Revue Française de Gestion Industrielle
Vol. 34, N° 1
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MUTUALISATION LOGISTIQUE ET PLATEFORMES
LOGISTIQUES URBAINES
Daniel BOUDOUIN
1
, Christian MOREL
2
—————————
Résumé Les échanges, en se multipliant et en s'accélérant, viennent se heurter aux
exigences de qualité de vie d’habitants majoritairement installés en milieu urbain. Il est donc
indispensable de s'interroger sur l'intégration de la circulation des marchandises dans la
ville. Cela implique de nouveaux équipements de proximité, des points d’articulation et de
traitement des flux. Ces espaces logistiques urbains sont à inscrire à la fois dans des
territoires le foncier et rare, disputé, et dans un ensemble complexe interviennent le
privé et le public, la géographie et l'histoire, l'économie et l'environnement. Dans un tel
contexte, la coordination et la synchronisation des flux sont au centre du questionnement.
Deux axes de changement majeurs s’offrent alors aux décideurs pour diminuer l’impact des
déplacements de marchandises sur l’environnement urbain et favoriser des schémas
d’organisation durables : la mutualisation des moyens et l’usage de motorisations
alternatives. Les acteurs publics et privés ont pris conscience de la nécessité d’agir
maintenant, d’anticiper les schémas logistiques qui demain prévaudront pour assurer un
approvisionnement des villes à la fois performant et accepté. Ce pari sur l’avenir repose sur
l’obligation de préserver l’équilibre socio-économique des différents espaces de centre-ville
tout en réduisant les nuisances induites. Il revient donc aux Pouvoirs Publics de définir le
cadre d’intervention, les limites de l’exercice. En cela, un portage politique s’avère
indispensable.
Mots clés : mutualisation, fonction logistique, intégration, transport de marchandises,
aménagement de l’espace urbain, cohérence territoriale.
1. Introduction
La ville est un espace économique majeur dont le rôle dans la dynamique des
territoires s'affirme toujours plus. En effet, elle rassemble outre les traditionnelles fonctions
commerciales à l'origine même de la création des agglomérations, l'essentiel des services qui
1
Chercheur associé, Cret-Log, 413 avenue Gaston Berger 13625 Aix-en-Provence cedex 1, +33 (0)4 42
26 65 60, daniel.boudouin@univ-amu.fr
2
Chercheur associé, Cret-Log, 413 avenue Gaston Berger 13625 Aix-en-Provence cedex 1, +33 (0)4 42
26 65 60, christian.morel.1@univ-amu.fr
26 Daniel BOUDOUIN et Christian MOREL
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sont aujourd'hui devenus un point central de la vie de nos sociétés. Par ailleurs, la recherche
effrénée de productivité conduite à l'échelle mondiale fait évoluer fortement les systèmes de
production et l'on assiste à une fragmentation des ensembles industriels avec un besoin de
spécialisation et de mécanisation s'appuyant sur de multiples échanges matériels et
immatériels qui sont d'autant plus performants qu'il se situent dans des milieux denses.
Ceci conduit naturellement à replacer l'urbain au cœur des politiques de
développement et, dans ce contexte, la logistique - fonction indispensable à toute pratique
économique et sociale - prend une place centrale dans les choix organisationnels faits par les
producteurs et/ou consommateurs de bien comme par les responsables du fonctionnement
des villes. Ce constat se justifie par le fait que les échanges en se multipliant et en
s'accélérant viennent se heurter aux exigences de qualité de vie des quelques 80 %
d'habitants qui, en Europe, vivent dans des agglomérations.
Il est donc indispensable de s'interroger sur l'intégration de la circulation des
marchandises dans la ville à l'heure d'une part les chaînes logistiques se recomposent
(Gonzalez-Feliu et Morana, 2010) pour relever de nouveaux défis (mondialisation des
échanges, optimisation des coûts, gain en flexibilité, personnalisation dans un cadre
mutualisé, …) et d'autre part les cités recherchent à renforcer leur attractivité (Brun, 2013) en
modifiant le cadre ambiant ("penser" global, mixité des activités, ville compacte, limitation
des nuisances, …). Cette obligation de prendre simultanément en compte les points de vue
(souvent contradictoires) des logisticiens et des urbanistes tend à promouvoir des solutions
basées sur la massification des flux entrants ou sortants afin de limiter le nombre de
véhicules (Dablanc et al., 2013). En effet, remplir les véhicules au maximum de leur capacité
d'emport - laquelle est déterminée par le marché (produits à livrer) et la réglementation
(possibilités d'usage) - est un passage obligé si l'on veut à la fois contenir et même réduire
tant les coûts de desserte de la ville que les atteintes à l'environnement qui y sont liées
(Boudouin et Morel, 2002).
La conséquence de la mise en œuvre d'un tel choix est le besoin de création de points
de rupture de charge indispensables à la recomposition, voir la mutualisation des flux
(Boudouin, 2006). Ces derniers doivent être au plus près du barycentre de la zone à
distribuer. Or les lieux d'accueil qui répondent à cette représentation géographique sont
rares et chers ; de fait, la logistique rentre systématiquement en compétition avec d'autres
fonctions (habitat, commerces, services, …), le tout dans un cadre fortement contraint par
l'héritage du passé de la ville, les pratiques actuelles, les projets envisagés. La puissance
publique doit donc intervenir pour réintroduire les métiers de la circulation des
marchandises dans le tissu urbain en ouvrant des espaces dédiés.
Cet article présente ces types de plates-formes et leur articulation par rapport aux
enjeux et les demandes tant des acteurs publics comme privés. Ces plates-formes sont des
équipements qui sont à inscrire dans un ensemble complexe interviennent le privé et le
public, la géographie et l'histoire, l'économie et l'environnement. Ces divers points sont
abordés en trois parties. Dans un premier temps, nous présentons les enjeux qui se
rattachent aux plateformes logistiques urbaines. Ensuite, nous proposons une vision
Mutualisation logistique et plateformes logistiques urbaines 27
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d’ensemble sur la demande exprimée et prévisible dans les zones agglomérées. Enfin, nous
abordons les réponses envisageables pour "mieux" échanger et mutualiser en ville.
2. Les enjeux
Les organisations logistiques se développent essentiellement sur la base de critères
géographiques et économiques. C'est principalement à partir de données sur la production,
la consommation, les infrastructures, que les entreprises investissent dans les outils
indispensables à la gestion de leurs flux. Parallèlement (et face) à l'expression de ces besoins,
les territoires quelle que soit l'échelle prise en considération : le pays, la région, la ville
mettent en place une capacité d'accueil qui est généralement le résultat d'opportunités
foncières, de préexistence d'équipements de transport, ou encore d'une perception de
"marché".
Dans tous les cas, la logistique, par son importance en termes de surfaces consommées,
de trafics générés, d'emplois créés, est un élément majeur de l'aménagement. Ceci s'est
vérifié largement pour les chaines logistiques mises en place par les industriels et les
distributeurs qui ont conduit, depuis les années 1980, à la création d'importantes plateformes
(les bâtiments supérieurs à 5000 représentent sur le territoire national environ 40
millions de m²) en des points clés du territoire. Ces outils destinés à relier la production à la
commercialisation se sont installés en périphérie des agglomérations, où l'offre était
physiquement, fonctionnellement et économiquement acceptable.
Le dernier (ou premier) segment de la chaine qui relie ces grandes bases logistiques au
"client" urbain n'a été pris en compte que tardivement. Il a fallu attendre les années 2000
pour que les acteurs institutionnels et professionnels concernés se mobilisent sur ce maillon
qui est le plus perturbateur dans la recherche de qualité et intéresse de un quart à un tiers
des coûts logistiques. Aujourd'hui, cet espace géographique et économique est le sujet de
toutes les attentions des responsables des sphères "publique" et "privée" concernées, sachant
que la performance du système logistique dépend grandement de la cohérence des mesures
prises par ces deux catégories d'intervenants.
Les plateformes logistiques urbaines, généralement nommées "Espaces Logistiques
Urbains" (ELU) se retrouvent ainsi au cœur du dispositif puisqu'elles sont des interfaces
entre l'interurbain et l'urbain, entre le privé et le public, entre le producteur et le
consommateur (Boudouin, 2006).
2.1. Les enjeux pour la sphère publique
Ce groupe rassemble les institutionnels et les usagers, il intègre les gestionnaires de la
ville (élus, services divers), les usagers et leurs représentants (Dablanc, 1998). Les
motivations liées à une recherche d'organisation de la circulation des marchandises peuvent
être classées dans trois domaines : l'environnement (qualité de vie des habitants et
valorisation de l'image), l'économie (dynamique générale et capacité à attirer des activités
créatrices de valeur ajoutée), le fonctionnel (fluidité des échanges et réponse aux besoins).
Tous ces éléments sont très souvent interconnectés entre eux par exemple des flux qui se
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réalisent sans difficultés génèrent peu de nuisances et renforcent l'attractivité) et relèvent
pour l'essentiel du champ disciplinaire de l'urbanisme.
Les divers membres de cette sphère publique n'ont pas forcément la même lecture de
la place de la logistique urbaine et leurs sensibilités se focalisent selon les cas sur tel ou tel
point. Néanmoins, les grandes lignes sont connues sous les angles qualitatifs et quantitatifs ;
on les retrouve d'ailleurs dans les Plans de Déplacements Urbains (PDU) qui ont rendu
obligatoire la prise en compte des marchandises pour les agglomérations ayant un périmètre
de transports urbains supérieur à 100 000 habitants. Ainsi, un cadre d'objectifs est affiché au
niveau national et il contribue à ordonner les enjeux (CERTU-ADEME, 1998). Les principales
orientations de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi dite SRU) sont
basées sur la nécessité d'évoluer de la notion de "mal nécessaire" à une approche plus
constructive fondée sur la recherche de réponses aux cinq points suivants :
- rationaliser la desserte urbaine avec l'ambition de réduire les conséquences négatives
d'une multiplication des mouvements ;
- maintenir les activités commerciales et artisanales dans les villes en garantissant des
conditions satisfaisantes pour leur approvisionnement ;
- mettre en cohérence la réglementation sur les livraisons au sein du périmètre de
transports urbains ;
- prendre en compte les besoins en surfaces nécessaires au bon fonctionnement des
activités de logistique urbaine ;
- réfléchir sur les infrastructures de circulation existantes et à venir dans la perspective
d'une offre multimodale.
Pour cela, la recomposition des flux en des lieux judicieusement choisis, est un
impératif. En effet, les conditions environnementales, économiques, fonctionnelles, sont
différentes selon que l'on se trouve en périphérie ou en hypercentre. Il s'agit donc pour la
collectivité d'orienter les choix de transport selon le segment pris en considération afin de
créer une chaine de transport performante en termes d'insertion dans le tissu urbain et de
qualité de service offert. Ceci nécessite des points d'articulation (les ELU) qui peuvent
prendre diverses formes en fonction des besoins à satisfaire (volumes et produits à
acheminer, surfaces à desservir, …).
Les schémas organisationnels envisageables sont multiples et réversibles car ils
s'adressent pour les entrées de produits (consommation de biens) et les sorties (production et
déchets). Les enjeux qui se rattachent la mise en place de tels outils sont directement liés aux
objectifs recherchés par les gestionnaires de la ville rappelés précédemment.
Enjeux environnementaux : ils sont essentiellement conséquents aux actes de
déplacements des marchandises. Si l'on considère que le bilan énergétique est un indicateur
pertinent pour mesurer ce type d'effets, il est à noter que les marchandises participent au
compte global des transports urbains à hauteur d'environ 30 % (Aria Technologies, 1997),
Mutualisation logistique et plateformes logistiques urbaines 29
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valeur que l'on retrouve aussi au niveau des gaz à effet de serre (ADEME, 2006). Une
approche plus précise (LET et al., 2006) par émissions de polluants permet d'afficher pour les
composés azotés 40 % ou encore 45 % pour les particules aujourd'hui tant décriées. Ces
données qui intéressent directement la sandes individus sont maintenant connues et ne
peuvent plus être ignorées par les collectivités. De façon plus globale, les effets de la
circulation sont maintenant perceptibles par tous et les citadins n'hésitent plus à juger avec
sévérité les résultats d'un passé la préservation de l'environnement n'avait probablement
pas la place qu'elle aurait dû prendre.
Enjeux économiques : en moyenne les coûts de mise à disposition d'un produit
représentent, pour la seule partie urbaine, de 3 à 4 % de la valeur du produit. Tout
renchérissement de la desserte entraine mécaniquement chez les consommateurs
(entreprises/personnes) une recherche de limitation de ceux-ci avec la tentation de
s'affranchir des surcouts en se délocalisant en périphérie. Le défi est bien réel quand on
mesure le rôle des fonctions commerciales et de services dans l'animation et le rayonnement
d'une agglomération. Alors que tout le monde s'accorde sur la nécessité de densifier les
villes tout en évoluant vers une plus grande mixité des composantes primaires, les pouvoirs
publics doivent favoriser la circulation des marchandises ; il en va de l'équilibre et de
l'attractivité des centres villes. Pour cela, les ELU ont un rôle de première importance car ils
permettent de se rapprocher des clients, seule façon de répondre à leurs exigences sans
multiplier les moyens. Ceci implique une action sur le foncier afin d'offrir des espaces
satisfaisants à un prix acceptable.
Enjeux fonctionnels : La camionnette du messager arrêtée devant un commerçant, le
poids lourd qui livre des meubles au magasin d'exposition, le camion de déménagement qui
s'immobilise devant un immeuble, le fourgon des services postaux, le véhicule ramassant les
ordures ménagères, la voiture particulière qui a dans son coffre les achats effectués dans un
commerce, sont la manifestation de la vie urbaine. Personne ne remet en cause cette
obligation de desserte et toute ambition de développement, conduit à plus de produits en
circulation. Il est donc nécessaire d'adapter ou du moins de rendre compatible la ville à
ses besoins de mouvements, faute de quoi c'est le fonctionnement général qui en souffrira.
Le challenge est d'importance puisque environ 20 % de l'occupation de la voirie par des
véhicules motorisés est imputable aux déplacements de marchandises (y compris les
circulations des particuliers conséquentes aux motifs achats).
D'autres enjeux, notamment sociaux (maintien ou création d'emplois dans les zones
denses), existent et renforcent la nécessité pour les acteurs de la sphère publique d'intégrer
les ELU dans leurs schémas d'aménagement. Cette prise en compte se traduira
principalement par des actions de type règlementaire (Dablanc et al., 2010).
2.2. Les enjeux pour la sphère privée
Le regard porté par les professionnels est différent, bien que s'adressant aux mêmes
composantes du système urbain. Le filtre "financier" va être ici un élément fondamental pour
expliquer les choix effectués dans un cadre dont les acteurs ne maitrisent qu'une partie des
déterminants. Ceci s'entend pour les deux groupes de professionnels concernés : d'une part
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les chargeurs (ceux qui reçoivent ou expédient la marchandise) et d'autre part les logisticiens
(ceux qui réalisent les opérations telles que le transport, le stockage, le conditionnement, …).
Tous sont contraints par l'urbain et le marché dans un contexte de plus en plus concurrentiel.
Pour ces acteurs, les pratiques ne peuvent s'affranchir du social, l'innovation se
conjugue souvent avec le marketing, les rigidités dans la chaîne logistique doivent être
associées à des segments flexibles, la valeur temps est présente en permanence.
L'extrême diversité des besoins conduit à une multitude de cas canalisés par les réalités
urbaines (les infrastructures, les sites d'accueil, la règlementation). Aussi, les plateformes ont
des rôles divers pouvant aller du simple relais permettant de résoudre une difficulté
particulière jusqu'au point central pilotant l'ensemble des opérations administratives et
techniques nécessaires à la desserte de la ville. Si la finalité est toujours d'organiser au mieux
les échanges, il est évident que ce sont les logisticiens qui sont les acteurs les plus concernés
puisque opérateurs du système alors que les chargeurs en sont les clients. Il est toutefois
possible de définir les principaux enjeux se rattachant aux ELU, tels que les perçoivent les
professionnels en reprenant la même grille de lecture que celle retenue pour les
institutionnels.
Enjeux environnementaux : les entreprises considèrent généralement que ce n'est pas à
elles d'être les promoteurs du mieux vivre en zone urbaine. Bien entendu, elles sont
citoyennes, mais elles restent toujours des opérateurs économiques qui doivent dégager des
bilans positifs ; il en va de leur survie. Elles sont néanmoins conscientes que l'environnement
interfère de plus en plus dans la concurrence et certaines développent des outils résolument
offensifs en la matière (véhicules dits "propres", gestion des emballages, empreinte carbone,
…). Les plateformes sont alors un élément essentiel généralement indispensable des
organisations, puisqu'elles permettent de lisser finement les segments de la chaîne logistique
en adaptant les outils à chaque étape du processus de livraison. Le durcissement quasiment
certain des règles définissant les niveaux admissibles de pollution atmosphérique ou encore
de bruit, milite en faveur de la création de points d'articulation des flux en ville. De
nombreux prestataires intègrent d'ores et déjà ces critères dans leur offre. De même les
distributeurs, artisans, entreprises de services, sont de plus en plus conscients de leur rôle, la
multiplication des chartes en lien avec les pratiques logistiques en agglomérations le montre.
Enjeux économiques : ce sont les véritables moteurs du comportement des
professionnels puisque leur compétitivité est liée à leur aptitude à afficher une logistique
efficiente. Pour les chargeurs, la qualité (qui se mesure souvent en termes de respect des
horaires) et le coût de leur approvisionnement est un élément du choix de localisation ; tout
dysfonctionnement qui les affaiblirait face à des confrères positionnés en dehors de la ville
peut remettre en cause leur présence dans les zones denses. Les ELU deviennent ainsi des
équipements forts d'une politique d'attractivité notamment commerciale dès lors que les
ruptures de charge créées ne conduisent pas à un alourdissement significatif des coûts de
livraisons (ou enlèvements) de marchandises. C'est pour cela qu'il est souvent souhaité une
intervention des pouvoirs publics directement (aides à l'usage de certaines techniques) ou
indirectement (baisse du prix du foncier) afin de contenir les tarifs pratiqués. Pour leur part,
les logisticiens sont de plus en plus enclins à distribuer les traitements logistiques tout au
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long de la chaine reliant les producteurs aux consommateurs ; ceci permet d'ajuster les
taches aux exigences des clients. Les plateformes urbaines ne sont plus seulement des
éléments de recomposition des flux, elles font partie de la chaine de valeur des organisations
des entreprises de circulation. Il sera donc recherché à adapter les outils d'interface aux
processus de mise en marché en s'appuyant sur des ELU.
Enjeux fonctionnels : pour réguler les échanges de marchandises et maîtriser le temps,
la présence de points d'articulation de flux en zones denses s'avère indispensable. En effet,
les infrastructures de transport en ville sont souvent saturées (notamment aux heures la
demande logistique est forte) et les collectivités recherchent à réglementer leur usage en
limitant les conditions de circulation et de stationnement des véhicules utilitaires. Dès lors, il
faut se rapprocher au maximum des clients afin de pouvoir effectuer le "dernier kilomètre"
avec des moyens peu perturbateurs (marche à pied, tricycles à assistance électrique ou non,
véhicules "propres", …) pour le cadre de vie des habitants et généralement jugés acceptables
par les acteurs publics qui édictent les réglementations. Plus les contraintes fonctionnelles
sont élevées et plus le besoin d'ELU est important. Si pendant longtemps, les prestataires ont
pu répondre aux attentes de leurs clients, souvent en s'affranchissant des règles prises en
matière de circulation et/ou stationnement la multiplication de la demande, montre les
limites des schémas traditionnels basés sur une relation (directe ou par tournée) depuis une
plateforme extérieure à l'agglomération.
Le rappel de ces enjeux logistiques montre les opportunités qui se rattachent aux ELU ;
les acteurs de la sphère privée y répondent essentiellement au travers d'actions sur les
organisations.
3. La demande
Les sphères Urbaine et Economique composent un système complexe. A la fois
distinctes et complémentaires, elles ont des modes de fonctionnement aux attentes et
temporalités décalées. Toutefois, des « passerelles » existent et se développent. Institutions et
entreprises se rencontrent pour organiser ensemble des réponses satisfaisant à la fois les
besoins économiques et les besoins d’aménagements urbains.
L’accessibilité aux pôles urbains est de plus en plus contrainte, atrophiée par un cadre
réglementaire qui ne cesse de se durcir (horaires et temps d’accès, conditions d’arrêts), et de
plus en plus aléatoire de par les congestions chroniques du réseau viaire.
Les schémas logistiques classiques organisent la massification des flux vers des
plateformes ou des entrepôts qui s’appuient sur une localisation barycentrique, une capacité
logistique (espace ou traitement) et une organisation optimale des tournées de transport. Les
points de livraison fixes se caractérisent par leur nombre et leur dispersion. La logistique est
« monotype », les organisations relativement individualistes.
Pour sa part, la logistique urbaine s’inscrit dans la continuité des schémas existants et
ne renonce pas aux apports de ces derniers. Elle intègre des notions de proximité, de
multiplicité, y compris dans la démultiplication des modes d’accès. La dimension se fait de
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plus en plus collective et en cela tente de répondre à l’accroissement global des volumes de
livraisons à destination des activités et habitants des villes. En parallèle, on constate une
augmentation des fréquences de réassort associé à une fragmentation des envois en réponse
à une extrême diffusion des destinataires (les particuliers) qui imposent des cycles et des
amplitudes de livraisons différentes, allongées.
Dans les deux cas, la coordination et la synchronisation des flux sont au centre du
questionnement.
Ces nouvelles habitudes de consommation et standards de distribution invitent les
chargeurs et logisticiens à une remise à plat de leurs Supply Chains.
3.1. La demande exprimée aujourd’hui
L’expression de la demande traduit le nombre et la diversité des acteurs impliqués.
Classiquement, on a l’habitude de distinguer deux grandes catégories d’intervenants
regroupés dans une sphère publique pour les uns et dans une sphère privée pour les autres.
La demande exprimée par la sphère institutionnelle.
Parmi les acteurs publics, le gestionnaire de la ville, de l’agglomération est aux
premières loges pour décider et mettre en œuvre certaines actions permettant d’améliorer la
circulation des flux urbains. Cependant, de même que les acteurs privés ne peuvent, à eux-
seuls, résoudre les problèmes transversaux liés aux interactions internes et externes du
système logistique urbain, les outils dont disposent les acteurs publics ne suffisent pas à
piloter les phénomènes dans leur globalité. Un dispositif de logistique urbaine ignorant les
échanges et les interactions entre les acteurs institutionnels, économiques et les résidents ne
peut que se solder par un échec.
A contrario, laisser faire le marché ne permet pas d’apporter des réponses
satisfaisantes à la complexité d’un système d’acteurs aux finalités parfois contradictoires.
Seule la collectivité (ville, agglomération) est en capacité d’arbitrer et d’orienter la
structuration des activités logistiques urbaines, à travers l’organisation et la règlementation
du réseau viaire. Etant, de plus, garante de l’intérêt général, elle oriente les réponses
possibles de façon à ce qu’elles profitent au plus grand nombre, dépassant ainsi les clivages
ponctuels ou les points de blocage potentiels. Dans une logique de respect de
l’environnement, elle contribue à renforcer l’acceptabilité du transport de marchandises en
ville.
La demande des habitants des villes peut quant à elle paraître schizophrène. En effet,
les riverains refusent majoritairement de voir s'installer des équipements destinés à des
activités synonymes pour eux d'une dégradation de leur environnement (essentiellement du
fait des nuisances visuelles et phoniques). Ces prises de positions sont d'ailleurs souvent
relayées par les décideurs politiques et administratifs, ce qui conduit à des documents
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d'urbanisme limitant fortement les possibilités d'installation. Paradoxalement, leur
comportement en tant que consommateurs exige de disposer des biens dont ils ont besoin à
proximité de leur lieu d’habitation, ou qu’ils leur soient livrés en quantité, en temps et en
heure. Ainsi, les comportements et attentes du consommateur sont souvent incompatibles
ou en rupture totale avec celles du riverain.
La demande exprimée par les entreprises.
Elle se manifeste différemment selon la nature du destinataire, professionnel ou
particulier, et la nature de son activité. En effet, selon les filières, les attentes « logistiques »
sont radicalement différentes.
- Les échanges inter-entreprises : Business to Business
Les attentes des transporteurs-logisticiens portent avant tout sur l’amélioration de
leurs conditions d’exploitation (Morana et Gonzalez-Feliu, 2011). Elles font échos aux
contraintes externes « extrêmes » rencontrés en ville :
conflits d’usage de la voirie avec les autres modes (congestion, pollutions,
nuisances) : améliorer la fluidité de circulation, l’accueil des véhicules,
reconnaitre les efforts d’opérateurs « vertueux » et les aider dans l’usage de
véhicules décarbonés ;
difficulté à réaliser les opérations de livraison et d’enlèvement (incohérences
réglementaires d’une commune à l’autre, élargissement des zones piétonnes,
clients destinataires aux attentes différenciées dans le temps et dans l’espace) :
mettre en cohérence les dispositifs réglementaires à l’échelle d’une
agglomération, responsabiliser les clients sur leurs exigences de livraisons ;
dispersion et éloignement des équipements logistiques de la ville (multiplication
des mouvements de véhicules, augmentation des coûts de desserte et
dégradation de l’environnement) : disposer de lieux en ville, si possible
intermodaux, pour y implanter des équipements logistiques de proximité et
réduire le coût des parcours d’approche.
- Les échanges à destination des particuliers : Business to Consumer
Nous vivons une période l’outil commercial est en pleine mutation. Après une
longue période de développement des pôles commerciaux de périphérie (Desse, 2001), la
Grande Distribution réinvestit les centres-villes au travers de nouveaux formats de magasins
dits de « proximité », de centres commerciaux implantés en plein cœur de ville (Gonzalez-
Feliu et al., 2012). Le segment du e-commerce est en pleine expansion et entraine dans son
sillage de nouveaux schémas de desserte urbaine ou de nouveaux modes d’organisation
(Augereau et al., 2009 ; Paché, 2010 ; Gonzalez-Feliu et al., 2012). Ainsi, livre-t-on désormais
les clients à leur domicile, sur leur lieu de travail ou sur des Points Relais et, selon la nature
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et la quantité des produits commandés, ces livraisons s’effectuent depuis des plateformes
régionales « traditionnelles », depuis des plateformes de préparation de commandes
implantées au plus près des grandes villes, ou depuis des points de vente qui font office de
« picking » de proximité (Durand, 2009, 2010).
Il s’agit d’arriver à faire cohabiter logistique et transport de tous les formats de
magasins (hypermarché, supermarché et proximité). Pour faire face à des besoins aussi
différenciés, les chaînes logistiques sont reformatées en prenant en compte trois facteurs
dimensionnants :
le volume des livraisons : s’il faut en moyenne une dizaine de semi-remorques par
jour pour approvisionner un hypermarché, la supérette de quartier se contentera
d’une dizaine de palettes pour son réassort, et encore pas tous les jours !
la fréquence des livraisons : la disparition des zones de réserve sur les lieux de
vente impose des organisations en flux tendu qui augmentent les fréquences de
livraisons et donc les temps de présence des véhicules de livraisons en ville ;
l’emplacement des magasins sur la tournée : leur position par rapport à des
axes de desserte performants, la qualité de l’accès à leur réserve impactera le
temps de livraison. A la clé de cette démarche, la limitation des
approvisionnements « Proxi » à deux ou trois rotations hebdomadaires. Le
schéma logistique retenu sera celui qui offrira le meilleur équilibre entre
fréquences de livraison, impact environnemental et taux de rupture en
magasin.
3.2. La demande prévisible demain.
La demande future va faciliter le passage du stade de l’expérimentation au
déploiement industriel de solutions en rupture avec l’existant. Il y a encore aujourd’hui trop
de cas isolés d’entreprises qui « essuient les plâtres », les initiatives étant en règle générale
privées, les chargeurs ne faisant qu’accompagner les initiatives des prestataires logistiques. Il
faudra donc se donner les moyens de dépasser le stade des incantations et rentrer dans une
phase d’action.
Les facteurs d’évolution de la demande peuvent s’apparenter à un développement :
de la livraison à domicile (LAD) : conséquence de l’augmentation du prix des
carburants, de l’abandon progressif de la voiture par les citadins
3
, les particuliers
recourront de plus en plus fréquemment au service de la LAD ;
3
A Paris, un foyer sur deux n’est pas motorisé.
Mutualisation logistique et plateformes logistiques urbaines 35
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du Consumer To Consumer (C2C) : les échanges de particulier à particulier se
développent. Ils feront naître de nouveaux besoins logistiques à l’échelle d’une
agglomération, d’une ville, d’un arrondissement, d’un quartier.
Ce besoin exacerbé de proximité fait déjà émerger de nouveaux services de livraisons
en modes doux qui ne sont pas sans rappeler ceux offerts par les commis livreurs à pieds en
Europe dans un passé pas si lointain, ou aujourd’hui encore ceux des « Dabbawallah », les
livreurs de repas de Mumbai en Inde qui combinent train et vélos pour acheminer à des
particuliers de l’ordre de 175 000 repas par jour conditionnés dans des boites dabba »)
standardisées.
Des services spécialisés comme « La Tournée », « ALUD » ou encore « Distripolis »,
« Urban-Cab », « Vert chez Vous », préfigurent les besoins des Supply Chains, à savoir
préserver leur capacité de pénétration des centres urbains, en capillarité et en capacité.
des achats multi et cross-canal : la logistique devient « agile » et « ubiquitaire ». Il
est assez paradoxal d’observer que d’un côté la logistique s’efforce de mobiliser des
outils de plus en plus sophistiqués pour « piloter », synchroniser des flux
d’informations toujours plus diffus, multi-canaux, et que d’un autre côté elle
s’évertue d’acheminer les flux physiques qui en résultent à l’aide de moyens
techniques et humains dont la principale qualité est la force de pénétration
massifiée et multimodale de lieux toujours plus difficiles d’accès. Ainsi, les
logisticiens urbains joueront-ils la carte de l’intermodalité, de la mixité des moyens
et des réseaux de transports.
Au cœur de ces nouveaux dispositifs, la rupture de charge, considérée comme
« l’ennemi juré » du logisticien car synonyme de surcoûts, de risque d’erreurs donc de
dysfonctionnements devient une « alliée ». En effet, la diversité des clients destinataires et
de leurs demandes (quantités, horaires, unités d’œuvre, etc.) impliquent, pour les satisfaire,
de se rapprocher d’eux. Des points relais s’intercaleront de plus en plus en amont des
chaînes logistiques afin d’interfacer, voire désynchroniser, les flux interurbains et urbains.
4. Les réponses envisageables
La circulation des marchandises en ville ne peut plus être considérée seulement
comme une conséquence de l'organisation économique et sociale ; elle est pleinement actrice
de celle-ci. Les collectivités locales en sont de plus en plus conscientes et nombre d'entre
elles se mobilisent
4
pour organiser les flux qui parcourent les agglomérations. Ainsi, les
documents de planification urbaine (SCOT, PLU, PDU) intègrent cette dimension,
notamment au travers d'une réflexion sur la localisation et la dimension de plateformes.
4
Le mouvement est récent et n'a véritablement pris consistance qu'aux alentours de l'an 2000.
36 Daniel BOUDOUIN et Christian MOREL
© Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 34, N° 1
Les gestionnaires de la ville s'appuient sur ces équipements pour répondre à des
objectifs de qualité de vie et de développement équilibré ; les professionnels pour leur part
trouvent dans ces outils de gestion des flux les moyens indispensables à l'optimisation du
couple cout/qualité de service tout au long de la chaine logistique (Guyon et al., 2014).
Les ELU peuvent être classés en deux catégories : les généralistes et les spécialistes.
Les premières ont vocation à accueillir les professionnels de la logistique urbaine, les
secondes ont vocation à accueillir des véhicules ou marchandises à destination de zones ou
clients spécifiques.
4.1. Les ELU généralistes.
Les points d'articulation des flux urbains comme les zones de stockage des produits
nécessitant de fortes rotations vers ou depuis les villes ont, dans la très grande majorité des
cas, quitté les zones denses. Ce mouvement qui a débuté dans les années 1970 s'explique par
de multiples raisons : urbanistiques (impossibilité réglementaire de s'installer), politiques
(rejet d'outils jugés créateurs de nuisances), économiques (coût du foncier prohibitif).
Pourtant, un positionnement éloigné du barycentre urbain induit un allongement des
distances parcourues impliquant une participation accrue à la saturation du réseau viaire,
une perte d'efficacité globale entrainant un accroissement des couts de desserte, une
augmentation des GES et autres émissions de polluants engendrant une dégradation de
l'environnement.
Ainsi, une étude de l'INRETS
5
portant sur les plateformes de messagers dans la région
parisienne montre qu'entre 1974 et 2008 (Dablanc et Rakotonarivo, 2010), l'éloignement du
barycentre est passé de 6km à 16 km (recul de 300 m en moyenne par an).
La réintégration des plateformes dans les villes est devenue un enjeu majeur, mais elle
ne peut être véritablement opérante que s'il y a une implication des pouvoirs publics. En
effet, les sites d'accueil doivent être situés en des endroits faciles d'accès et proches des zones
à desservir, ce qui en fait des espaces convoités. Or la valeur ajoutée de ce segment d'activité
ne permet pas de dégager des bénéfices suffisants pour s'imposer face à un immobilier
concurrent qui serait destiné à de l'habitat, du commerce ou des services.
Concrètement, ces plateformes permettant destinées à accueillir les professionnels
peuvent prendre plusieurs formes : nous en distinguerons trois qui sont présentées ci-après.
Les zones logistiques urbaines ou ZLU.
Ce sont des zones d'activités dédiées qui permettent de positionner les acteurs de la
logistique urbaine à proximité de leurs clients afin de limiter les mouvements de véhicule.
Les ZLU intéressent deux fonctions : d'une part la réalisation des ruptures de charge dans la
5
Etablissement public français de recherche dans les domaines du transport et de la sécurité des
transports devenu au 1
er
janvier 2011 IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des
transports, de l’aménagement et des réseaux).
Mutualisation logistique et plateformes logistiques urbaines 37
© Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 34, N° 1
chaine de transport et d'autre part les "traitements" avant
6
la desserte finale (tels le stockage
de courte durée). Les pratiques de desserte restent identiques.
Ces plateformes seront desservies, si possible, par des modes massifiés ;
dimensionnées par la demande confrontée à l'offre disponible elles relèvent d'un acte
d'aménagement et leur taille doit être significative dans l'espace urbain (5 hectares
minimum). Les gares ferroviaires (qui ont longtemps été le point privilégié d'installation des
messagers), les ports fluviaux (dans les villes desservies par la voie d'eau), les marchés
d'intérêt national (MIN, dont le rôle d'approvisionnement des villes en fruits et légumes
peut être élargi à d'autres types de produits), relèvent de ce groupe d'ELU.
Les centres de distribution urbaine ou CDU.
Ici, l'ambition est de gérer les flux qui parcourent la ville en les canalisant vers un site
sont groupées / dégroupées
7
les marchandises avant que se réalise la relation terminale
(ou origine). Ces outils accueillent les professionnels pour qu'ils déposent leurs envois afin
qu'un opérateur réalise la desserte urbaine (Dablanc et Massé, 1996). La vocation de ces
outils est de desservir l'ensemble des zones denses durant les heures problématiques
(notamment la période comprise entre 9 h et 12 h).
Ce type d'équipement est conçu comme un service public de distribution des
marchandises. Il modifie l'organisation traditionnelle en intégrant dans la chaîne logistique
un nouveau professionnel (qui joue le rôle de sous-traitant du prestataire réalisant la liaison
principale). Ceci impose une recomposition des procédures pour permettre de garantir la
continuité administrative et financière des opérations. A l'instar de ce que l'on trouve dans le
transport de personnes, les autorités publiques concèdent généralement à une entreprise
privée l'exploitation du CDU selon un cahier des charges précisant les conditions de
transport (heures, types de véhicules, …).
Les hôtels logistiques : des bâtiments multi-fonctionnels
Le spectre des activités rassemblé en un même lieu doit être suffisamment large pour
le rendre attractif et lui assurer une pérennité économique et sociétale. Chaque projet est
unique et doit s’astreindre à un « mimétisme urbain » pour assurer dans un premier temps
son installation et ensuite sa survie dans son environnement immédiat.
L’efficacité d’un tel équipement se fonde sur sa capacité à intégrer différentes activités
et à trouver une légitimité et une acceptabilité locale. De ce point de vue, la communication
auprès des riverains est essentielle. Elle doit pouvoir impulser une volonté d’implication et
de responsabilisation sur les conditions nécessaires au bon fonctionnement d’une rue, d’un
quartier, d’un arrondissement et lutter efficacement contre le syndrome NIMBY. En fait,
l'acceptabilité des hôtels logistiques reste difficile ; les parties prenantes sont à convaincre
6
Schéma qui s'inverse lors des enlèvements de marchandises.
7
Opérations de "cross-docking" selon la terminologie anglaise.
38 Daniel BOUDOUIN et Christian MOREL
© Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 34, N° 1
(riverains et politiques locaux) et il est toujours délicat de créer une stratégie en
communication quand la desserte urbaine n'est pas perçue comme fondamentale.
4.2. Les ELU spécialisés.
Les réponses qu'il y a lieu d'apporter aux problèmes posés par la desserte urbaine ne
sauraient être uniques. Chaque ville, chaque quartier, a ses propres spécificités et selon les
caractéristiques socio-économiques des agglomérations et les ambitions des gestionnaires de
celles-ci, des solutions diverses peuvent être envisagées.
Ainsi, contrairement aux ELU généralistes qui s'adressent à un large éventail de
produits et de clients, des ELU spécialisés plus ciblés spatialement ou fonctionnellement
sont envisageables. Nous avons retenus 3 groupes.
Les points d'accueil des véhicules ou PAV
Le stationnement des utilitaires est un des points noirs de l'acte de livraison, ceci à
double titre : par les gênes apportées aux autres usagers de la voirie (blocages de la
circulation, nuisances, …) et par la difficulté qu'ont les chauffeurs à trouver un lieu
approprié pour se garer (perte de temps, risques divers, …). Par ailleurs, le fait que le
stationnement se réalise majoritairement en marge des règles en vigueur laisse une
impression d'anarchie qui va à l'encontre de toute politique d'organisation des centres
urbains.
Pour répondre à ces difficultés, il peut être mis en place des lieux qui seront durant
leur période de fonctionnement, garantis libres d'accès et gardiennés afin que les chauffeurs-
livreurs puissent rayonner en toute sécurité pour aller apporter ou récupérer les
marchandises. A partir de ces ELU, deux possibilités sont offertes : soit effectuer le parcours
terminal (ou origine) à pied avec éventuellement une aide apportée par du personnel ou des
moyens de manutentions, soit utiliser des services mis en place pour acheminer les envois
par des tricycles ou véhicules particuliers ni encombrants ni nuisants. Les parkings publics
peuvent être sollicités à cet effet.
Les points d'accueil des marchandises ou PAM
Les difficultés d'accéder à certaines zones pour des raisons topographiques,
fonctionnelles ou encore réglementaires rendent délicate leur desserte. Afin de limiter le
perte de dynamique et d'attractivité de ces lieux, des points relais judicieusement
positionnés peuvent être crées. Ces interfaces se substituent au destinataire (ou expéditeur)
pour éviter les "derniers mètres" ; le découplage est spatial (transfert du point d'arrivée ou de
départ de l'envoi) et temporaire (apport ou récupération à une heure en accord avec les
intérêts des deux parties).
Les relations entre le PAM et le client urbain peuvent se concevoir de multiples façons
(avec intervention ou non de véhicules, de prestataires, de prêt d'engins de manutention) et
couvrir une gamme plus ou moins large de produits (depuis le colis carton classique
Mutualisation logistique et plateformes logistiques urbaines 39
© Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 34, N° 1
jusqu'aux emballages en retour ou destinées à la destruction). Ce sont les structures privées
(professionnels ou non du transport) qui sont les principales promotrices de ces outils qui se
rapprochent de ceux qui étaient fort répandus il y a encore quelques années : les "bureaux de
ville".
Les boîtes logistiques urbaines ou BLU.
Ces ELU sont des interfaces qui permettent d'établir le lien entre le transporteur et le
client sans que la présence d'une personne sur le lieu de transfert soit requise. L'intérêt de
ces outils est lié à la maîtrise du temps ; en effet la notion d'heure de livraison est
particulièrement importante pour tous les acteurs du système (avec bien souvent des intérêts
opposés). Les "boîtes logistiques urbaines" (BLU) peuvent être fixes (sas, consignes, box à
colis .) ou mobiles (contenants à formes et dimensions variables). Elles sont implantées en
des lieux privés (commerces, immeubles, …) ou publics (gare, parking, …) faciles d'accès.
La procédure classique (réception du colis / reconnaissance de la livraison) est ici
changée. Ceci implique une déconnexion des opérations de transport et d'administration de
l'envoi, cette dernière se faisant en général avec un décalage dans le temps minime
(n'excédant quasiment jamais 2 jours et relevant le plus souvent de quelques heures). Ces
équipements qui se déclinent sous des formes multiples (locaux, casiers, automates, ...) sont
particulièrement adaptées aux ventes "en ligne" (e-commerce).
5. Conclusion
Des arbitrages obligatoires pour préserver l’équilibre d’un « écosystème » urbain
menacé.
Pollutions et nuisances seront difficiles à juguler si l’on ne décide pas de changer de
paradigme en matière de desserte urbaine. Faut-il pour autant attendre d’atteindre un « état
limite » pour réagir ? En France, chaque année, 4.000 morts sont dues à des accidents
impliquant un poids lourds. Mais ce sont près de 42.000 morts « anticipées » (ou
prématurées) qui sont chaque année la conséquence d’une exposition aux agents polluants,
particulièrement aux particules fines dont la densité est très élevée en milieu urbain. Ainsi, le
transport de marchandises en ville serait à l’origine de 70% de ces particules.
De nouveaux schémas d’organisation plus « durables ».
Les Supply chains sont en perpétuelle évolution et soumises à de fortes mutations.
Seules des solutions co-construites seront en mesure de relever les enjeux d’une
revitalisation tant économique, environnementale que sociétale des grands ensembles
urbains. Leur efficacipassera par une bonne articulation avec le ou les territoires qui les
accueilleront. La responsabilité des urbanistes et des aménageurs est déterminante sur ces
sujets de logistique urbaine qui doivent être intégrés le plus en amont possible dans les
projets d’aménagements.
40 Daniel BOUDOUIN et Christian MOREL
© Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 34, N° 1
Deux axes de changement majeurs s’offrent aux décideurs pour diminuer l’impact des
déplacements de marchandises sur l’environnement urbain :
1
er
axe : la mutualisation des moyens.
- moyens cinétiques : il convient de partager des capacités d’emport, de favoriser le
recours à des modes de transport massif (fer, voie d’eau) en amont des Supply Chains. En
parallèle, sur le dernier kilomètre, il convient de mutualiser les moyens de transports
routiers existants (Cf. programme LUMD, Gonzalez-Feliu et Mornana, 2010 ; Morana et al.,
2014). Mais il s’avère aussi intéressant d’encourager un usage mixte des transports collectifs
en site propre, à savoir partager les infrastructures (ferrées, couloirs de bus, quais, gares) et
les moyens roulants des réseaux de tramway, métro et bus.
L’impact positif attendu se manifestera alors par une diminution du nombre de
véhicules de livraison en tournée, conséquence d’une optimisation du taux de remplissage
des véhicules et d’un report modal au bénéfice du ferroviaire ou de la voie d’eau.
- moyens statiques : il convient de partager les capacités de traitement des flux sur des
entrepôts implantés à proximité ou dans les zones urbaines, en privilégiant des opérations
de transfert l’aide d’unités d’œuvre standardisées, de conteneurs urbains), moins
consommatrices de surfaces et donc de foncier. Ces efforts collectifs permettront de
minimiser les parcours d’approche, donc de faire des économies d’énergie tout en réduisant
les émissions de GES et autres polluants.
2
ème
axe : l’usage de motorisations alternatives.
- Thermiques à carburant alternatif : bio carburant, gaz naturel, GPL.
- Hybrides : diesel ou essence/électrique pour les véhicules de gros gabarit (PTAC >
7,5 T.)
- Electriques : tous les trafics ne sont pas éligibles de livraisons électro-mobiles, mais
ceux qui le sont ont des besoins prédictibles (autonomie et distance en rapport aux volumes
à livrer).
L’effet cumulé d’efforts de mutualisation et de recours à des technologies « vertes »
permettrait de diviser par 80 le coût des effets négatifs du transport de marchandises en
milieu urbain
8
.
Pour être efficients, ces deux axes de changement devront converger vers de nouvelles
interfaces, de nouveaux équipements logistiques urbains, points d’appui indispensables à
l’équilibre de ces Supply Chains d’un genre nouveau.
8
Source : « Logistique urbaine : comment réduire les externalités négatives », Sia Conseil France, avril
2012
Mutualisation logistique et plateformes logistiques urbaines 41
© Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 34, N° 1
Une vision et un portage public durables.
Les acteurs publics et privés ont pris conscience de la nécessité d’agir maintenant,
d’anticiper les schémas logistiques qui demain prévaudront pour assurer un
approvisionnement des villes à la fois performant et accepté. Ce pari sur l’avenir repose sur
l’obligation de préserver l’équilibre socio-économique des différents espaces de centre-ville
tout en réduisant les nuisances induites.
Il revient donc aux Pouvoirs Publics de définir le cadre d’intervention, les limites de
l’exercice. En cela, un portage politique s’avère indispensable.
La capacité des collectivités locales à préserver, réserver, des espaces urbains
répondant aux nouveaux défis de proximité, mutualité et multimodalité imposés par des
comportements d’achats de plus en plus complexes est centrale. Elle renvoie aux enjeux de
coordination des politiques d'urbanisme (habitat, commerces) qui doivent être conduites à
l'échelle d’une agglomération, voire même d’un territoire régional. Cela suppose une
approche stratégique des équilibres territoriaux, de planification foncière.
Pour disposer d’un système compétitif en logistique urbaine, il convient donc
d’intégrer et d’associer tous les acteurs des secteurs publics et privés à la réflexion. Sa
performance sera tributaire de leur capacité à coopérer sur ce sujet.
L’intérêt urbanistique en matière de logistique revient à concilier l’aménagement
urbain et la logistique urbaine en termes de schéma de déplacement, de consommation
d’espace et d’impact visuel. Les réseaux distribuant les flux de marchandises ont autant
« droit de cité » que les réseaux de distribution d’eau, d’énergie ou de télécoms. Dans le cas
contraire, l’adaptation de la logistique à la ville ne se fera qu’en mobilisant et gaspillant
d’importants moyens financiers et matériels.
C’est un challenge de taille à relever pour les gestionnaires des villes, mais qui
s’imposera inexorablement à eux.
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