Revue Française de Gestion Industrielle
Vol. 34, N° 1
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
L’EVOLUTION DES COMPETENCES DU LOGISTICIEN ET SES CONSEQUENCES
SUR LES BESOINS EN FORMATION CONTINUE DANS LA GRANDE REGION
Thierry Houé
ICN Business School Nancy-Metz CEREFIGE
thierry.houe@icn-groupe.fr
Résumé: La logistique s’est lentement transformée en une fonction intégrée,
processuelle et transversale. Une plus grande proximité entre GRH et logistique
s’est aussi progressivement installée. En effet, cette mutation a eu un effet direct
sur l’évolution des compétences des logisticiens et a renforcé la nécessité d’une
réflexion sur la mise en place de plans de formation plus efficaces et adaptés. De
nouveaux besoins sont apparus comme par exemple, davantage d’aptitude à la
communication ou au management de proximité. Fondée sur une étudealisée
en Grande Région dans le cadre d’un projet INTERREG IV-A, l’objectif de cet
article est de répondre à la question de l’impact de cette transformation sur les
besoins en formation continue dans un espace les activités logistiques sont
très présentes.
Mots-clés : Compétence, formation, Grande Région, logistique, prospective métier.
Introduction
En 40 ans, d’un ensemble de fonctions cloisonnées et considérées comme des sources de coûts
mal maîtrisés, la logistique (incluant à notre sens le transport) s’est transformée en un outil
transversal et intégré au service du client. Face à un environnement ultra concurrentiel, elle est
aujourd’hui regardée comme un instrument de compétitivité (Paché, 2006). Sa
professionnalisation et la pluralité des métiers individuels (Boyer, 2002b), sectoriels (Boyer et
Scouarnec, 2009) et d’entreprise (Boyer, 2002a) qui sultent de sa mutation ont entraîné une
évolution des compétences nécessaires. Dans l’exercice de ses fonctions, le logisticien doit ainsi
posséder une diversité de savoir-faire évolutifs de nature technique et managériale
(Gammelgaard et Larson, 2001). En outre, les différences d’approches de la logistique dans les
entreprises (d’origine organisationnelle, culturelle, …) ont également une influence sur ces
compétences. Enfin, le développement du supply chain management et sa visée plus stratégique
et coopérative constituent un autre point d’inflexion. Face à ces constats, il devient judicieux
de se poser la question de leur impact sur les besoins en formation continue des ressources
humaines en logistique. C’est à cette question centrale que nous essayons de pondre en
prenant des entreprises de la Grande Région Saar-Lor-Lux-Rhénanie Palatinat- Wallonie-
Communauté française et germanophone de Belgique, comme terrain d’investigation. Dans un
premier temps, afin d’exposer les principales évolutions des compétences du logisticien, une
72
T.HOUÉ
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
revue de la littérature sur le sujet est réalisée. Dans un second temps, un état des lieux de la
formation continue en Grande Région est dressé par l’intermédiaire d’une analyse du tissu
économique et des systèmes de formation. Par la suite, une étude terrain à visée qualitative est
effectuée auprès d’un échantillon de 50 entreprises. Ce choix répond à l’objectif de bénéficier
d’un espace transfrontalier permettant de prendre en considération, non seulement l’évolution
des compétences, mais aussi les différents besoins réclamés par une gestion logistique dans des
contextes diversifiés. Ces investigations ont de surcroît pour objet d’analyser et de mesurer
l’adéquation de l’offre de formation continue transfrontalière dans ce domaine, afin de
déterminer si elle répond aux attentes réelles des firmes. La recherche bénéficie de l’expérience
et des résultats du groupe de projet INTERREG IV-A Formation Continue Universitaire (FCU),
auquel nous sommes associés depuis novembre 2009
1
. Après une analyse des résultats
d’entretiens semi-directifs de DRH et de responsables logistiques, ce travail aboutit à un point
sur les compétences du logisticien recherchée en Grande Région, ainsi qu’à une liste de besoins
de formation. A la fin de l’article, quelques solutions de formation continue adaptées aux
entreprises de cette zone géographique sont proposées et de futures pistes de recherche sont
évoquées.
1. La mutation progressive de la fonction logistique et son impact sur les
compétences du logisticien
Afin de comprendre l’évolution des compétences du logisticien, il faut se remémorer les
transformations de la fonction logistique qui sont en grande partie à l’origine de changements
radicaux. Plusieurs points retiendront l’attention du lecteur. Le premier traite du glissement de
la fonction logistique d’une approche segmentée vers une vision plus processuelle. Le second
revient sur la transversali de plus en plus prégnante des compétences du logisticien. Le
troisième précisera néanmoins la multiplicité des schémas de raisonnement et des besoins en
termes de compétences présents dans les firmes.
1.1.
D’une approche séquentielle à une vision plus intégrée et processuelle
Dans l’entreprise, la logistique est peu à peu passée du statut de fonction fractionnée et
cloisonnée à celui de fonction intégrative et processuelle au service des stratégies de création
de valeur et de concurrence. Par le passé, elle a souvent été considérée comme un ensemble
hétérogène de techniques et de méthodes attachées à une optimisation parcellaire des flux
(Paché et Colin, 2000). Elle est dorénavant reconnue comme véritablement stratégique pour les
firmes. Cette reconnaissance est l’aboutissement d’un processus d’évolution d’environ 40 ans
caractérisé par trois phases présentées dans la figure 1 (Houé et Guimaraes, 2011).
Les raisons de ces mutations sont attribuées au phénomène de concentration industrielle et
commerciale, au développement du juste-à-temps et à l’augmentation de la pression
concurrentielle. D’autres éléments sont venus compléter cette analyse. La volatilité de la
demande, les exigences de la clientèle en termes de prix, de qualité et de délai de mise à
1
Nous tenons à remercier vivement l’ensemble de l’équipe du projet INTERREG IV-A FCU pour son accord
concernant l’utilisation des données provenant des enquêtes terrain ainsi que pour son aide et son soutien dans le
cadre de la rédaction de cet article.
73
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
disposition, des cycles de vie des produits plus courts, le développement du commerce
électronique tout comme les contraintes imposées par le cadre légal et réglementaire, sont des
éléments ayant imposé une modification en profondeur de la logistique (Dornier et Fender,
2007). Durant de nombreuses années, cette fonction s’est concentrée sur la recherche d’une
solution privilégiant une rationalité optimisatrice et séquentielle (Fabbe-Costes, 2002). La prise
de conscience par les organisations des avantages d’une démarche plus transversale et intégrative
orientée supply chain est indubitablement une avancée majeure de gestion (Colin,2002). Ceci
est d’autant plus vrai que la concurrence entre firmes se métamorphose progressivement en une
concurrence entre chaînes logistiques (Fawcett et Clinton, 1996). Cette prise de conscience
marque sans doute le point de départ du supply chain management.
Figure 1. L’évolution de la fonction logistique
Source adaptée : Houé et Guimaraes, 2011.
Simultanément à cela, les organisations ont vu leurs frontières devenir plus floues et l’entreprise
réseau s’est imposée comme une structure organisationnelle à part entière (Powell, 1990). Ceci
a évidemment impliqué une reconfiguration de la coordination des activités économiques avec
un accès à de nouveaux marchés, une structure plus flexible et plus agile et des relations plus
hétérarchiques (Poulin et al, 1994). La logistique est bien sûr concernée. L’internationalisation
des économies a généré davantage de complexité dans les supply chains (Pimor, 2008). Dans
cette situation, la réduction des coûts par activité devient un objectif nécessaire du pilotage de la
performance. Aussi, les indicateurs doivent devenir aptes à mesurer efficacement des écarts en
obligeant les firmes à envisager une vision globale et processuelle des contraintes logistiques.
Précurseur dans l’annonce du passage d’une logistique séquentielle à une logistique intégrative,
Heskett (1973 ; 1977) constatait déjà au milieu des années 1970, le passage d’une logique de
coûts à une logique de profit et mettait en évidence l’importance d’une coordination des flux
physiques par les flux d’information qui sous-tend des interactions entre partenaires et une
évolution des compétences des logisticiens.
Logistique
fragmentée
Logistique
polarisée
Logistique
intégrative et processuelle
Outils de prévision
Outils de planification de la
production
Gestion des stocks de production
Logistique interne
(pilotage des opérations
de production)
Gestion des conditionnements
Intégration des chaînes logistiques
physique et informationnelle
Gestion des stocks de produits finis
Outils de planification de la
distribution
Traitement des commandes
Transports
Service client
Logistique externe
(pilotage des opérations
de distribution physique)
Années 60 Années 80
Années 2000
74
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
1.2.
L’évolution des compétences du logisticien : vers davantage de transversalité
Si l’évolution de la fonction logistique vers plus de transversalité doit lui permettre d’atteindre
un niveau élevé de service au client, cet objectif ne peut être atteint que par la coexistence
d’éléments fondamentaux tels des partenariats verticaux, une démarche commune et continue de
progrès, des systèmes d’information intégrés, des indicateurs de performance globaux et une
mobilisation commune des ressources (Paché, 2002). Au sein des firmes, cette recherche de
transversalité relève souvent moins de la création d’une véritable nouvelle structure que
d’aménagements temporaires comme des groupes de projet (Tarondeau et Wright, 1995).
L’uniformide ces différentes configurations repose sur le contrôle des processus (Louart
1996), le facteur humain restant essentiel à la réussite de ces nouveaux schémas (Valax, 2002).
Ces changements ont forcément une incidence sur les compétences d’un logisticien plongé dans
cette démarche processuelle. Une organisation transversale implique des compétences plus
larges et non spécifiques à un poste de travail ou à un individu (Tarondeau et Wright, 1995).
Comme l’indiquent Camman-Ledi et Livolsi (2000), les processus logistiques apparaissent
comme des supports appropriés dans le but d’appréhender ces bouleversements. Pour Colin et
Guilhon (1996), la logistique ne doit plus seulement se concevoir comme un instrument efficace
et efficient de conduite des processus de circulation des flux. Son rôle est aussi celui d’un
médiateur entre les flux permettant le dialogue entre individus de culture organisationnelle
souvent très variée. Confronté à ces changements dans les systèmes de pilotage, les ressources
humaines liées à la fonction logistique réclament de nouvelles compétences professionnelles
allant au-delà des savoir-faire techniques et opérationnels classiques. Le logisticien doit se doter
de compétences relationnelles, de capacités d’organisation et d’une aptitude à l’agilité et à
l’engagement dans le quotidien de sa vie professionnelle (David, 1997). En prenant des
responsabilités de direction, le logisticien doit posséder des compétences associant savoir-faire
(techniques, managériaux) et savoir-être. Il doit même savoir interpréter ses erreurs. Il en va de
sa gitimité, en particulier dans des situations de management de proximité (Bourion et Persson,
2008) fréquentes en logistique. La gestion de ces compétences doit appréhender l’évolution des
métiers (Dejoux, 2008). Dans notre étude, nous considérerons le logisticien comme un
collaborateur ayant une ou des responsabilités de maîtrise et de coordination des flux physiques
et d’information dans un service logistique ou supply chain. Ceci nous amènera dans l’étude, à
prendre en compte de nombreux niveaux hiérarchiques et métiers mais les difficultés de
catégorisation des postes et la nature exploratoire des travaux justifient selon nous cette vision
élargie.
La notion de compétence est assez floue car la littérature fourmille de définitions (Gastaldi et
Gilbert, 2006). Comme beaucoup d’auteurs (Alves, 2008 ; Le Boterf, 1997), nous estimons que
la compétence se perçoit dans l’action et qu’elle est dépendante des situations. Elle est une
combinaison de ressources qui, dans un contexte particulier, permet de réaliser certaines tâches
(Defélix, 2003). En dehors d’études reconnues comme celles de Michaël Page et l’ASLOG
(2009) ou de l’AFT-IFTIM (2011), il faut souligner les travaux de Birroneau et Le Roy (2007 ;
2008) portant sur la classification des compétences des responsables logistiques. Leur grille
d’analyse se découpe en deux grandes catégories de compétences principales elles- mêmes
séparées en deux classes de compétences secondaires (figure 2).
75
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
Figure 2. Une grille d’analyse des compétences du responsable logistique
Source : Birroneau et Le Roy, 2008.
Cette grille est une construction théorique réalisée à partir d’une revue détaillée de la littérature
(Stank et al, 1998 ; Gammelgaard et Larson, 2001 ; Murphy et Poist, 2007 ; Myers et al, 2004)
et d’une collaboration avec l’ASLOG. Même si elle traite essentiellement des compétences des
responsables logistiques, elle nous semble pertinente car elle synthétise une grande diversité de
travaux académiques. En outre, elle fait apparaître la distinction entre critères inter-personnels et
intra-personnels jusqu’à présent peu mis en exergue dans la littérature. Dans la pratique, ces
distinctions sont souvent fondamentales notamment lors d’une mise en situation managériale ou
du pilotage d’un projet même pour des collaborateurs n’ayant pas de pouvoir hiérarchique. Nous
avons fait le choix de baser une partie de notre analyse sur ces travaux en retenant notamment
cette classification dans notre guide d’entretien.
1.3.
Des schémas de raisonnement et des besoins disparates d’une firme à l’autre
Il est impossible d’envisager une évolution des compétences logistiques à travers un processus
structuré et homogène et cela pour plusieurs raisons. Nous ne reviendrons pas sur le débat portant
sur la difficulté de définir la fonction logistique et d’envisager sa stabilisation au sein des
organisations (Colin, 2005). Pour nous, le premier obstacle vient de la multiplicité des situations
organisationnelles rencontrées, chaque cas d’entreprise étant souvent un cas unique. Les firmes
adaptent bien souvent et selon leurs propres besoins, ce qu’elles nomment parfois arbitrairement
fonction logistique ou département supply chain. Même si la tendance est à une vision intégrée
et processuelle, il n’est pas rare de voir fonctionner un service logistique comme une entité
cloisonnée. Face à ce constat, Livolsi (2007) souligne la difficulté de pouvoir définir certains
postes et notamment celui de responsable logistique. Selon cet auteur, les emplois tenus
recouvrent souvent des réalités bien différentes.
Engagé depuis 25 ans, le mouvement d’externalisation des opérations de logistique et transport
a aussi changé la donne en termes de gestion des ressources humaines. Le recentrage des
entreprises sur leur métier de base a conduit à cette situation qui semble perdurer notamment
pour les opérations de flux les plus complexes (Fulconis et Paché, 2005). On aurait pu penser
que cela s’accompagnerait d’une plus grande considération d’opérateurs logistiques enfin
reconnus pour leur participation au processus de création de richesse, et d’une revalorisation de
leurs qualifications comme une amélioration de leurs conditions de travail. En réalité, ces
opérations conduisent encore à des pratiques régressives en matière de gestion des ressources
Compétences techniques
Compétences humaines
Catégorie 1
en logistique
(spécifiques métier)
Catégorie 2
en gestion
des entreprises
Catégorie 3
inter-personnelles
(soi avec les autres)
Catégorie 4
intra-personnelles
liées aux valeurs, à
la personnalité
(soi avec soi)
76
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
humaines (Camman-Ledi et Livolsi, 2000). La GRH est alors segmentée sur la base des contrats
de prestations de services signés avec les clients ce qui conduit à la marginalisation de certains
postes ou de certaines populations notamment celles et ceux à plus faible niveau de compétences
(Louart, 1994).
L’ensemble des éléments évoqués dans cette première partie montre à la fois la difficulté de
définition des activités logistiques, les profonds changements qu’elles subissent encore
aujourd’hui tout comme l’extrême diversité des situations de gestion rencontrées par les
entreprises. Ce constat de complexité justifie une étude sur les besoins en termes de formation
continue en logistique.
2. L’état des lieux de la formation continue logistique en Grande Région :
des besoins diffus face à une abondance d’offres
Dans cette seconde partie, nous nous attardons sur les origines de la recherche, la présentation
du terrain, ainsi que sur l’état des lieux du tissu économique logistique et des formations
continues liées à cette fonction. Ces données ont pour objectifs de justifier la pertinence de
l’étude tout en dressant un constat de la situation de la formation continue aidant à l’interprétation
des résultats de l’enquête.
2.1.
La Grande Région et le projet FCU comme points de départ
L’article se propose de répondre à la problématique principale au travers d’une étude portant sur
un échantillon d’entreprises implantées dans la Grande gion Saar-Lor-Lux-Rhénanie-
Palatinat-Wallonie-Communauté française et germanophone de Belgique (figure 3). Le choix de
ce terrain permet de confronter des espaces géographiques contigües aux nombreux atouts
(infrastructures et zones logistiques). D’une superficie de 65.401 km², la Grande Région compte
11,35 millions d’habitants pour une population active d’un peu plus de 5,23 millions d’individus
(Observatoire Interrégional du Marché de l’Emploi, 2008). A la croisée de plusieurs
eurocorridors de fret, les composantes de la Grande Région affichent depuis plus de
15 ans, leur volonté de développement des activités de flux et d’implantation d’acteurs
économiques du secteur logistique et transport (Houé, 2010). Chaque pays est désormais tourné
vers une économie post-industrielle parmi laquelle le secteur de la logistique occupe une part
prépondérante.
77
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
Figure 3. Les composantes de la Grande Région
Source : Grande Région (2012).
Afin de mener à bien un travail de collecte, d’études et de préconisations dans le domaine de la
formation continue en Grande Région, le projet INTERREG IV-A Formation Continue
Universitaire (FCU) a vu le jour en novembre 2009. La formation continue fait partie intégrante
des préoccupations de cette espace car elle représente un facteur de croissance de premier ordre.
L’idée du projet FCU est de regrouper plusieurs institutions universitaires dans le but de réfléchir
à une formation continue plus transfrontalière. Ce projet se fonde sur la création d’un réseau
d’établissements d’enseignement supérieur composé de l’Institut Universitaire International
Luxembourg (IUIL), l’Université de Lorraine, la Hochschule für Technik und Wirtschaft (HTW)
des Saarlandes, HEC-Ecole de Gestion de l’Université de Liège, ICN Business School Nancy-
Metz, la Fachhochschule Koblenz, la Fachhochschule
Trier. Chacune de ces entités doit contribuer à la création d’une offre en lien direct avec les
réalités du marché. Au niveau opérationnel, plusieurs groupes de travail ont été créés : le groupe
« Logistique » a pour but d’analyser les besoins en formation du secteur logistique et transport
en grande Région ; le groupe « Santé » a pour objectif d’analyser les besoins en formation de ce
secteur ; le groupe « Validation des Acquis de l’Expérience » doit définir un protocole VAE
commun aux partenaires, applicable aux formations proposées à l’avenir par le réseau.
2.2.
Le problème de la disparité des firmes et des besoins
Le tissu économique de la Grande Région est diversifié. Plusieurs populations distinctes
d’entreprises pouvant intéresser notre étude y sont localisées. D’une part, les firmes considérées
comme des pure players notamment les prestataires de services logistiques (PSL) et les
transporteurs. D’autre part, les entreprises dont l’activité principale est industrielle et/ou
commerciale et pour lesquelles la logistique symbolise une fonction de soutien. Le tableau 1
indique la répartition en Grande Région des établissements pour les activités manufacturières,
78
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
de commerce-distribution ainsi que celles de logistique et transport. Le nombre d’emplois par
secteur est précisé. Par souci de concision, nous ne détaillerons pas ici les sous-secteurs.
L’hypothèse d’une disparité de besoins en formation dans le domaine de la gestion des flux peut
être avancée. Des entreprises manufacturières rechercheront davantage des formations portant
sur l’optimisation des flux internes (planification, lean manufacturing, …) tandis que les
entreprises de la distribution se focaliseront sur les techniques d’entreposage et l’optimisation
du réassort des magasins. Les PSL quant à eux seront intéressés à la fois par des formations
techniques mais aussi par celles touchant au management des équipes (activités de main-
d’œuvre, présence d’intérimaires, …).
Tableau 1. La répartition des entreprises manufacturière, de commerce-distribution
et de logistique-transport en Grande Région
Saarland
Lorraine
Luxem-
bourg
Rheinland
Pfalz
Wallonie
Industrie
manufacturière
Etab.
248
8.095
1.043
1.041
5.606
Effectif
80.326
130.219
35.707
242.455
138.205
Commerce et
distribution
Etab.
8.833
21.074
6.488
34.061
16.575
Effectif
44.068
83.747
35.790
150.540
105.730
Logistique et
transport
Etab.
1.387
3.811
969
6.434
2.743
Effectif
13.208
44.668
22.994
50.906
53.186
Source : Grande Région, 2011.
Au final, cette diversité est susceptible de constituer un obstacle à la proposition d’une offre
cohérente de formation continue en logistique. L’autre effet qui peut en découler est la
multiplication des offres. Nous abordons ce point dans la prochaine sous-partie.
2.3.
Une offre diversifiée de formations continues en logistique
L’offre de formation continue en logistique en Grande Région est diversifiée mais reste assez
traditionnelle. Nous tentons d’en faire une synthèse via le tableau 2. Ce dernier indique la
répartition des offres et la nature des formations proposées. Nous proposons ici un éclairage sur
l’offre diplômante et certifiante regroupée par grands domaines logistiques.
79
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
Tableau 2. Les offres de formation continue en logistique dans la Grande Région
Type
Niveau
Saarland
Lorraine
Luxem-
bourg
Rh.
Pfalz
Wallonie
Total
Commerce /
logistique
Dipl.
M1-M2
0
1
0
2
0
3
L2-L3
0
1
0
3
1
5
Certif.
1
0
0
1
0
2
Transport /
entreposage
Dipl.
M1-M2
0
0
0
1
0
1
L2-L3
1
1
1
1
0
4
Certif.
1
2
1
2
2
8
Logistique
industrielle
Dipl.
M1-M2
2
3
0
2
0
7
L2-L3
2
5
0
1
0
8
Certif.
1
1
1
2
1
6
Achats /
Approv.
Dipl.
M1-M2
0
1
0
0
0
1
L2-L3
0
1
0
0
0
1
Certif.
0
1
0
1
0
2
Qualité
Dipl.
M1-M2
1
2
1
1
0
5
L2-L3
0
3
0
1
0
4
Certif.
1
0
0
1
0
2
Supply chain
management
Dipl.
M1-M2
0
2
1
2
1
6
L2-L3
0
0
0
0
0
0
Certif.
1
1
2
1
2
7
Total par zone
11
25
7
22
7
72
D’une manière générale, on remarquera une assez forte représentation des formations en
logistique industrielle tandis que l’offre concernant les formations aux achats-
approvisionnements est pauvre. Par ailleurs, dans le champ du transport et de l’entreposage, les
formations diplômantes de niveau Master 1 et Master 2 sont peu présentes, sans doute du fait
du caractère souvent encore très opérationnel des actions réalisées.
2.4.
La diversité du système de formation continue en Grande Région
Au sens de la stratégie de Lisbonne, les dispositifs de formation continue représentent une
opportunité de croissance pour les Etats européens. Mais l’efficacité de ces systèmes n’est pas
toujours au rendez-vous. Dans les grands groupes, les salariés les mieux formés sont ceux
80
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
possédant déjà une « culture » de la formation. De plus, les formations proposées sont bien
souvent orientées « métier » et réduisent le potentiel de flexisécurité attendu en Europe.
Tableau 3. Un aperçu des systèmes de formation continue en Grande Région
Allemagne
Belgique
France
Luxembourg
Cadre
législatif
Loi fédérale sur la
formation
professionnelle
spécifiant deux secteurs
de la formation continue
: la formation continue
d’adaptation
(Anpassungsfortbildung)
et la formation continue
de promotion
(Aufstiegsfortbildung).
Volet formation
dans les accords
interprofessionnels
depuis 1986.
Pacte de solidarité
entre les
générations de
2005.
Code du Travail.
Loi de juillet 1971
sur le financement
de la formation
professionnelle
continue.
Loi de 1984 sur
l’élargissement du
CIF. Loi de 2004
relative à la
formation
professionnelle tout
au long de la vie.
Système de
formation
continue organisé
par le Ministère
de l'Education
Nationale et de la
Formation
Professionnelle.
Frontaliers et
résidents peuvent
bénéficier de
formation si
l’employeur
cotise à l’une des
deux chambres
salariales (privée
ou publique).
Modes de
financement
Les sommes versées par
les entreprises comme
principale source de
financement même si
aucune obligation légale.
Règlements de
financement sur base des
conventions collectives.
Financements
publics
(communes,
Länder).
Selon les régions,
les financements
se répartissent
entre les
partenaires
sociaux, les
communautés et
les régions.
Cofinancements
assurés par des
cotisations
patronales, l'Etat et
les collectivités
territoriales.
Participation de
l’Etat aux frais de
formation des
entreprises, selon
les périodes de
formations hors
et durant le temps
de travail.
Modalités de
formation
Approche collective :
- à l’initiative de
l’employeur :
formation spontanée ;
- pas de véritable
validation d’un plan
de formation.
Approche individuelle :
- Bildungsurlaub,
permet au salarié de
se libérer cinq jours
par an en percevant
son salaire
(adaptation au poste
de travail).
- Meisterbafog, permet
au salarié déjà
diplômé de suivre une
formation dans le
secteur de l’artisanat,
la santé,
l’informatique ou le
commerce afin
d’obtenir un niveau
supérieur.
Approche collective
:
- chèque formation ;
- mise en place de
subventions aux
entreprises
s’installant dans
des zones
prioritaires de
développement..
Approche
individuelle :
- congé d’éducation
payé permettant
aux salariés, de
bénéficier de
formations durant
leurs heures de
travail, tout en
gardant leur
rémunération
(depuis 1985).
Approche collective
:
- à l’initiative de
l’employeur :
formation
spontanée
- validation d’un plan
; de formation par
le CE pour
entreprise de plus
de 50 salariés.
Approche
individuelle :
- à l’initiative du
salarié : CIF
- à l’initiative des
deux parties :
DIF
Approche
individuelle
: Droit au
congé-
formation : un
salarié du secteur
privé a droit à 80
jours de congés
de formation au
cours de sa
carrière
professionnelle.
Droit au congé
sans solde pour
raisons de
formation.
81
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
Sources adaptées : Ambert, 2011 ; Lopes-Bento et Moreau, 2010.
Pour Lopes-Bento et Moreau (2010), la formation continue reste un défi grand régional à
l’horizon 2020 avec un nouvel objectif de participation de l’ordre de 15 % de la population de
25 à moins de 65 ans. Les taux de participation stagnent autour de 8 % dans les différentes
composantes et diminuent même au Luxembourg et en Wallonie, largement en dessous de
l’objectif actuel de la stratégie de Lisbonne de 12,5 %. Les récentes difficultés économiques
incitent les firmes à freiner leurs efforts de formation, alors même qu’ils pourraient servir de
levier de sortie de crise. Dans une approche internationale, il faut déjà se demander si les
termes utilisés ont bien le même sens partout. C’est semble-t-il le cas pour la formation
continue. Néanmoins, son mode de fonctionnement est variable et il n’existe pas, pour l’heure,
d’harmonisation des systèmes dans les quatre pays. Le tableau 3 propose une synthèse des
similitudes et des disparités.
Face à cette diversité de mode de fonctionnement, une réflexion sur une offre transfrontalière
adaptée prend alors tout son sens.
3. Quelles réponses face aux besoins en formation continue en logistique
dans la Grande Région ?
Cette troisième partie décrit les éléments méthodologiques, propose une synthèse des résultats
de l’étude et évoque les potentiels de progrès pour la formation continue logistique.
3.1.
La méthodologie employée pour l’étude exploratoire
En complément d’une analyse documentaire, l’étude exploratoire sur laquelle repose cet article
se fonde sur le traitement de verbatims provenant de rencontres avec des responsables
logistiques et/ou des DRH. 50 interviews ont été conduites à l’aide d’un guide d’entretien semi-
directif reprenant les thèmes suivants : description et organisation de l’entreprise ;
fonctionnement du système de formation ; formations continues réalisées en logistique ;
caractères des formations (imposées ou non) ; avis sur les besoins futurs ; évaluation de l’offre
existante en Grande Région. Ces entrevues d’une à deux heures ont été retranscrites. Une
analyse de contenu (Miles et Huberman, 2003) à partir de thèmes prédéfinis (compétence,
développement des RH, polyvalence, savoirs, savoir-être, …) a été réalisée. Utilisant ces
données traitées, la seconde étape a consisté en une étude comparative de l’ensemble des
entreprises. L'identification de ressemblances et de dissemblances a permis une classification
et une systématisation (Sartori, 1994). L’analyse a été réalisée sur la base de plusieurs critères
devant permettre une mise en évidence des besoins réels (Paillé et Mucchielli, 2008). Dans ce
travail, elle prend plusieurs directions : le type d’entreprise, l’importance de la fonction
logistique, les besoins en formation logistique réglementaires et non imposées, les modalités
pédagogiques adéquates.
La phase la plus sensible a sans doute été la construction de l’échantillon. Celui-ci a été
constitué à l’aide de la méthode des choix raisonnés. Il s’agit d’une méthode subjective qui
repose principalement sur le jugement du chercheur. Elle se rencontre fréquemment dans le
cadre des recherches en management (Royer et Zarlowski, 1999). Grâce à ce procédé, il devient
possible de sélectionner précisément les éléments de son échantillon. En conséquence, ceci
permet de s’assurer du respect de critères comme l’homogénéité. Dans cette approche, le
chercheur doit posséder une bonne connaissance de la population étudiée. 10 entreprises par
composantes régionales ont été sélectionnées afin de représenter, le plus équitablement
possible, différents secteurs en fonction des tissus économiques de chaque zone géographique.
Au final, l’échantillon a regroupé 21 entreprises industrielles, 19 prestataires de services
logistiques, 8 firmes du secteur de la distribution et 2 entreprises du secteur de la santé. Il s’agit
82
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
pour la plupart d’entreprises de plus d’une centaine de salariés.
3.2.
Une synthèse des résultats de l’enquête
D’un point du vue qualitatif, peu de dissemblances existent entre les firmes de la Grande Région
selon les cinq critères prédéfinis (type d’entreprise, importance de la logistique, besoins en
formation logistique glementaires, besoins en formation logistique non obligatoire, modalités
pédagogiques adéquates). C’est plutôt une surprise au regard de la diversité de l’échantillon. La
« culture logistique » se montre donc homogène même si selon l’activité et la taille, des
disparités subsistent entre industriels, distributeurs et PSL (approche métier des besoins quel
que soit le pays). Le caractère glementaire est fortement présent dans les demandes de
formations pour des logisticiens peu qualifiés (compétences techniques par métier individuel).
Sur ce point, d’après les firmes, l’offre par pays est satisfaisante mais émane essentiellement
d’organismes privés. Les besoins exprimés en formations logistiques non réglementaires
portent sur plusieurs thèmes. D’une part celui de la qualité et de la gestion des risques pour les
flux internes. Là, l’offre existe au sein des Universités et Ecoles mais elle est
vraisemblablement peu visible. Les firmes recherchent ici à la fois des formations
diplômantes et qualifiantes. Cependant, aucune de ces formations ne traite des réglementations
en termes de normes transfrontalière de qualité et de protection contre les risques industriels,
ce qui représente un handicap pour des acteurs travaillant régulièrement avec des fournisseurs
ou des clients en Grande Région. Tous les industriels et les PSL interrogés sont concernés.
Toujours sur le front du développement des compétences métiers, la demande de formations
techniques en systèmes d’information logistiques (Enterprise Resource Planning, Advanced
Planning System, Transport Management System) est forte. L’offre est satisfaisante mais émane
surtout d’acteurs privés spécialisés dans ce domaine situés en dehors de la Grande Région.
Il existe un solide besoin de formations transverses destinées aux logisticiens occupant des
postes de middle-management ou de direction (management d’équipes, développement
personnel, coaching, langues vivantes) afin de développer leurs compétences humaines inter-
personnelles. aussi, c’est moins la quantité des formations disponibles en Grande gion
que la qualité de celles-ci qui est remise en cause. Les entreprises, en grande majorité les PSL,
les jugent déconnectées de leurs attentes. Le caractère transversal convient mais le mode de
transmission des compétences doit être adapté avec davantage de cas et de mises en situation
(motivation des intérimaires, planning de travail, gestion du stress, …).
Les besoins sont importants dans le champ de la logistique durable. Industriels, distributeurs et
PSL constatent que pour l’instant, dans ce domaine, ils doivent souvent faire appel à des
organismes de formation situés en dehors de la Grande Région. En Belgique, en France et en
Allemagne, une logistique durable est considérée comme un atout commercial et économique.
Ce phénomène existe mais semble plus récent au Grand-Duché de Luxembourg. Le
durcissement des réglementations nationales (loi RSE, …) et européenne (D3E, …) explique
cet engouement. Le besoin en compétences est à la fois d’ordre technique-métier (normes ISO
14001, reverse logistics, …) et intra-personnel (valeurs de l’individu). Du fait de la forte
présence d’entreprises étrangères et de l’internationalisation des activités, les compétences
relatives au pilotage des opérations logistiques internationales sont recherchées (organisation
des transports internationaux, gestion douanière, fiscale et commerciale). Les dimensions
métier individuel et gestion globale se retrouvent dans ces demandes.
En faisant ressortir des données de cadrage à partir d’éléments du discours des répondants, nous
aboutissons à quelques tendances révélatrices. Quel que soit le secteur d’activité (industrie,
distribution, prestations de services logistiques et santé), environ 80 % des collaborateurs
concernés par la formation continue logistique en Grande gion occupent des postes de middle
management. Ces formations utilisent environ le quart en valeur du budget formation continue
dans les firmes interrogées.
83
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
Venons-en maintenant aux caractéristiques des modalités pédagogiques des formations
continues recherchées par les firmes. Concernant le lieu physique des formations, aucun
véritable choix ne se dessine entre les solutions inter ou intra-entreprises. Néanmoins, quelques
tendances au demeurant assez classiques ont été constatées. Les organisations estiment les
formations intra-entreprises adéquates dès lors qu’il est nécessaire de former un groupe de
plusieurs collaborateurs partir de 4 ou 5 stagiaires). Les formations intra- entreprises sont
également reconnues comme pertinentes lorsque des problématiques véritablement liées à la
culture de la firme ou encore à l’implémentation d’un outil spécifique comme un nouveau
système d’information logistique dédié, sont à traiter. Pour les sujets relatifs au développement
des capacités managériales des logisticiens, les formations inter- entreprises sont davantage
recherchées car permettant aux collaborateurs de partager leurs expériences avec d’autres mais
aussi d’évoluer plus facilement et rapidement. En fait, pour les organisations étudiées, les
modalités de formation choisies vont surtout dépendre des sujets
considérés mais aussi, pour la plupart d’entre elles, des opportunités du moment (coûts,
adéquation entre plannings de formation et besoin de présence du salarié en entreprise, …).
Un autre point de l’étude porte sur l’intérêt pour les firmes d’avoir recours à l’enseignement à
distance (EAD) ou e-learning. Un questionnement relatif à ce mode d’apprentissage est tout à
fait approprié pour une enquête sur les besoins en formation dans un espace géographique élargi
comme celui de la Grande Région, où la distance est à regarder comme une contrainte
supplémentaire dans le cadre d’une offre globale transfrontalière. Le principe d’un EAD de
formations continues en logistique est entrevu de manière positive par près de la moitié des
organisations interrogées. 46 % des entreprises sont très favorables à un recours à
l’enseignement à distance tandis que 42 % ne le sont pas forcément voire pas du tout.
Lorsqu’elles y sont favorables, les firmes précisent que cette pratique est en général préférable
pour un public de type middle et top-management (pas d’absence prolongée des salariés,
optimisation du temps de formation) mais incompatible avec un public composé de
collaborateurs à bas niveau de qualification. Pour éviter toute généralisation et être plus précis
face à cette constatation, il faut mentionner que les firmes les plus modestes en taille (même si
elles ne représentent pas la majorité des interlocuteurs dans l’étude) ne perçoivent pas les
solutions d’enseignement à distance comme toujours efficientes en termes d’apport de
compétences nouvelles pour leurs collaborateurs. Elles ny sont pas totalement et
définitivement réfractaires mais restent prudentes et craignent un manque d’implication des
salariés et donc un manque de résultats probants sachant que leurs effectifs sont
particulièrement occupés et sollicités dans leur travail au quotidien. La question du planning et
du timing des actions d’enseignement à distance s’est également posée. Pour les organisations
interrogées, l’EAD peut représenter un moyen simple de formation en dehors du temps de
travail (dans le respect toutefois des législations en vigueur dans chacune des composantes de
la Grande Région). Face à la question du synchronisme ou de l’asynchronisme de la diffusion
des formations, aucune tendance ne s’est réellement dégagée. Les avantages traditionnels des
formations à distance ont malgré tout été soulignés (répétition possible et aisée des contenus,
réduction des coûts de déplacement des salariés, …).
Enfin, à propos du financement de la formation, les résultats montrent un attachement aux
moyens et pratiques existant dans chaque pays mais les réponses sont peu exploitables car
réellement peu précises.
L’ensemble des éléments décrit dans cette sous-partie offre des indications sur la cible, les
thématiques et les modalités d’un nouveau dispositif de formation en accord avec les attentes
du marché en Grande Région. En définitive, nous constatons qu’il existe relativement peu de
divergences quant aux réflexions sur la nature des formations en logistique et les différentes
modalités pédagogiques souhaitées par les entreprises. Face à ce mouvement d’homogénéité,
la possibilité d’une offre transfrontalière de formation continue en logistique apparaît comme
84
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
une opportunité et une réponse à de réels besoins.
3.3.
Pour une offre transfrontalière et concertée de formation continue en logistique
La synthèse des résultats de l’étude montre en filigrane que, malgré une offre confortable de
formation en logistique en Grande Région, celle-ci souffre d’une certaine inertie face aux
besoins évolutifs des entreprises. La logistique est une fonction mouvante et dans de nombreux
cas, les propositions paraissent assez traditionnelles. Cette forme de
« conservatisme » concerne moins les contenus que les modalités de formation qui restent axées
sur l’animation en présentiel. La vision transfrontalière est relativement absente des
programmes. Il existe bien quelques accords de partenariat entre instituts de formation,
Universités et Ecoles de la Grande Région (cinq diplômes et trois certificats) mais les contenus
ne sont pas toujours adaptés à cette dimension selon les firmes. Malgré le caractère
exploratoire de l’étude, les premiers résultats pourraient justifier la construction d’une offre
certifiante et transfrontalière de plusieurs modules de formation en logistique à destination d’un
public middle management, répondant à quelques besoins. En effet, des convergences dans les
réponses permettent d’envisager cette proposition de synergie et de rationalisation pour tous les
territoires. Ressortant du discours des acteurs, les thèmes adéquats seraient : la logistique et le
développement durable ; la logistique internationale ; les risques industriels et la qualité.
Au niveau des modalités de formation, un mix entre enseignement à distance et présentiel serait
semble-t-il idéal pour conserver une chance de toucher un large public transfrontalier, facilitant
par la même occasion, le métissage des groupes d’apprenants. L’étude de cas concrets est à
considérer comme une solution particulièrement intéressante pour la transmission des
connaissances et des compétences dans les thématiques plébiscitées par les entreprises. Cet outil
pédagogique à plusieurs avantages. Il s’adapte plutôt bien à la nature opérationnelle des champs
de formation concernés. L’étude de cas est aussi parfaite pour l’apprentissage de la prise de
décision et apparaît donc comme pertinente pour un public de middle-managers ayant déjà eu
à prendre des décisions ou souhaitant évoluer vers un poste doté de ce genre de responsabilités.
Le caractère certifiant aiderait et accélérerait les démarches de conception pédagogique, de mise
en place, de validation et de reconnaissance de la formation par une pluralité d’institutions
académiques. C’est sans doute un modèle de fonctionnement approprié dans le cadre d’une
coopération inter-universitaire chacune des composantes de la Grande gion serait
représentée.
Conclusion
Globalement, une grande partie des besoins en formation exprimés par l’échantillon
d’entreprises analysées trouve une réponse dans l’offre des acteurs de la formation en Grande
Région. Cependant, les évolutions constantes de la fonction logistique demandent au logisticien
de faire évoluer ses compétences rapidement. Ceci nécessite une adaptation et une plus forte
réactivité de la part du système de formation. Même si le caractère exploratoire de l’étude
réclame d’être prudent dans l’interprétation des résultats, des besoins en compétences nouvelles
émergent. Ceux-ci ont la particularité d’être communs aux firmes d’un espace géographique
international dont la vision des compétences logistiques est finalement assez homogène.
L’étude conclue aussi à l’apparition de besoins en compétences plus larges, moins axées sur la
nature opérationnelle et technicienne des métiers logistiques. Si la valeur ajoutée de ce travail
réside dans l’aspect transfrontalier des investigations et des propositions, l’idée de formations
communes implique souplesse et facilité de mise en place. Un projet de coopération
universitaire tel le projet FCU œuvre dans ce sens. Mais des questions restent en suspens. Il faut
notamment contrer les embûches d’une constellation de financements différenciés. L’impact
culturel sur les formes de réponse aux besoins (méthodes d’apprentissage) et la construction
des plans de formation serait aussi à analyser. Il n’a été qu’effleuré dans l’étude. Sur ces points,
85
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
la recherche mériterait d’être complétée par de nouvelles investigations.
Bibliographie
AFT-IFTIM (2011), 17
e
enquête annuelle sur les besoins en emplois et en formations dans la
logistique, Paris, AFT-IFTIM.
Alves S. (2008), « Le nouveau modèle de la compétence individuelle, de l’intelligence des
situations », in Dupuich-Rabasse F., Management et gestion des compétences, Paris,
L’Harmattan, p. 97-108.
Ambert C. (2011), Mise en place d’une enquête sur les besoins des entreprises en formation
continue, Projet INTERREG IV-A, Nancy, Université de Lorraine.
Bironneau L., Le Roy B. (2008), « Quelles compétences pour les responsables logistiques ?
Résultats d’une enquête de terrain », 7
e
Rencontres Internationales de la Recherche en
Logistique, Avignon, 24-26 septembre.
Bironneau L., Le Roy B. (2007), « Définition d’un modèle générique des compétences du
responsable logistique », Logistique et Management, vol. 15, n° 2, p. 7-18.
Bourion C., Persson S. (2008), « Contestation et légitimité des styles de management de
proximité », Gestion 2000, juillet-août, n°4, p. 143-158.
Boyer L. (2002a), « Le devenir des métiers », Revue Française de Gestion, vol. 28, n°140, p.
151-168.
Boyer L. (2002b), « La prospective des métiers : Propos introductifs », Cahier ANDCP, n°66,
juin, p. 5-6.
Boyer L., Scouarnec A. (2009), La Prospective des métiers, Colombelles, Editions EMS.
Camman-Lédi C., Livolsi L. (2000), « Pilotage stratégique du processus logistique et gestion
des ressources humaines : constat et propositions », 3
e
Rencontres Internationales de la
Recherche en Logistique, Trois-Rivières, Canada, 9-11 mai.
Colin J. (2005), « Le supply chain management existe-t-il réellement ? », Revue Française de
Gestion, vol. 31, n°156, p. 135-149.
Colin J. (2002), « De la maîtrise des opérations logistiques au supply chain management »,
Gestion 2000, vol. 19, n°1, p. 59-74.
Colin, J., Guilhon, A. (1996), « Apports des politiques GRH aux activités logistiques et
transport », 1
ère
Conférence du GRAAL, Bordeaux, 28 février.
Defélix C. (2003), « Ce que gérer les compétences veut dire », in Guenette A. M., Rossi M.,
Sardas J.C., Compétences et connaissances dans les organisations, Paris, Editions SEES, p.
121-128.
Dejoux C. (2008), « La gestion des compétences : un processus unique face à des enjeux et des
motivations variés », in Dupuich-Rabasse F., Management et gestion des compétences, Paris,
L'Harmattan, p. 109-130.
Dornier, P.-P., Fender, M., (2007), La logistique globale et le supply chain management :
enjeux, principes, exemples, 2
e
éd., Paris, Editions d’Organisation.
Fabbe-Costes, N., (2002), « Le pilotage des supply chains : un défi pour les systèmes
d’information et de communication logistiques », Gestion 2000, vol. 19, n°1, p. 75-92.
Fulconis F., Paché G. (2005), « Piloter des entreprises virtuelles. Quel rôle pour les prestataires
de services logistiques ? », Revue Française de Gestion, vol. 31, n°156, p. 167- 186.
86
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
Gammelgaard B., Larson P. (2001), « Logistics skills and competencies for supply chain
management », Journal of Business Logistics, vol. 22, n°2, p. 27-49.
Gastaldi L., Gilbert P. (2006), « la compétence : concept nomade, significations fixes »,
Psychologie du Travail et des Organisations, vol. 12, n°2, p. 67-77.
Grande gion (2012), Carte de la Grande Région. Luxembourg, Maison de la Grande Région.
[en ligne] http://www.granderegion.net/fr/grande-region/index.html, consulté le 20/02/2012.
Grande Région (2011), Statistiques en bref. Offices Statistiques de la Grande Région,
Luxembourg, Nancy, Bad Ems, Namur, Saarbrücken.
Heskett, J. (1977), « Logistics: essential to strategy », Harvard Business Review, vol. 55, n°6,
p. 85-96.
Heskett, J. (1973), « Sweeping changes in distribution », Harvard Business Review, vol. 51,
n°2, p. 123-132.
Houé T. (2010), « Le développement territorial des activités logistiques en Grande Région : une
analyse comparée des pratiques et conséquences en France et au Grand-Duché de Luxembourg
», 8
e
Rencontres Internationales de la Recherche en Logistique, Bordeaux, 29- 30 septembre
et 1
er
octobre.
Houé T., Guimaraes R. (2011), « La RFID : technologie au service de la performance logistique
ou simple artifice ? Regard et propositions », Revue Française de Gestion Industrielle, vol. 30,
n°4, p. 75-93.
Le Boterf G. (1997), De la compétence à la navigation professionnelle, Paris, Editions
d'Organisation.
Livolsi L. (2007), « Directeur et responsable logistique : différences et évolutions au travers
des offres d’emploi publiées », Logistique & Management, vol. 15, n°2, p. 19-29.
Lopes-Bento C., Moreau G. (2010), La formation continue dans la Grande Région
transfrontalière. Synthèse, Nancy, INSEE Lorraine et offices statistiques de la Grande Région.
Louart P. (1996), « L’apparente révolution des formes organisationnelles », Revue Française
de Gestion, janvier-février, n°107, p. 74-85.
Louart, P. (1994), « La GRH à l’heure des segmentations et des particularismes », Revue
Française de Gestion, mars-avril-mai, n°98, p.79-94.
Mangan J., Christopher M. (2005), « Management development and the supply chain manager
of the future », International Journal of Logistics Management, vol. 16, n°2, p. 178-191.
Michaël Page, ASLOG (2011), Etude de fonctions et rémunérations logistique et supply chain,
Paris, MP.
Murphy P., Poist R. (2007), « Skill requirements of senior-level logisticians: a longitudinal
assessment », Supply Chain Management: An International Journal, vol. 12, n°6, p. 423-431.
Myers M., Griffith D., Daugherty P., Lusch R. (2004), « Maximizing the human capital
equations in logistics: education, experience and skills », Journal of Business Logistics, vol. 25,
n°1, p. 211-232.
Observatoire Interrégional du Marché de l’Emploi (2008), Situation du marché de l’emploi
dans la Grande Région, Sarrebruck, OIME.
Paché G. (2006), « Approches spatialisées des chaînes logistiques étendues : de quelles
87
Lèvolution du métier de logisticien: impacts sur les besoins en formation
Continue dans la grande règion
Revue Française de Gestion Industrielle Vol. 34, N° 3
proximités parle-t-on ? », Les Cahiers Scientifiques du Transport, n°49, p. 9-28.
Paché, G., (2002), « L’évolution des relations logistiques entre industriels et détaillants :
coopération ou simple coordination ? », Gestion 2000, vol. 19, n°1, p. 109-124.
Paché G., Colin J. (2000) « Recherche et applications en logistique : des questions d’hier,
d’aujourd’hui et de demain », in Fabbe-Costes N., Colin J., Paché G., Faire de la recherche en
logistique et distribution ?, Paris, Vuibert, p. 31-53.
Paillé P., Mucchielli A. (2008), L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, 2
e
éd.,
Paris, Armand Colin.
Pimor, Y. (2008), Logistique : production, distribution, soutien, 5
e
éd., Paris, Dunod.
Poulin D., Montreuil B., Gauvin S. (1994), L’entreprise réseau : bâtir aujourd’hui
l’organisation de demain, Paris, Publi-Relais.
Powell, W.W. (1990), « Neither market nor hierarchies: networks forms of organization »,
Research in Organizational Behavior, vol. 12, n°2, p. 295-336.
Royer I., Zarlowski P. (1999), « Echantillon(s) », in Thiétart R.-A. (Dir.), thodes de
recherche en management, Paris, Dunod, p. 188-223.
Sartori G. (1994), « Bien comparer, mal comparer », Revue Internationale de Politique
Comparée, vol. 1, n°1, p. 19-36.
Stank T., Poist R., Murphy P. (1998), « Personal skills development: a missing ingredient in
logistics education », Defense Transportation Journal, August, p. 10-14.
Tarondeau J.C., Wright R.W. (1995), « La transversalité dans les organisations ou le contrôle
par les processus », Revue Française de Gestion, juin-juillet-août, n°104, p. 112-121.
Valax M. (2002), « Les obstacles humains à la réussite de l’organisation d’une chaîne logistique
», 15
e
Journées des IAE, Paris, 10-12 septembre.