de planification considéré.
De même, on pourra indicer la demande par type de produits, de manière à traduire
d'éventuelles différences d'organisations ou différentes contraintes spécifiques aux produits.
Traditionnellement, dans les modèles de localisation ou de conception de réseaux, les
données sont modélisées de manière déterministe. C'est une demande moyenne qui sera
retenue pour chaque secteur en fonction d'historique ou de prévisions. Des scénarios
d'augmentation ou de diminution de la demande pourront également être testés pour
évaluer la robustesse du système. La modélisation de la demande sous forme stochastique
est également possible, mais peut très fortement compliquer la phase de résolution.
5.2. Modélisation du transport
Un deuxième point concerne la modélisation de l'activité de transport proprement dite.
Les trajets réalisées par les véhicules, sont évidemment au cœur de la logistique urbaine et se
planifient à un niveau opérationnel, en fonction des besoins quotidiens. A un niveau
stratégique, on ne peut donc en avoir qu'une vision agrégée et approximative. L'impact des
décisions stratégiques (localisation des plateformes, type de véhicules utilisés) sur le
transport doit malgré tout pouvoir être pris en compte.
Les modèles classiques de localisation (section 3.2) abordent cette question en se
limitant à affecter les clients (qui seraient ici les secteurs à desservir dans la ville) aux
plateformes de distribution. L'impact du transport est alors évalué à travers des coûts
d'affectation et sous-entend une distribution sous forme d'aller-retour entre les plateformes
et les clients.
Une deuxième approche, introduite plus récemment, donne lieu aux modèles dits de
localisation-routage (location-routing) (Nagy et Salhi, 2007). Des tournées sont alors
explicitement considérées dans la phase de distribution. Mais, sachant que la demande est
agrégée en secteurs, ces tournées ne peuvent représenter des itinéraires détaillés mais
seulement une séquence de secteurs à visiter. Des temps et coûts de service doivent alors
typiquement être associés à la satisfaction de la demande d'un secteur. Egalement, des
distances inter-secteurs doivent être introduites. La définition de ces données peut être très
problématique.
110 O. GUYON, N. ABSI, D. FEILLET, D. BOUDOUIN
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 34, N° 1
Dans (Absi et alii, 2010), nous proposons, dans le contexte de la messagerie, une
approche intermédiaire. Sachant qu'une tournée ne servira qu'un nombre très restreint de
secteurs et que ces secteurs seront forcément proches, nous proposons de ne tenir compte
que de coûts d'approche (plateforme vers secteur) et de retour (secteur vers plateforme) et de
coûts internes aux secteurs. Des contraintes de compatibilité sont introduites pour interdire
de combiner des secteurs éloignés dans une même tournée. Le double avantage de cette
modélisation par rapport à celle de localisation - routage est de limiter l'introduction de
données très difficiles à définir et de réduire la complexité de la résolution. Une limite de
cette dernière approche est de ne pas associer d'horaires aux trajets d'approche et de retour,
ni aux visites de secteurs.
5.3. Modélisation des critères à optimiser
La plupart des modèles de localisation ou de conception de réseaux cherchent à
optimiser une fonction qui représente une valeur économique. La solution recherchée est
alors le meilleur compromis entre des coûts liés aux équipements (réseau de distribution,
plateformes) et des coûts de transport. Dans le cas de la logistique urbaine, les critères
environnementaux et sociétaux doivent nécessairement trouver leur place. Ceci amène
naturellement à une approche multicritère, maintenant très classique en recherche
opérationnelle (Ehrgott, 2005).
Malgré tout, la modélisation fine de critères environnementaux reste encore à explorer.
Il est aisé de modéliser des nombres de particules émises comme étant le produit entre des
distances parcourues et des particules émises au kilomètre, mais cela ne reflète que très
partiellement la réalité, d'autant plus dans un contexte les véhicules subissent des
changements répétés de vitesse et de nombreux arrêts. Plusieurs études sont en cours sur
cette question (Zanni et Bristow, 2010 ; Bektas et Laporte, 2011).
La modélisation de critères sociétaux est encore plus problématique pour un modèle de
recherche opérationnelle car une traduction quantitative de critères par nature qualitatifs, est
nécessaire.
5.4. Modélisation des jeux d'acteurs
Une des difficultés du contexte urbain est d'impliquer une multitude d'acteurs. En
simplifiant, on peut dégager deux catégories principales d'acteurs concernés par la
conception de schémas de distribution en ville : les entreprises impliquées (entreprises de
transport, aménageurs logistiques...) et les collectivités locales (qui reflètent également les
attentes des clients finaux - détaillants, habitants).
Dans un contexte stratégique, le but des modèles de recherche opérationnelle est
d'aider à la prise de décision en permettant de quantifier (selon les critères définis) la qualité
de différents scénarios (qui se traduisent par différents jeux de données alimentant les
modèles). Les critères optimisés servent alors de guide pour affecter des valeurs optimales
aux différentes variables du modèle. Ceci sous-entend une prise de décision centralisée pour
toutes les variables du modèle. En d'autres termes, malgré la présence de plusieurs acteurs,
les solutions proposées seront celles réalisant un meilleur compromis à un niveau global,
sans que chaque acteur ne soit libre d'optimiser lui-même sa propre décision.
Les cas de distribution mutualisée se prêtent parfaitement à ce type d'approche. Dans
le cas contraire, les modèles peuvent servir à un acteur industriel unique, qui cherchera à
optimiser son propre réseau, ou aux collectivités, dans l'hypothèse que les simplifications
induites par la modélisation sont acceptables. Intégrer réellement dans les modèles les jeux
d'acteurs, impliquerait de se tourner vers d'autres outils, tels que ceux de la théorie des jeux.
111 Planification stratégique pour la logistique urbaine :
l’apport de la recherche opérationnelle
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 34, N° 1
Mais l'utilisation de tels outils combinés aux modèles de recherche opérationnelle classiques
dans un cadre aussi complexe que la logistique urbaine reste encore hors de portée.
5.5. Généricité des outils
Par nature, les modèles de recherche opérationnelle traduisent très précisément un
problème formulé lui-même très précisément (voir Figure 3) - même si cette formulation très
précise peut être ou ne pas être une représentation très précise de la réalité. Modifier la
formulation du problème nécessite une adaptation, non nécessairement triviale, du modèle,
voire des méthodes de résolution. Pourtant dans un contexte pratique, chaque industriel,
chaque ville est un cas particulier. Il est donc très délicat de concilier précision dans la
modélisation (verticalité) et adaptabilité à un éventail large de situations (horizontalité).
6. Conclusion
Nous avons, dans cet article, traité une thématique d’actualité, la logistique urbaine, et
essayé de montrer comment les techniques issues de la recherche opérationnelle pouvaient
utilement être associées aux méthodologies utilisées classiquement en sciences économiques
ou sciences de gestion.
La logistique urbaine vise à définir de nouveaux schémas logistiques, respectueux de
l'environnement, dédiés à la ville. Nous avons dans un premier temps rappelé les enjeux et
intérêts de la logistique urbaine. Pour expliquer quels types de réponse pouvaient apporter
la recherche opérationnelle, nous avons commencé par introduire deux modèles classiques,
utilisés pour la conception de réseaux logistiques ; puis, nous avons détaillé comment les
spécificités de la logistique urbaines pouvaient amener à reconsidérer ces modèles, et
comment la littérature avait commencé à s’y intéresser. Nous avons enfin discuté d’éléments
importants à bien comprendre lorsque l’on souhaite utiliser ces outils :
la nécessaire interaction avec d’autres communautés scientifiques et l’expertise
terrains pour la formulation du problème,
le besoin d’une implication forte de partenaires pour la collecte des données,
l’existence de certaines limites à accepter (données considérées en moyenne,
difficulté de tenir compte des jeux d’acteurs…),
la difficulté en l’état des connaissances de disposer d’outils « sur étagère ».
Ainsi, nous sommes convaincus que la recherche opérationnelle peut être d’un intérêt
majeur pour aider à la planification stratégique en logistique urbaine ; et que la réussite d’un
projet s’appuyant sur la recherche opérationnelle exige non seulement l’expertise technique,
mais aussi une bonne prise de conscience de la part des partenaires et des acteurs en attente
d’une solution (ou, tout au moins, d’éléments les aidant à la prise de décision) des points
exprimés ci-dessus.
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