Revue Française de Gestion Industrielle
Vol. 34, N°4
LA MUTUALISATION LOGISTIQUE CONCERTEE EST-ELLE UN
ESPACE DE CONCURRENCE ATTRACTIF POUR LES
PRESTATAIRES DE SERVICES LOGISTIQUES EN FRANCE?
Valérie MICHON*
————————
Résumé. - Les prestataires de services logistiques ont utilisé, depuis leur
émergence, il y a plus de trente ans, la mutualisation logistique pour leur
propre compte, afin de remplir, au mieux, espaces de stockage et camions afin
de dégager leur marge. Or, depuis quelques années, en France, une
autre forme de mutualisation apparaît timidement : la mutualisation
logistique que nous qualifions de « concertée ». En effet, trois
acteurs : industriels, prestataires de services logistiques et distributeurs
participent, voire mettent en place, une coopération dans une logique
d’optimisation de la supply chain. Nous nous posons la question de
l’attrait de la mutualisation logistique concere pour les prestataires de
services logistiques, au travers d’entretiens entre autres avec des
prestataires engagés ou ayant été actifs dans des solutions de
mutualisation concertée. La mutualisation concertée peut, certes, paraître
offrir des perspectives positives pour les prestataires mais elle
implique aussi des changements organisationnels profonds, du fait du
changement de modèle économique et de l’acquisition de ressources et
compétences spécifiques. Cet article synthétise des pistes pour les prestataires
de services logistiques sireux d’investir dans la mutualisation
logistique concertée.
Mots clés : mutualisation logistique, pool ; prestataires de services logistiques, coopération,
industrie agro-alimentaire.
1.
Introduction
Les expériences de « mutualisation logistique » sont régulièrement citées dans la presse
professionnelle en
logistique
1
. Elles ont fait l’objet de trophées, de
conférences
2
depuis
quelques
* Docteur en Sciences de Gestion, Aix-Marseille Université, CRET-LOG, EA 881, 413 avenue Gaston Berger, 13625 Aix-en-
Provence Cedex, valerie.michon@univ-amu.fr
1
Dans la revue Logistiques Magazine, par exemple, le terme de « mutualisation » renvoie à 835
documents
(janvier 2014).
2
Un exemple de conférence : jeudi 16 octobre 2014 « Mutualisation logistique : réalités et
perspectives » au
cours de la 4e édition du Colloque International de Logistique Urbaine organisé par l’Université de Nantes.
8
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années. Des rapports ont été écrits récemment sur ce sujet (PIPAME, 2011 ; Camman
et alii
,
2013), décrivant, entre autres, des cas de mutualisation et identifiant leurs
caractéristiques et
conditions de mise en place. Le
pool
3
« SPHINX » est parmi les plus
« populaires » etnéficie d’une communication abondante. Il regroupe sept industriels dans
la banlieue parisienne. La mutualisation logistique repose, dans ce cas, sur une mutualisation
transport et entreposage, sur une plateforme de près de 100
000m
2
.
La mutualisation
logistique représente un intérêt pour les industriels, afin de proposer à leurs clients, des
livraisons plus fréquentes avec des quantités plus faibles, en limitant l’augmentation des
coûts logistiques.
Dans toutes les expériences relatées dans la presse ou les rapports, des problématiques
très intéressantes apparaissent, comme celle de l’acteur en charge de l’initiative du pool de
mutualisation logistique ou de sa gouvernance. Les acteurs impliqués dans la mutualisation
logistique sont principalement les industriels, les distributeurs et un acteur tiers en charge de
la prestation logistique, en l’occurrence celui qui nous intéresse ici : le prestataire de services
logistiques. Nous notons, sous l’acronyme PSL, les prestataires de services logistiques en
mesure d’assurer ces missions. Ceux-ci, du fait de compétences particulières, sont soit des
3PL (Third-Party Logistics) soit des
4PL
4
(Fourth-Party Logistics) avec peu ou pas actifs
(Hertz
et Alfredsson, 2003), ceux-ci jouant un rôle d’intermédiation. Sur de nombreux pools, les 4PL
travaillent comme partenaire de 3PL, avec lesquels ils en partagent la gestion.
Le cœur de cet article porte sur le degré d’attractivide la mutualisation logistique : la
mutualisation logistique représente-t-elle un nouvel espace de concurrence attractif pour les
prestataires de services logistiques ?
Aussi, après avoir défini la mutualisation logistique qualifiée de « concertée » (MLC),
nous aborderons son attractivité pour les PSL, au travers de l’analyse de ce potentiel nouvel
espace de concurrence. Dans une marche qualitative, nous nous appuierons sur des
entretiens à la fois de PSL mais aussi d’industriels pour identifier l’intérêt des PSL dans la
proposition de solutions de MLC.
Enfin, nous identifierons des pistes sur les ressources et compétences spécifiques à
détenir par les PSL pour se positionner sur des solutions de MLC.
Dans cet article, nous nous intéressons au secteur de la grande distribution. En effet, les
acteurs et les mouvements de biens sont nombreux, permettant alors d’avoir un terrain
d’étude assez large et des expériences variées. Ce terrain constitue aussi une des limites à
notre réflexion que nous développerons en conclusion.
3
La notion de « pool » fait référence au regroupement d’industriels dans une organisation de
mutualisation logistique concertée.
4
4PL est devenue une marque déposée (
trademark
) en 1996 par Andersen Consulting.
La mutualisation logistique concertée est-elle un espace de concurrence attractif pour les
prestataires de services logistiques en France ?
9
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2.
La mutualisation logistique concertée : un modèle éloigné de la
mutualisation logistique historique ou « de fait »
2.1
La mutualisation logistique historique ou « de fait »
Les PSL ont fondé leur modèle
économique
5
(Amit et Zott, 2001) sur une optimisation
de
l’utilisation de leurs ressources, à savoir transport et/ou entreposage et services associés (par
exemple, les préparations de commande).
En transport, leur objectif est donc de remplir les camions et d’organiser une
synchronisation optimale des flux pour leur propre compte, à la fois en amont (prendre
livraison de produits chez divers industriels, les plus proches possibles) pour les livrer vers
des points de livraison identiques.
En matière d’entreposage, les PSL louent ou possèdent en propre des espaces de
stockage avec le souhait de les rentabiliser au mieux.
Dans ces deux cas, le risque est porté par le PSL, mais la facturation au client tient
compte d’un chargement ou d’une occupation d’espace, sans tenir compte de l’éventuelle
optimisation transport et/ou entreposage qui permettrait d’avoir des coûts inférieurs pour
les chargeurs industriels. Aussi, pour l’industriel, la prestation est plutôt opaque car il ignore
l’optimisation mise en place par le PSL. La marge en résultant est cape en totalité par le
PSL.
Cette mutualisation logistique est celle que nous qualifions de « de fait » ou
« d’historique ». Les PSL la maîtrisent bien, depuis de nombreuses années et elle constitue la
base de leur modèle économique.
Une autre forme de mutualisation logistique existe désormais, et se développe, en
France, depuis 2004-2005, fondée sur une cooration entre membres de la supply chain.
2.2
La mutualisation logistique concertée, fondée sur la coopération.
La décision d’externalisation de tout ou partie de la logistique, par les industriels, a
provoqué un affaiblissement de la maîtrise de cette composante de la vie de l’entreprise, au
profit d’acteurs externes que sont les PSL. Or, ceux-ci ont commencé, il y a dix ans, soit par
obligation, soit par anticipation des souhaits et besoins d’industriels, à proposer un modèle
alternatif à leur modèle de mutualisation logistique « de fait ». Le groupement d’industriels,
au sein d’un pool, permet de travailler autour d’un objectif commun : trouver les
optimisations transport et/ou entreposage, ensemble, pour répondre aux attentes et
exigences des clients des industriels : les distributeurs.
En effet, et notamment depuis la Loi de Modernisation de l’Economie (LME) de 2008,
les délais de paiement des fournisseurs sont écourtés. Les distributeurs ne souhaitent plus,
comme par le passé, stocker. Aussi, les distributeurs exercent une pression croissante sur les
industriels (de grandes et petites tailles) pour la mise en place de livraisons plus fréquentes,
avec des quantités de marchandises répondant à la consommation des clients des
distributeurs : les consommateurs. Par la réduction de leur couverture de stock, leur besoin
5
Par modèle économique, nous faisons rence au «
business model
» définit par Amit et Zott (2001)
et qui permet d’identifier les différents éments qui contribuent à la mobilisation de ressources en
vue de la génération de revenus pour l’organisation.
10
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en fonds de roulement s’en trouve ainsi amélio(Camman
et alii,
2013). Les industriels sont
donc dans l’obligation de trouver des solutions afin d’acheminer leur production sur les
plateformes des distributeurs ou jusqu’à leurs magasins, avec une gulari et/ou une
flexibilité accrue.
Le pool d’industriels est une des solutions envisagées : organiser un transport commun
des marchandises vers des points groupés de livraison, au travers d‘une coopération multi-
acteurs. Afin de répondre à cette demande des industriels, la création de pools, tels que
SPHINX (voir encadré), a permis de réduire la couverture de stock de la distribution. Les
prestations stockage et transport peuvent ainsi être mutualisées en concertation entre PSL et
industriels, voire avec la coopération des distributeurs.
Les caractéristiques de cette mutualisation pour les PSL diffèrent de la mutualisation
« de fait » ou historique des prestataires. La mutualisation logistique concertée doit être
transparente, liant plusieurs industriels entre eux pour des prestations uniquement transport
ou des prestations alliant entreposage et transport. La transparence ne concerne pas les
contrats qui lient chaque industriel à son ou ses prestataire(s) du pool. En revanche, elle
s’applique sur les partenaires de transport, les préparations de commande, la saisonnalité, les
règles de gestion du pool (construites, amendées et modifiées souvent ensemble) La
mutualisation logistique concertée est, comme son nom l’indique, fondée sur une
concertation, plus ou moins étendue entre les acteurs : industriels, PSL, distributeurs. La
coopération est donc la base du fonctionnement optimal de la mutualisation logistique
concertée et représente des enjeux forts en matre de logistique. Elle peut mettre en jeu,
selon le niveau de concurrence des industriels, une logique de coopétition (Bengtsson et
Kock, 2000), alliant ainsi une compétition sur certains aspects de la vie de l’entreprise, et une
coopération notamment sur la partie logistique : trouver ensemble, entre industriels, les
meilleurs synergies possibles, via un acteur tiers indispensable, afin d’éviter des soupçons
d’entente illégale.
Il est utile de préciser que la mutualisation logistique concertée est multiformes.
Plusieurs curseurs peuvent se positionner à différents niveaux. La figure 1, envisage les
composantes de la mutualisation concertée et permet d’entrevoir la richesse des cas de
mutualisation que l’on peut identifier sur le terrain.
Au sein d’une supply chain, la coopération à laquelle nous faisons référence est à la
fois une coopération horizontale (Simatupang et Sridharan, 2002; Cruijssen
et alii,
2007) et
une coopération verticale (Paché, 2005). La coopération horizontale concerne les
industriels, situés au me niveau de la supply chain. Ils partagent des données, des
ressources et au final une valeur ajoutée pour la prestation logistique en question. La
littérature sur la coopération horizontale est encore suffisamment rare pour être dans une
phase émergente (Leitner
et alii
, 2011).
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La mutualisation logistique concertée est-elle un espace de concurrence attractif pour les
prestataires de services logistiques en France ?
11
Figure 1 : d’une mutualisation logistique concertée élémentaire à une mutualisation
logistique concertée complète
Les raisons évoquées par les auteurs (Cruijssen
et alii
, 2007 ; Mason
et alii,
2007) pour
mener à bien une coopération horizontale sont la réduction des coûts logistiques, et
l’amélioration des services clients (voir Pomponi, Fratocchi et Rossi Tafuri, 2015). La
coopération verticale, quant à elle, est un prequis à la fois pour obtenir les informations des
distributeurs, nécessaires aux calculs de production, de stockage, de transport des biens de
chaque industriel, mais aussi pour obtenir des créneaux communs de livraison et ainsi
optimiser la dernière phase de la mutualisation logistique. Elle s’établit donc à la fois entre
distributeurs et fournisseurs mais aussi entre distributeurs et PSL. Tous les acteurs de la
supply chain peuvent donc être impliqués.
La figure 2 schématise la relation existante entre les trois acteurs de la mutualisation
concertée : les industriels, les PSL et les distributeurs.
Paramètres
Mutualisa(on concertée
élémentaire
Mutualisa(on concertée
complète
Périmètre de
mutualisa/on
Transport
Entreposage
Transport + entreposage
Transport + entreposage
+ Services associés
Mul
(
E
pick
Niveau de
concurrence
Aucune rme concurrente Firmes concurrentes
Nombre d’industriels
dans le pool
2
Nombreux sans
concurrents
Nombreux dont
des concurrents
Prestataires
intervenants
Aucun
3PL
4PL
3PL et 4PL
Résultat en
terme de
transport
Camion mieux
rentabili
Camion complet
Livraisons plus fréquentes
Livraisons quo(diennes
Résultat en
terme
d’entreposage
Entrepôt par(ellement
mutualisé
Moyens logis(ques
par(ellement mutualisés
Moyens logis(ques
totalement mutualisés
Entrepôt totalement
mutualisé
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Figure 2 : relations entre industriels, prestataire(s) de services logistiques et distributeur
dans un schéma de mutualisation logistique concertée
6
Multi-pick
: chargement des marchandises sur plusieurs sites consécutifs auprès de
plusieurs sites de stockage.
Encadré : le pool SPHINX
Le pool SPHINX est localisé à Longueil-Sainte-Marie, dans la banlieue nord-est de
Paris. Ce pool est prespar FM Logistic en tant que 3PL (propriétaire de la plateforme et
gestionnaire du pool sur la partie entreposage, chargement et en partie transport) et Interlog
(ex-IPS Europe) en tant que 4PL pour la partie coordination transport. Initialement un pool
de « petite taille », constit par Heinz, Nutrimaine et Pastacorp (Lustucru), actif depuis
2004, le pool SPHINX s’est étoffé avec l’arrivée d’autres industriels. Certains étaient déjà
présents sur le même site. Kimberley-Clark et Kellog’s était impliqués dans un
multi-pick
6
pilo
par IPS Europe (4PL) depuis 2009. Intersnack utilisait les services d’un concurrent de FM
Logistic, proche de ce site, avec un espace de stockage existant aussi à côté de Lyon (produits
Benoit). Maison du Café (Sara Lee) participait à un pool avec Cadbury depuis 2004, proche
d’Orléans. Ces industriels ont tous regroupé leurs stocks sur cette plateforme commune de
Longueil-Sainte-Marie.
La plateforme est entièrement dédiée à la mutualisation des sept industriels sur une
superficie de près de 100 000 m2, au travers de cellules et de pools de mutualisation internes
à la plateforme. Environ 1 million de palettes par an y sont traitées. À partir de cette
plateforme, cinq sites de la grande distribution sont livrés tous les jours par camion complet.
À la mesure de la taille de la plateforme, les camions se déplacent vers trois quais successifs
de chargement, afin de limiter le roulage des palettes. Les commandes sont préparées
sur cinq zones pour être acheminées vers l’un ou l’autre des quais. Le barycentre est calculé
de manière à limiter le roulage des palettes, tout en optimisant le chargement. Des zones de
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La mutualisation logistique concertée est-elle un espace de concurrence attractif pour les
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prestataires de services logistiques en France ?
Au regard des caractéristiques des coopérations, mais aussi de la littérature existante
encore parcellaire sur la mutualisation logistique (Pan, 2010 ; Chanut
et alii
, 2011 ; Chai
et alii
,
2013), nous proposons la définition suivante de la mutualisation logistique concertée :
La mutualisation logistique concertée (MLC) permet d’envisager, par une coopération
horizontale, entre partenaires économiquement et juridiquement indépendants, concurrents
ou non, accompagnée d’une coopération verticale dans certains cas, un partage de la valeur
créée grâce à leur coopération et à l’action éventuelle d’un acteur tiers pour créer, faciliter et
pérenniser les relations au sein du pool. Elle s’inscrit à divers degrés dans une marche de
développement durable.
Les conséquences d’une coopération sont nombreuses. Positives, mais aussi gatives
pour les partenaires qui coopèrent, elles impactent la réalisation effective de la coopération.
Parmi les plus importantes et les plus décisives pour l’engagement des industriels dans un
processus de mutualisation logistique fondé sur la coopération, on peut citer (Cruijssen
et alii
,
2007) :
La crainte de divulgation de données du fait de la mise en commun de
ressources informationnelles, d’autant plus aigüe que les entreprises
partenaires sont concurrentes (coopétition) et d’autant plus que les données
sont sensibles,
La dépendance de l’industriel vis à vis d’un ou de plusieurs prestataires
(enracinement) et d’un schéma logistique (Fulconis et Paché, 2005 ; Fulconis
et
alii
, 2011),
La crainte de sanctions par les instances judiciaires du fait de requalification de
la coopération en « entente illégale » entre partenaires concurrents,
La flexibilité possible du fait de la mise en commun de ressources matérielles,
La nécessité de définir des règles de gestion et/ou de fonctionnement et de les
faire évoluer dans le temps, avec l’accord de tous.
Le tableau suivant identifie les caractéristiques divergentes entre mutualisation
historique ou « de fait » et MLC et permet de mettre en lumière le travail tout autre et plus
complexe du prestataire vis à vis du service qu’il s’engage à rendre.
préparation communes existent sur le site, ainsi qu’une flexibilité des espaces de stockage,
selon la saisonnalité des produits de chacun des industriels et des périodes de promotion.
La fréquence de livraison quotidienne vers chacun des points de distribution permet
d’indiquer que la taille de ce pool est optimale, du moins si l’on considère comme critère de
performance la fréquence de livraison.
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Mutualisation logistique
“de fait
Mutualisation logistique “concertée”
Action solitaire du prestataire de
service logistique
Concertation PSL /industriels et/ou distributeur
mettre en place des relations entre les membres du pool
Pas de règle de gestion
Règles de gestion, évolutive, grâce éventuellement aux
suggestions du (des) PSL en charge du pool
Pas de
reporting
sur l’activi
Reporting
régulier réalisé par le PSL auprès des
industriels sur l’activité du pool logistique
Ressources et compétences
“classiques”: planification
transport, vente de prestations,
Ressources et compétences spécifiques : e.g. expertise en
GPA, savoir-faire négociation/arbitrage, RH
spécifiques, gestion de pools
Vente d’un service sur la base
d’une prestation « standardisée »
Prestation de service spécifique à une organisation de
pool
Risque porté par le prestataire de
services logistiques
Risque porté par les industriels et en partie par le(s)
prestataire(s) de services logistiques
Tableau 1 : les divergences entre mutualisation logistique « de fait » et mutualisation
logistique « concertée »
3.
Les prestataires de services logistiques, acteurs tiers légitime de la
mutualisation logistique
3.1
Le positionnement des prestataires de services logistiques dans la supply chain
Les PSL ont fait évoluer leur offre, depuis leur émergence il y a une trentaine d’année.
A l’origine simple pourvoyeur d’activités de transport d’un point à un autre, ou de stockage
simple de marchandise avant une expédition, les PSL ont su développer une offre diversifiée.
La liste des services proposés à leurs clients s’est étendue, pouvant même aller jusqu’à
l’assemblage des produits. Pour se faire, les PSL se sont dotés d’outils de gestion
performants et d’infrastructures adaptées. Au fil des années, les PSL ont donc su pondre
aux attentes de leurs clients, alliant des compétences de régulateur des flux, de pilotage,
acquérant ainsi une expertise croissante sur une fonction de plus en plus sensible et
compétitive de l’organisation : la logistique et ses extensions.
Les PSL, ayant une activité nécessairement internationale, tentent de capter des clients
et de les fidéliser, via une offre adaptée, et afin de pondre à leurs besoins d’optimisation,
en terme de prix de la prestation, mais aussi en terme de qualide service. D’autant plus
que la baisse du coût d’une prestation a des limites. Ainsi récemment, Marie-Christine
Lombard, Présidente du Directoire de
Geodis
7
affirmait : « selon l’ancien paradigme, entre 2008
et 2013, les clients attaquaient leur problématique d’amélioration des performances de leur supply
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La mutualisation logistique concertée est-elle un espace de concurrence attractif pour les
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prestataires de services logistiques en France ?
chain par une duction des coûts obtenue principalement en négociant sur les prix. Nous pensons
qu’un plancher a été atteint, et qu’il y a une prise de conscience de la nécessité d’une optimisation de
la supply chain, avec le besoin d’un partenaire logisticien qui va non pas travailler sur les prix mais
sur une meilleure organisation des processus
»
8
.
Les PSL se posent donc en « optimisateurs de processus », comme des partenaires des
chargeurs, en mesure de travailler sur des problématiques clients. Dans cette optique, les PSL
peuvent donc se placer comme firme pivot de la supply chain, avec un objectif
d’ « enrichissement » des contrats avec les chargeurs : augmentation de la durée des contrats,
diversité des tâches et pourquoi pas fidélisation de leurs clients.
3.2
Les PSL : pivot de la supply chain et acteur légitime de la mutualisation logistique
concertée sous conditions de compétences spécifiques
La diversité des schémas de mutualisation logistique concertée en fait un sujet riche
mais complexe portant sur le niveau d’intervention des acteurs, leurs relations inter-
organisationnelles, le nombre d’acteurs impliqués, le pilotage de la solution et sa
gouvernance. Ainsi, le PSL peut prendre un le lui laissant surtout la partie opérationnelle à
gérer. Il se trouve alors plutôt le centre d’un seau radial, et représente le seul lien entre les
membres du réseau. Il peut aussi se trouver dans un rôle de pilotage, voire me de
conception, dans une logique alors maillée, alors que tous les acteurs sont inter-reliés
(Fulconis et Paché, 2005).
Dans la seconde configuration, le PSL, pour se saisir de cette opportunité d’être
concepteur, voire pilote de la solution de MLC, doit développer des ressources et
compétences. Elles permettent l’émergence d’un avantage concurrentiel si elles sont
combinées de manière « industrieuse et ingénieuse » afin d’amener à la création de
compétences spécifiques (Lambourdière et Corbin, 2010). Or, au regard de la littérature
existante (voir Michon, 2014) sur les ressources des PSL concernant les ressources mobilisées
pour la mise en place d’une MLC, il est possible d’identifier certaines caractéristiques qui
conduisent à l’identification de ressources et compétences spécifiques. Il faut s’attacher à la
base même de la MLC à savoir la coopération. Ces ressources et compétences sont
spécifiques dans la mesure leur degré d’expertise ou leur possession est spécifique au
service rendu, à savoir la mise en place ou la participation directe à la gestion du pool.
Or et si l’on s’appuie sur la littérature existante, la coopération et la MLC s’appuient
sur plusieurs dimensions :
la confiance et les relations de confiance indispensables qui se nouent entre les
acteurs qui coorent, au travers notamment d’un échange d’information
nécessaire à l’optimisation des process (Halley
et alii,
2006),
le partage des risques et des bénéfices entre les acteurs (Lambert
et alii,
1996),
le partage des responsabilités et/ou de tâches pour arriver au résultat escompté
(Simatupang et Sridharan, 2002) et notamment à celui de l’optimisation du
fonctionnement du pool et à l’anticipation des questions de fonctionnement par la
négociation de règles de gestion par exemple, la mise en place de systèmes
7
Geodis est un PSL, de type 3PL, classé premier en terme de chiffre d’affaires logistique France 2014
par la revue Supply Chain Magazine (n°95 juin 2015)
8
Supply Chain Magazine, newsletter 2015, 25 mars 2015.
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d’information permettant à la fois de récolter l’information, de partager tout ou
partie d’entre elle, en permettant la sécurité des données sensibles, prévenant ainsi
des comportements opportunistes d’acteurs.
L’acteur tiers, dans ces conditions, permet d’assurer une protection des données, tout
en prenant les cisions les plus optimales possibles pour le pool. Des compétences, entre
autres, de concepteur et de gestion de projet avec des spécificités liées à la MLC, comme
l’identification précise de familles logistiques de produit, sont essentielles pour que le PSL
soit considéré comme un acteur à la fois légitime et performant dans une solution de MLC.
4.
Méthodologie
Dans le secteur de l’alimentaire, le terrain de la MLC est étroit. Compa aux 56447
entreprises de l’agro-alimentaire (nombre d’unités gales hors boissons, hors agriculture
données 2011, source INSEE - ESANE), la part des industriels impliqués dans des solutions
de MLC est infime, de l’ordre d’environ 0,1%, à notre connaissance.
L’unité d’analyse que nous avons sélectionnée est le prestataire de services logistiques.
Nous avons interrogé, pour les prestataires impliqués dans les pools de MLC, des industriels
auxquels ils sont reliés via un cas de MLC. Nous avons volontairement écarté les prestataires
du frais et ultra-frais. En effet, les caractéristiques intrinsèques des produits et les exigences
de livraison quasi-quotidienne du fait de la remption des produits, font que la prestation
logistique est déjà particulière. Parmi les cas des produits ambiants, nous avons trois PSL
impliqués dans trois cas, avec une maturité des pools spécifique à chacun. En référence aux
écrits de Yin (2009), nous avons choisi des cas contrastés.
Les entretiens menés sont semi-directifs, selon un guide d’entretien spécifique à chaque
type d’acteur.
Le tableau 2 détaille les entretiens réalisés entre juin et septembre 2013. Tous les noms
des pools, des prestataires et des industriels sont rendus anonymes, demande formulée par
certains de nos interlocuteurs.
Prestataires
Cas
Industriel
Maturi
PREST1
+
PREST5
ALPHA
INDUSA1
+ INDUSA2 à A7
Croissance
PREST2 + PREST4
+
PREST5
BETA
INDUSB1
INDUSB2
INDUSB3
Croissance
PREST3
+
PREST5
GAMMA
INDUSG1
INDUSG2
INDUSG3
Disparu
Tableau 2 : prestataires de services logistiques, industriels et cas de mutualisation logistique
concertée
Ces PSL ont été choisis du fait de leur implication actuelle dans des solutions de MLC,
l’un étant un 3PL (PREST1), l’autre un 4PL (PREST5). Un troisième PSL (PREST3) a géré, par
le passé, une solution de MLC. Pour chacun de ces pools, nous avons interro plusieurs
industriels répertoriés dans le tableau 2 (en gras).
Pour chaque cas de mutualisation logistique concertée, nous présentons, dans le
tableau 3, quelques caractéristiques.
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La mutualisation logistique concertée est-elle un espace de concurrence attractif pour les
17
prestataires de services logistiques en France ?
Cas
Nombre
d’industriels
Intervention des PSL
Coopétition ?
ALPHA
7
3PL + 4PL
Industriels non concurrents
majoritaires
BETA
3
3PL + 4PL + 4PL
Non concurrents
GAMMA
3
3PL + 4PL
Concurrents sur certains
produits
Tableau 3 : spécificités des cas de mutualisation logistique concertée étudiés
Les industriels interrogés sont au nombre de cinq. Ils constituent un panel des
industriels en lien avec certains prestataires cités précédemment. La taille de ces industriels
est variable : allant d’un industriel de taille importante (mais insuffisante sur la gamme de
ses produits pour mutualiser en interne) comme INDUSB1, à un industriel de petite taille,
INDUSB2. Le tableau suivant présente quelques données sur les industriels interrogés. Au
total, neuf entretiens de PSL et d’industriels, et quatre entretiens d’experts (un consultant
spéciali dans la MLC, deux concepteurs de systèmes informatiques spécifiques à la
mutualisation logistique et un délégd’une association paritaire industriels / distributeurs
travaillant sur plusieurs dossiers dont l’un d’eux porte sur le développement de la
mutualisation logistique concertée).
Cas
Industriels
interrogés
Effectifs
Chiffre d’affaires
(millions d’euros)
ALPHA
INDUSA1
370 (2012)
470 (2011)
BETA
INDUSB1
860 (2009)
700 (2012)
INDUSB2
500 (2012)
214 (2012)
GAMMA
INDUSG1
636 (2010)
732 (2012)
INDUSG2
750 (2011)
759 (2011)
Tableau 4 : spécificités des industriels interrogés
Ce papier s’appuie également sur des données secondaires, issues de sites internet, de
conférences, et d’articles de la presse professionnelle.
Au regard de notre méthodologie qualitative et pour obtenir des résultats exploitables,
les entretiens ont été retranscrits puis traités avec le logiciel NVivo 10. Celui-ci nous a permis,
notamment, de mettre en avant des réponses à la question initiale portant sur l’attrait de la
solution de mutualisation logistique concertée pour les PSL.
5.
Les résultats
Quel attrait représente la mutualisation logistique concertée pour le PSL ? Sans vouloir
aller jusqu’à la présentation d’une matrice d’analyse stratégique, qui sera l’objet de recherches
ultérieures, notre objectif est de mener une première flexion sur les caractéristiques de la
MLC au regard des compétences nécessaires des PSL pour investir cet espace de concurrence.
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Au regard du nombre d’industriels dans le secteur de l’alimentaire, et même si peu sont
engagés à ce jour, la question d’un nouvel espace de concurrence se pose, avec des opportunités
pour les PSL en mesure de proposer des solutions de MLC. Or, selon les entretiens que nous avons
menés auprès des PSL et des industriels, la solution de MLC remet en perspective la difficulté de
mener à bien cette alternative à la mutualisation logistique historique. La MLC est vue à la fois
comme une opportunité pour les PSL, et comme complexe et risquée à mettre en œuvre. Afin de
répondre à ces caractéristiques, le PSL doit posséder des ressources et compétences spécifiques, objet
d’une première approche ici.
5.1
La mutualisation logistique concertée : une opportunité pour le PSL
Les pools de MLC regroupent plusieurs industriels, au moins deux, sur des sites de stockage
communs, avec un transport mutualisé à partir de ces sites ou dans une formule de
multi-pick
dans
le cas de sites de stockage différenciés et non mutualisés.
Un PSL, impliqué dans un processus de MLC,re ou pilote, un pool d’au moins deux
industriels. Le plus grand pool en France à cette date, étant de sept industriels, le prestataire, 3PL,
FM Logistic, conduit une partie de la prestation logistique pour les sept chargeurs du pool. La MLC
peut apparaître ainsi comme une opportunité commerciale. Un pool étant une organisation
spécifique pour un groupe d’industriels, le PSL, sous réserve d’une réelle compétence, peut
stabiliser des contrats sur un terme plus long qu’un contrat de prestation logistique « de fait ».
C’est ainsi que le prestataire le plus impliqué dans des solutions de MLC, PREST1, l’a
considéré. Il l’a crit plus exactement comme un « domaine d’activité stratégique » (DAS) sur
lequel il avait possibilité d’investir et de rentabiliser les investissements consacrés. En effet, ayant
entendu les préoccupations des industriels, le prestataire a étudié et peaufiné sa stratégie, au cours
des années, pour rendre quasiment incontournable le recours à ses services par les industriels de
taille moyenne, désireux de se lancer dans une solution de MLC. Sa participation active à des
conférences professionnelles, l’intérêt croissant des journalistes de la presse professionnelle pour ce
type d’expérience et le lancement du plus grand pool de MLC français, lui permettent d’avoir une
visibilité sur le marché et d’afficher clairement des compétences spécifiques dans la gestion de la
MLC.
Les autres prestataires interrogés (PREST3 et PREST5) mais aussi les industriels sont
respectueux du travail de ce prestataire. Ils reconnaissent une «
expertise
» loin devant celle d’autres
prestataires qui se démarquent clairement sur d’autres DAS. A la question de ce qui distingue ce
prestataire, plusieurs répondants sont d’accord pour affirmer que ce type de process logistique est
un «
métier spécifique
» et que le prestataire (PREST1) a pris «
une dizaine
d’année d’avance
». Cette
constatation permet de supposer que l’expérience est importante dans l’expertise d’une prestation
en matière de MLC et qu’elle est nécessaire pour être reconnue légitime sur le marché. La légitimité
est telle que lors de nos entretiens avec le prestataire PREST1 ou les industriels en lien avec des
pools gérés par PREST1, il nous a été affirmé que si l’un des industriels quittait l’un des pools qu’il
gère, la liste des prétendants à l’entrée dans le pool était suffisante pour ne pas le stabiliser. Il
semble que les
insiders
soient particulièrement enviés par des
outsiders
. L’effet de rareté serait
entretenu par le prestataire et par les industriels parties prenantes du pool, un véritable avantage
compétitif se faisant jour par la participation à un pool géré par PREST1. C’est sous cette forme que
le pool est présenté lors de plusieurs conférences professionnelles sur ce thème.
Pour les industriels interrogés, le fait d’identifier un prestataire ayant à son actif des
expériences de MLC « stables », à savoir des pools avec une existence supérieure au renouvellement
d’un contrat de prestation logistique « de fait », leur permet de considérer la MLC comme une
orientation stratégique viable de la gestion de leur supply chain. Aussi le prestataire, dans un tel cas
de figure, peut être sollicité comme prestataire pour
l’organisation d’un pool de MLC. Le nombre de PSL pouvant prétendre à ce statut
«
d’expert
» en mutualisation logistique est de deux, dont l’un a, depuis, abandonné ce type
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La mutualisation logistique concertée est-elle un espace de concurrence attractif pour les 19
prestataires de services logistiques en France ?
de prestation. En effet, au sein du pool gépar PREST3, aucun acteur réellement structurant n’avait
réussi à prendre la main. Dans les conditions extrêmes de ce pool constitué d’entreprises
concurrentes, dans une logique de coopétition, seul le prestataire aurait pu prendre ce le. Or la
structure de management du pool était trop faible et surtout sujette à des pressions concurrentielles
fortes, ce qui a précipité sa disparition, par l’abandon d’un des industriels.
Grâce à la veille opérée par le haut management de deux prestataires, la MLC est apparue, au
moins pour l’un d’eux, comme un DAS. En dix années, PREST1 est devenu leader dans cette offre de
mutualisation pour l’ambiant, dans l’agro-alimentaire, pour des industriels de taille moyenne. Un
autre prestataire, DHL a, depuis, identifié les petites PME comme des clients potentiels ayant un fort
intérêt à la mutualisation transport, et a développé une offre correspondante, grâce à une réflexion
menée en collaboration avec un cabinet de consultant. Dans les deux cas, l’attrait principal pour les
industriels est de néficier de coûts logistiques plus faibles et d’offrir un meilleur service à leurs
clients, avec des livraisons plus fréquentes. Pour l’industriel, faire évoluer sa supply chain dans ce
sens peut représenter un risque qu’il est prêt à prendre si le PSL auquel il est fait appel est un expert
sur cette mission et si les bénéfices à en tirer sont globalement intéressants.
Enfin, le prestataire peut se servir de la MLC afin de laisser entrevoir un bénéfice en terme
d’image. Moins de camions sur les routes, une elle optimisation de remplissage des camions et des
espaces de stockage, une flexibilité des ressources permettent de duire le
CO
2
libéré dans
l’atmosphère et par conséquent, pour les industriels, la duction des coûts
logistiques (Browne et
Gomez, 2011 ; Pan
et alii
, 2013). L’affichage d’un bilan carbone en baisse grâce à ce type
d’organisation propo et/ou piloté par un PSL ne peut être qu’un élément d’attractivi
supplémentaire pour l’industriel, si celui-ci y est sensible.
5.2
La mutualisation logistique concertée comme complexe à mettre en œuvre
En étudiant les sites internet des prestataires de services logistiques seulement deux
mentionnent la mutualisation logistique (concertée) comme faisant partie du panel de leur offre de
service, sur un total de dix étudiés. Les raisons de ce manque d’enthousiasme de la part des PSL
tiennent, d’après nos entretiens, à la «
maîtrise
» du service par un prestataire (PREST1), et à la
complexité perçue de la mise en œuvre d’une MLC.
Au regard des entretiens que nous avons menés, la complexité apparaît à chaque
phase de la MLC, à la fois perçue par les industriels et par les PSL et sont repris dans le
tableau 5.
Phases
Étapes
A l’origine de la MLC
identification des industriels aptes à pouvoir mutualiser ensemble et
démarchage de ces industriels
étude de faisabilité avec des délais très longs de mise en place (de 8 mois à
2 ans, sans garantie quant à leur orationnalisation finale)
Opérationnalisation
identification des compétences des prestataires lorsqu’ils sont plusieurs à
gérer le pool (en général deux)
Mise en place et vie
du pool
négociation, respect et évolution éventuelle des règles de gestion
organisation de comités de pilotage fréquents avec le responsable supply
chain de chaque industriel partenaire du pool
Lors de grands
changements
en cas d’abandon d’un industriel, recherche de nouveaux industriels de
remplacement, avec les problématiques de « compatibilités », afin de
continuer à optimiser le pool
Tableau 5 : la complexité à chaque étape de la MLC
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Ainsi PREST1 a
« vu des pools qui avaient tout techniquement pour démarrer et qui n'ont pas
pu marrer. C’était un échec car soit les industriels n'arrivent pas à sauter le pas, soit le manque
d’affinité entre eux : un qui tire un peu trop la couverture à lui sur les gains ; l'autre qui est petit
mais qui veut se faire valoir parce qu’il est petit…».
Ce qui peut conduire à des projets
expérimentaux qui ne se concrétisent pas du fait d’un comportement inadapté aux gles de
coopération dans un pool. D’ailleurs plusieurs répondants ont fait référence à la notion de «
mariage
», de
«
concessions
», de «
compromis
» (INDUSB2), liant l’un d’eux à la maturide l’organisation
logistique interne. Enfin, pour s’entendre, les relations directes, de visu, de tous les acteurs
du pool (industriels et PSL) sont favorisées par les réunions des comités de pilotage, appelés
«
co-pil
» (PREST5), nécessitant une disponibilitégulière des protagonistes, sur des
créneaux communs, ce qui peut être difficile à organiser sur des grands pools (plus de trois
industriels).
5.3
La mutualisation logistique concertée considérée comme risquée pour les PSL
La coopération bien qu’en théorie apportant de nombreux bienfaits, ne produit pas
toujours les résultats escomptés (Fawcett
et alii
, 2012 ; Cruijssen, 2012). Plusieurs raisons à ce
manque de résultats sont identifiées dans la littérature comme le manque de confiance entre
les parties. Dans le cas de la MLC, et dans les cas étudiés, la confiance joue un le
primordial. Elle s’exprime surtout au niveau des relations entre l’industriel et le prestataire.
Le prestataire s’engage à fournir un niveau de service et l’industriel lui fait confiance pour
atteindre ses objectifs. Ici, ce principe est commun à toute prestation logistique. En revanche,
dans le cas de la MLC, l’implication du PSL et des industriels se situe à un niveau supérieur :
les relations tissées entre l’industriel et le prestataire dépasse ce simple duo ; c’est une
symphonie constituée des acteurs de la supply chain (y compris, entre autres, les clients des
industriels) qui doivent agir de concert afin de tirer le plus grand avantage pour chacun.
Les relations PSL - industriels ont des répercussions sur les résultats globaux du pool. Si un
industriel, insatisfait, décide de quitter le pool et d’accepter une offre d’un autre prestataire,
c’est tout un pool à reconstruire, pour éviter l’effet domino : la fuite des autres industriels. Un
exemple illustre ce cas de figure, le pool HECORE, constitde Henkel, Colgate et Reckitt, trois
industriels concurrents, avec l’abandon d’un industriel du pool. Les deux autres industriels ont
changé de prestataire et ont constitué un nouveau pool à deux.
Les liens établis entre l’industriel et le prestataire ne sont plus des liens « one to one »
part sur la partie purement contractuelle et théorique), mais des liens « collectifs », informels,
qu’il conviendrait d’étudier plus en détail, afin d’identifier les éventuels liens de pouvoir
s’établissant dans ce contexte.
5.4
Ressources et compétences des PSL cessaires à contrer les difficultés de la MLC
Pour faire face à la complexité et au risque de la MLC, les prestataires et industriels
interrogés ont identifié plusieurs ressources et compétences spécifiques, repris dans le tableau
6.
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La mutualisation logistique concertée est-elle un espace de concurrence attractif pour les 21
prestataires de services logistiques en France ?
Ressources et
compétences …
… spécifiques à la MLC
Matérielles
-
plateformes adaptés à la MLC (zones communes de picking, flexibili
et taille des locaux)
-
systèmes informatiques dédiés et spécifiques à l’optimisation des
transports et des stockages en fonction de règles de gestion définies
entre industriels et prestataires
Humaines
-
personnel forà chaque niveau (de la plateforme aux gestionnaires
du pool) sur les particularités de la MLC
-
personnes ressources proches du milieu des industriels et des process
de gestion partagée des approvisionnements (GPA)
-
participation à des colloques, à des conférences, écoute des industriels,
veille logistique, identification des industriels intéressés et du potentiel
de mutualisation pour chacun
-
confiance des industriels dans l’optimisation du pool et la gestion de
projet, grâce à la mise à disposition d’une équipe dédiée et experte, en
charge des pools de MLC
-
savoir rassembler les responsables logistiques/supply chain afin de
discuter des résultats du pool, des améliorations à apporter et des
modifications souhaitables des règles de gestion
Financières
-
capacité financière pour monter des projets de MLC sans avoir la
certitude de finaliser le projet
-
investissement dans des projets en attente d’optimisation
Organisationnelles
-
organisation des plateformes en fonction de règles de gestion,
concertées entre les acteurs du pool
-
compétences gestion de projet
-
compétences de calcul de barycentre pour la localisation des
plateformes et la localisation des quais de chargement internes à la
plateforme
Tableau 6 : les ressources et compétences des prestataires de services logistiques prenant part
à une mutualisation logistique concertée
Ce sont ces ressources et compétences qui permettent de pondre au mieux à la
complexide la MLC. Il reste que l’anticipation ne peut être parfaite mais la activité du PSL,
elle, doit être aussi élevée que possible. L’efficacité de la solution de MLC tient sur quatre
piliers :
la coopération entre industriels et leur niveau d’implication dans le pool,
la confiance prodiguée par les industriels au PSL,
la réactivité et l’expertise du PSL,
les gains en termes de taux de service et de coûts logistiques et la satisfaction des
clients des industriels vis à vis du pool.
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22
Toutes les actions entreprises par le PSL en matière de ressources humaines ou en
matière d’infrastructures par exemple, pour satisfaire les spécificités de la MLC, contribuent
à lui donner une expertise générale, et donc de lui donner une légitimité vis à vis des
industriels désireux de s’engager dans une MLC.
6.
Conclusion
A l’issue de cette étude sur ce potentiel nouvel espace de concurrence que constitue la
MLC pour les PSL, nous pouvons en déduire qu’il reste un long chemin à parcourir pour les
prestataires qui souhaiteraient le conquérir. Deux écueils à l’accessibilité de la MLC pour les
PSL sont identifiés :
l’un des prestataires est déjà engagé dans des actions claires de conquête de la MLC,
développant une expertise, à ce jour, inégalée,
le changement de modèle économique pour le prestataire paraît être difficile à
admettre, surtout lorsqu’il suppose de travailler différemment, en associant les
industriels à la démarche de mutualisation.
Pourtant, l’attachement, voire l’enracinement que les l’industriels peuvent
développer au regard du pool et du gestionnaire du pool, représentent un premier point
d’attrait pour le PSL. Un second attrait, que nous envisageons d’étudier ultérieurement,
est l’affichage « développement durable » d’une solution de MLC, qui aura peut-être un
poids supérieur dans quelques années, permettant d’attirer des industriels en quête de
solutions logistiques
« vertes », respectueuses des trois piliers du veloppement durable
(économique, social et environnemental).
Les prestataires pourraient, avec une captation potentielle de clients, sur un terme plus
long qu’une prestation « classique », saisir l’opportunité d’offrir un service avec des
perspectives économiques voire « durables » intéressantes. Il reste que plusieurs difficultés
freinent cette décision stratégique :
la manipulation délicate de données confidentielles de chacun des partenaires,
l’organisation spécifique et modulable à mettre en place, avec, par exemple, de
multiples mises à quai et plusieurs zones de picking communes,
la gestion multi-parties, avec, souvent, une gestion du pool à partager avec un autre
prestataire et avec l’intervention concomitante et contraignante des industriels dans la
prise de cision.
La remise en cause de leur maîtrise de processus logistiques historiques, ainsi que de
faibles moyens handicapant leur prise de risque, bloquent leur proactivité en matière de
propositions de solutions de MLC. Comme il n’existe pas un modèle type de MLC, le
prestataire devient alors l’architecte d’une solution «
sur-mesure
» pour des industriels
«
compatibles
». Le type de MLC est spécifique aux acteurs qui le font vivre (industriels,
prestataires et distributeurs) et trouve son équilibre en faisant varier les paramètres de
flexibilité et de coopération entre les parties (Nagati
et alii,
2009).
L’implication du prestataire dans une démarche de MLC, qui ne peut se faire sans
un investissement préalable dans des ressources et compétences spécifiques, peut apparaître
anecdotique, tant les candidats industriels à la mutualisation logistique concertée sont peu
nombreux, relativement au nombre d’industriels en France. Les industriels seront
probablement demandeurs de telles solutions, du fait de l’augmentation des prix des énergies
ou de la mise en place de taxes supplémentaires, renchérissant les coûts logistiques, ce que
devait faire l’ « éco-taxe ». La chasse aux kilomètres à vide et à l’espace de stockage sous-
optimisé permettront peut-être d’inciter les PSL à proposer des solutions de MLC.
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La mutualisation logistique concertée est-elle un espace de concurrence attractif pour les 23
prestataires de services logistiques en France ?
Enfin, il semble que le secteur de l’agro-alimentaire ait été devancé par d’autres
secteurs sur des organisations logistiques visant à leur optimisation. En effet, le secteur de
l’automobile a, par exemple, des process logistiques utilisant la mutualisation logistique
afin d’être au plus près de la production en « juste à temps ». Il serait intéressant de
comparer ces deux secteurs, sachant que les acteurs et les produits sont très différents, avec
des caractéristiques propres et des exigences différentes en terme de qualité et de suivi.
Ainsi trouverons-nous probablement d’autres caractéristiques de la MLC, engageant une
attractivité différente pour les prestataires ?
Il aura fallu dix années au prestataire « leader » sur ce marché, pour arriver à
proposer un pool d’envergure, grâce à des compétences désormais maîtrisées. Les autres
prestataires risquent de «
louper le train
», comme l’indiquait l’un de nos interlocuteurs
industriel, laissant alors à un, voire deux PSL la maîtrise du marc des industriels, en
matière de mutualisation logistique concertée.
7.
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