Revue Française de Gestion Industrielle
Vol. 33, N° 4
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ENVIRONNEMENT : LE LEAN APPLIQUE AU TRI DE DECHETS
Michel BALDELLON* & Anne VINAGRE
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Résumé. Cet article présente un cas d’application d’une démarche lean
initiée par le responsable financier d’une industrie de traitement des déchets
ménagers pour améliorer la performance économique du centre de tri. En
quelques mois, il a été possible d’améliorer le TRS en le faisant passer de 40 à
80%. Cet article se propose aussi promouvoir 3 idées peu répandues sur les
approches Lean :1. Oui, le lean est aussi applicable aux industries en flux continus
et poussés. 2. Oui, Finance et lean peuvent faire bon ménage car les gains du lean
peuvent être visualisés dans les comptes d’exploitation.
3. Oui, on peut lancer une démarche lean sans une totale adhésion de la
Direction a priori et avec peu de moyens. Le support de la Direction Générale et
un minimum de budget nous semblent indispensables pour pérenniser. Par
retour d’expérience, ce n’est selon nous pas pour les raisons habituellement
évoquées.
Mots clés : TPM ; flux poussés ; flux continus ; environnement, déchets, tri sélectif, écologique ;
Lean Management
Cet article est déjà paru dans « Les techniques de l'ingénieur » le 10 avril 2014. La rédaction
nous a permis de le re-éditer dans notre Revue
1. Introduction : Qu’est-ce qu’un centre de tri de déchets ?
Remarque préliminaire : cet article est un témoignage qui s’appuie sur une expérience
réelle donnée. Toutefois tous les chiffres donnés le sont à titre d’illustration et pour permettre
un raisonnement rigoureux ; ils ne sauraient représenter fidèlement l’industrie du déchet qui
est éminemment variable suivant les communes et les régions. Nous avons d’autre part
fortement simplifié les process et les présentations de façon à ne pas encombrer le lecteur par
* Directeur Business Consulting, AVL Consulting, 48 rue Claude DECAEN, 75012 PARIS
michel.baldellon@checkndo.com
** Présidente , AVL Consulting, 48 rue Claude DECAEN, 75012 PARIS anne.vinagre@checkndo.com
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des détails inutiles à la démonstration proposée. Pour des raisons de confidentialité, les
montants en euros ont été remplacés par des moyennes « marché » trouvées sur Internet.
Une large part des déchets (disons 80%) n’est pas triée mais incinérée ou enfouie. Ces
deux dernières techniques ne sont pas abordées dans le cadre de cet article. L’autre part (les
20% restants) est triée afin d’être valorisée : on parle de « collecte sélective des déchets » ou
de « collecte écologique ».
Les communes ou les communautés de communes rémunèrent l’organisme de tri sur la
base d’un prix à la tonne (disons 100 / tonne). Ce prix unitaire multiplié par les volumes
récoltés donnera lieu à un Chiffre d’Affaires « entrant » ou dit « de prestation ».
Au sein du centre de tri, les déchets seront triés selon leur nature : papier, plastique,
aluminium, fer… et une partie mise au rebut car non exploitable. Le rebut peut concerner
jusqu’à 40% des déchets « sélectifs » collectés (cf. figure 1)
Les 60% de déchets à valoriser sont revendus à des filières appropriées qui les rachètent
au cours du papier, de l’aluminium… Bien entendu, les prix à la tonne varient dans des
proportions considérables en fonction de la nature des déchets : on est à 65 la tonne pour
du PEDH (le « flacon de lessive »), 90la tonne environ pour du papier et 700 € la tonne pour
de l’aluminium ! En moyenne, compte-tenu du mix produit, nous sommes à 100 € la tonne à la
revente. Les prix unitaires multipliés par les volumes vendus constituent un Chiffre d’Affaires «
sortant » ou dit « de filières de valorisation ».
La réglementation environnementale à laquelle nous sommes soumis impose que le
stockage du flux entrant et des produits valorisables soit protégé des intempéries. Ainsi, ces
stocks doivent impérativement se trouver à l’intérieur de nos installations dont la surface est
limitée. En cas d’impossibilité de faire face aux flux entrants, nous sommes par conséquent
obligés de les envoyer chez des sous-traitants. C’est ce qu’on appelle : détourner le flux. Vu du
centre de tri, nous sommes dans une logique de flux poussés car nous n’avons pas la maîtrise
des quantités récoltées d’une part, ni la capacité de beaucoup stocker comme il vient d’être vu.
Figure 1 flux d'un centre de tri
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Il est nécessaire de faire appel aux sous-traitants dans les cas suivants :
quand les volumes de déchets collectés sont très supérieurs à la capacité du centre
de tri (par exemple, après Noël),
quand il y a baisse de la capacité du centre de tri suite à des pannes en période
d’afflux de déchets.
2. Comment identifier la problématique économique d’un centre de tri de
déchets ?
En simplifiant, le compte d’exploitation d’une chaîne de tri (hors coûts indirects du
centre) est constitué (cf. figure 2) :
en plus : des Chiffres d’Affaires « entrant » et « sortant »
en moins : des coûts de fonctionnement, qu’ils soient directs ou liés au recours à la
sous-traitance
Figure 2 compte d'exploitation d’une chaîne de tri
Le problème est d’identifier les gisements de progrès et de comprendre sur quoi nous
avons de l’influence.
2.1
Identifier les leviers d’action
2.1.1 Sur le CA entrant
Le CA « entrant » est le produit :
d’un volume de déchets collectés (bi ou tri-flux), sur lesquels nous n’avons pas
d’influence,
par un prix unitaire négocié avec le syndicat de communes. Il n’est pas influençable
non plus par le gestionnaire.
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Il est à noter que le mix collecté (plus de PEHD que de canettes) aura une influence
directe sur le CA sortant, mais est également une donnée non influençable.
Nous simplifierons en prenant une valeur de 100 à la tonne collectée. Ce prix est
négocié tous les ans ou les 6 mois avec les collectivités locales : il est fixé de façon à obtenir
une marge nulle car le centre de tri concerné n’est pas un centre de profit.
En synthèse : aucun levier d’action sur le CA « entrant. »
2.1.2 Sur le CA « sortant »
Figure 3 : diagramme causes-effet sur CA sortant
Il est fonction, ainsi que montré sur le diagramme d’Ishikawa (cf. figure 3) par :
du prix « marché » à la tonne, variable en fonction des cours, et non influençable.
du mix des déchets récoltés (si plus de papier ou de PEHD que la moyenne, la CA
sortant sera plus faible). Ce n’est pas non plus un facteur influençable.
des volumes vendus = volumes entrants x qualité du tri (un mauvais tri se traduit
soit par trop de produits jetés, soit par un refus des négociants et un retour pour
enfouissement ou incinération). C’est un facteur influençable.
Le seul facteur influençable est donc la qualité du tri.
2.1.3 Sur les coûts de fonctionnement de la ligne de tri
Le centre tourne en 3 x 8, ce qui au passage, impose une maintenance de premier plan
car il n’est pas possible d’intervenir en temps masqué en dehors du week-end¸ ni de se
contenter d’une maintenance corrective. Il est donc vital d’organiser une maintenance
préventive au meilleur coût.
Le centre de tri fonctionne avec des personnes « postées » sur les lignes et chacune est
indispensable à son poste. Du coup, une ligne fonctionnant au régime nominal à 9 tonnes à
l’heure et la même ligne fonctionnant à 4,5 tonnes à l’heure requièrent les mêmes effectifs.
Compte tenu de notre organisation du travail, il n’est donc pas possible de réduire les effectifs
en cas de sous-activité, sauf si cette dernière venait à baisser structurellement d’un tiers (et
supprimer un des « 3 x 8 »), ce qui n’est jamais le cas.
Au contraire, nous pouvons dire que périodiquement nous sommes en quasi saturation
par rapport au régime nominal en 3 x 8. Cela signifie que toute perte de productivité est
nécessairement compensée par un recours à la sous-traitance.
Environnement : le lean appliqué au tri de déchets 11
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Le problème est que le prix payé aux sous-traitants est très supérieur à nos propres
coûts de revient. Nous perdons donc de l’argent chaque fois qu’une tonne est détournée du
centre de tri. De plus, à ce coût visible (coût de la sous-traitance coût de revient interne)
s’ajoutent des coûts cachés : en effet, en cas de panne de ligne dans le centre de tri, les
ouvriers sont quand même payés « à attendre ».
Afin de mieux explorer notre productivité, nous nous sommes appuyés sur la norme
AFNOR NF E 60-182 qui définit de manière claire le Taux de Rendement Synthétique « TRS »
(cf. figure 4)
Figure 4 : le Taux de Rendement Synthétique
Concernant le TRS :
Nous pouvons agir sur les deux premiers termes Disponibilité et Performance en
réduisant les pannes et les ralentissements dus à des micro-arrêts. Nous n’avions
pas mesuré ces coefficients, mais nous avions l’intuition qu’ils étaient très
significatifs.
La qualité du tri, elle, impacte des domaines différents :
Si le tri est trop strict, le centre jette des produits pourtant recyclables : il y a
manque à gagner lié aux produits jetés non valorisés
Si le tri est trop laxiste, les filières de valorisation rejetteront les marchandises
livrées.
Nous découvrons ainsi que tous les paramètres du TRS sont influençables dans notre
configuration.
2.2
Quantifier les enjeux
Il nous reste à évaluer les montants représentés par chacun des postes influençables.
1. Les coûts de sous-traitance sont bien plus élevés (150 soit +50%) que ceux du
centre de tri. Cela s’explique en partie par les transports supplémentaires. Le niveau du TRS
initial aurait imposé de détourner 20% des flux.
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2. Le TRS mesuré est de 42% au début du projet (Disponibilité 60%, Performance 87% et
Qualité 81%) tandis que la valeur conseillée est au-dessus de 85%. (7 mois plus tard nous
serons à 81% !)
3. 19% des volumes expédiés étaient refusés par les filières de valorisation suite à une
mauvaise qualité de tri. La tolérance étant de 10%, cela signifie que 100 sont jetés alors que 90
sont bons. On perd donc 90% x 20% = 18% de CA sortant.
4. Les tris trop sévères n’ont pu être précisément estimés, mais semblent marginaux au
regard des autres montants. Les montants non valorisés, non seulement ne génèrent pas de
CA mais génèrent des coûts supplémentaires d’enfouissement (60 €/T) ou d’incinération (90
€/T)
En supposant que nous soyons restés à ce 42% ce qui est peut-être extrême le gain
serait considérable, plusieurs centaines de milliers d’euros par an. En pratique, un mauvais TRS
dans des périodes de bas volumes n’a pas d’influence sur les coûts car le recours à la sous-
traitance n’a pas d’utilité, les capacités propres étant suffisantes. À l’opposé, de gros volumes
collectés même avec un TRS à 100%, dépasseraient la capacité nominale du centre de tri
Afin de réconcilier lean et Finance, nous avons déjà cherché tous les frais qui seraient
réellement économisés, comme ceux correspondant à des coûts payés à des prestataires
externes. Selon les principes de la « théorie des contraintes » de Goldratt, nous avons entre
autres recherché à travailler sur les goulets d’étranglement.
C’est parce que nous avons procédé de cette manière que nous avons pu valoriser des
gains irréfutables vis-à-vis de la Direction Générale.
2.3
Résoudre le délicat problème des coûts cachés
Les « coûts cachés » correspondent souvent à une non-utilisation optimale des
ressources. Nous avons évoqué plus haut en citant le coût des opérateurs de production, qui
de toute façon seraient payés, mais qui sont payés à ne pas produire à cause de
l’indisponibilité ou le manque de performance de la ligne.
Mais il n’y pas que ces coûts cachés ! Il y a tous ceux qui résultent de gains de
productivité non réaffectés. Ainsi, après un gain de 25% dans une équipe de 2 personnes,
nous avons une charge de travail de 1,5 personne… mais nous avons toujours 2 personnes à
payer. Il faut développer une polyvalence pour que le mi-temps inemployé puisse l’être à des
tâches qui permettent de réduire un recours à l’intérim, à un effectif à temps partiel, voire
d’éviter d’embaucher. Ce dernier cas est moins facile à repérer dans une approche «
comptable »… On voit donc qu’il doit y avoir une conjonction continue de 2 mouvements :
Un, tactique, qui vise à sans cesse dégager des « bouts » de ressources, par des
programmes d’amélioration continue
Un autre, à plus long terme, qui vise à « écumer » les ressources libérées et à réduire
le nombre d’équivalents temps plein affectés, toutes choses étant égales par ailleurs.
Nous avons souvent observé qu’il était parfois nécessaire de procéder à l’inverse : créer
des tensions sur les effectifs, pour générer des programmes d’amélioration continue et
développer la polyvalence nécessaire. Cela est plus facile à faire en période de croissance,
l’on essaie de faire croître la courbe des coûts fixes bien moins vite que celle du Chiffre
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d’Affaires. Il peut être même extrêmement motivant pour une organisation, de retirer les
effectifs des fonctions, pour les mettre dans une cellule en mode « start-up » en charge de
développer de nouvelles offres ou de nouveaux marchés.
3. Comment améliorer la performance économique du centre de tri
grâce au lean ?
La question posée était : « Comment le centre de tri peut-il absorber le flux poussé
entrant en améliorant sa performance industrielle ? »
C’est-à-dire :
comment mettre en place un flux vraiment continu qui accroisse la capacité
d’absorption du centre de tri pour respecter la règlementation environnementale,
tout en maximisant le CA sortant,
et en minimisant les surcoûts de production.
Compte-tenu des priorités mises en évidence, et de notre système de production nous
avons tout de suite mis en priorité première l’amélioration du TRS pour réduire au maximum le
retour à la sous-traitance et travailler dans des conditions sereines de tri. Quand on est en flux
quasi-unique, l’approche privilégiée consiste à réduire au maximum les arrêts ou
ralentissement de ligne. L’approche est connue sous le nom de « Maintenance Productive
Totale » (en anglais Total Productive Maintenance ou TPM (cf. figure 5)).
S’il fallait apporter une définition de la TPM, le Japan Institute of Plant Maintenance
(JIPM) a associé la fonction production à la prévention des défaillances des équipements.
Naturellement, ce travail a abouti à la recherche de la performance globale des équipements,
puis des ressources industrielles. Performance, qui ne peut pas être séparée des compétences
des employés, de l’efficacité de l’organisation et du management.
‘ Figure 5 : la maison de la TPM
Le socle de ce TPM est le 5S (« Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place »)
[Fiche ref. : 22710.0445]. C’est donc naturellement par-là que nous avons commencé. Mais
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nous n’avons pas lancé des chantiers 5S tous azimuts : nous avons d’abord privilégié le 5S
où cela contrariait le plus la performance.
3.1
Déterminer le Pareto des causes : la loi des 20/80
Nous avons en premier lieu fait un relevé des causes majeures des temps d’arrêt pour
panne. Le premier graphique (cf. figure 6) présente les causes apparentes, pas encore les
causes profondes. Il n’y avait pas de vrai relevé, ni d’analyses, aussi nous nous sommes
attachés à en mettre un en place. On ne peut pas faire de la TPM (Total Productive
Maintenance) sans relevé des arrêts ! L’absence de données contribue souvent à l’inaction : «
je ne sais pas ! » C’est la raison pour laquelle nous avons organisé la collecte des données dans
la durée. L’idée était de sortir de l’artisanal et des impressions pour entrer dans l’ère d’une
approche méthodologique.
Toutefois, nous avons pensé qu’il n’était pas nécessaire d’avoir des mesures très précises
pour commencer à agir. L’important ne nous semblait pas d’avoir des chiffres précis à la
décimale près, ni des calculs d’intervalles de confiance à 95%. Quelques premières données,
des discussions avec les agents de maintenance et les opérateurs nous ont permis rapidement
et facilement de connaître le rang des principales causes des temps d’arrêt ainsi qu’un ordre
d’idée de leur importance respective. C’était largement suffisant pour commencer le premier
chantier sans attendre : le décartonneur !
Retour d’expérience : il faut prendre quelques précautions par rapport à une utilisation
trop « mécanique » de l’outil Pareto :
1. Il faut certes tenir compte de la valeur absolue, mais aussi du pourcentage
d’amélioration qui est possible sur chaque cause. Ainsi une cause représentant 50%
des arrêts mais améliorable de 10% est moins prioritaire qu’une de 20% dont on
peut diviser par 2 les occurrences. On peut gagner seulement 5 dans le premier cas
et 10 dans le deuxième.
Temps Arrêt 3,8242,33 21,58 10,48 9,37 5,35 2,50 2,36 2,22
Pourcentage 3,842,3 21,6 10,5 9,4 5,3 2,5 2,4 2,2
% cum 100,042,3 63,9 74,4 83,8 89,1 91,6 94,0 96,2
Causes
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20
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Temps Arrêt (base 100)
Pourcentage
Diagramme de Pareto des causes d'arrêts
Figure 6 - Répartition des arrêts pour panne (en base 100 pour des raisons de confidentialité)
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2. Une transformation sur les causes profondes contribue souvent à simplifier le
nombre de causes.
3. Plus que tout peut-être, le danger serait d’attendre d’avoir un « beau graphique »
avec de nombreux relevés et donc de différer le temps de l’amélioration. C’est le
syndrome « On commencera à agir quand on aura beaucoup de chiffres ». Le
problème, c’est que le moment ces « beaux graphiques » seront disponibles a
toutes les chances d’être fort éloigné de celui de l’apparition du problème. L’analyse
des causes profondes par une démarche « 5 Pourquoi » [Fiche ref. : 22710.0446] (voir
point n°2 ci-dessus) est rendue difficile car la mémoire détaillée de l’incident a
disparu. Des approches de type QRQC (Quick Response Quality Control) nous
semblent à combiner avec un Pareto qui pourra donc afficher des défauts… résolus
depuis quelques semaines !
4. Il faut arrêter de se focaliser sur l’exactitude des chiffres qui entraîne une forme
d’immobilisme. Il ne faut pas reproduire le défaut de certains financiers qui font des
reporting à J+20 au centime d’euros quand des enjeux économiques et des décisions
portant sur des millions d’euros devraient être prises à J+5 ! Dans le cas de ce
diagramme, même à 10% près, on voit immédiatement que les actions doivent
porter sur le décartonneur et le convoyeur à bande.
3.2
Lancer un chantier 5S : une place pour chaque chose, chaque chose à sa place
Les observations « sur le terrain » montraient qu’il s’écoulait un temps certain entre
l’appel d’un agent de maintenance et son arrivée opérationnelle sur le lieu de la panne.
Nous avons décidé d’aller porter nous-me la demande d’intervention à la
Maintenance et de ne plus quitter le technicien jusqu’à son intervention. Nous avons constaté
que la recherche d’outils mal rangés avait une influence non négligeable sur le temps
total d’intervention. Il ne faut pas oublier que même 5 minutes de gagnées en temps
d’intervention, c’est 5 minutes x 20 employés sur la ligne = 1 heure 40 de perdue pour
l’entreprise.
Sans attendre nous avons mis en place des panneaux pour ranger les outils, avec le
dessin de ceux-ci peint à même le panneau. Sans moyens, nous avons pris du bois de
récupération et fait peindre par un agent de maintenance. En moins d’une demi-heure, un
outil manquant devenait immédiatement visible. C’est un exemple de management visuel très
simple et très efficace. Chose un peu incroyable : nous avons découvert qu’il nous manquait
des outils indispensables. Un tableau visuel a permis de limiter les « pertes » et d’anticiper un
achat de renouvellement en cas de réelle nécessité. Par la suite, quand nous avons vu que cela
fonctionnait bien, nous avons investi dans un tableau « plus beau et plus cher » mais
remplissant le même objectif et les mêmes fonctionnalités (cf. figure 7).
16 BALDELLON & VINAGRE
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Figure 7 : un des panneaux range-outils v2
(le dessin de l'outil est dessiné à même le panneau)
Nous avons également constaté que beaucoup d’interventions nécessitaient l’utilisation
d’une nacelle à plus de 1m50 du sol. Faute d’emplacement dédiée, celle-ci n’était jamais
rangée à la même place, ce qui donnait lieu à une perte de temps significative en cas
d’intervention d’urgence sur une ligne principale. De plus cette nacelle, fonctionnant sur
batterie, était périodiquement déchargée.
Ce que nous avons fait ? Nous avons dédié un emplacement réservé et marqué au sol,
puis installé une prise électrique. Une photo « OK » montrait la nacelle branchée et en attente.
Une clé de couleur différente avait été faite pour chaque personne habilitée à la conduire et
posée sur un tableau de couleur. Ceci servait de poka yoke : on ne pouvait pas reposer sa clé
sur celle d’un autre opérateur. De plus, la clé manquante faisait apparaître le nom et le
raccourci téléphonique de la personne à contacter (cf. figure 8). Simple, mais efficace.
Figure 8 : tableau des clés de la nacelle
Environnement : le lean appliqué au tri de déchets 17
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En quelques actions immédiates, nous avons gagné plus de 10 heures de temps de
disponibilité des lignes chaque mois. Les gains réalisés ont été chiffrés par le contrôle de
gestion à 16 500 € par mois :
200 heures qui auraient été payées pour des employés inoccupés = 200 heures x 15
€ / heure = 3 000 € / mois
mais le plus important était que, pour des raisons de saturation de capacité dans la
période, nous aurions dû sous-traiter à l’extérieur 10 heures x 9 tonnes / heure x 150
€ / tonne = 13 500 €.
C’est surtout ce dernier montant, directement lisible dans le compte de résultat, que
nous avons pu mettre en avant pour illustrer sans équivoque les gains d’une approche lean.
3.3
Déployer une démarche de « résolution de problèmes »
Ce qui nous paraissait important dans le QRQC était plus la tournure d’esprit que les
outils. Aller tout de suite observer le problème à l’endroit où il s’est passé, prendre des
mesures palliatives immédiatement, mais surtout lancer une démarche d’éradication du
problème et de capitalisation du savoir-faire.
La problématique était d’apprendre aux gens à analyser un problème, faire la
distinction entre « soigner » (traitement symptomatique) et « guérir » (supprimer la cause),
organiser la communication entre le « terrain » et les services d’ingénierie support situés au
Siège.
Le tout en prenant en compte qui nous n’avions pas la main sur la « vraie » cause racine
qui est le mauvais tri par les ménages. Cette problématique de non calibrage de la matière
première ne nous paraît pas spécifique au secteur du déchet, mais généralisable à d’autres
industries, soit par la nature me du produit (agro-alimentaire), soit quand le sourcing est
imposé…
Ce que nous avons mis en place :
QRQC + QQOQCCP (Qui fait Quoi ? ? Quand ? Comment ? Combien ? et Pourquoi
?) , [Fiche ref. : 22710.0447]
l’animation via un 8D [Fiche ref. : 22748.0464], rebaptisé « check-list de l’animateur ».
Cela nous a permis de garantir via un animateur que toutes les étapes étaient couvertes,
depuis la description correcte du problème jusqu’à la capitalisation.
Le premier sujet d’étude a été le bourrage du décartonneur. Un décartonneur est une
machine qui fait un pré-tri en enlevant les gros cartons du flux initial composé de cartons,
papiers, PET… Il se bloquait régulièrement en raison de la présence de films plastiques
(plastiques de palettisation…) qui n’avaient rien à faire dans un flux de tri écologique.
Outre la difficulté d’aller retirer les plastiques et le temps passé (jusqu’à 45 minutes dans
le meilleur des cas), cela était également dangereux pour les opérateurs.
Nous avons immédiatement adopté des mesures palliatives :
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mise en sécurité de la ligne (en cadenassant le tableau d’alimentation pour qu’il ne soit
pas remis en marche pendant l’intervention) et débourrage manuel,
mise en place d’une ronde de surveillance (la machine n’ayant pas d’opérateur posté, et
le poste de supervision étant à l’autre bout de l’usine) qui s’est révélée insuffisante,
puis, mise en place d’un pré-tri manuel en amont du décartonneur.
La bonne description du problème et l’impossibili de traiter la cause racine nous a
poussés à trouver une solution innovante en partenariat avec l’ingénierie support. Nous avons
mis en place un système d’inversion (la machine se débourrant toute seule en tournant en sens
inverse) qui a réduit à 5 minutes le temps d’arrêt. Nous n’avions pas éradiqué le problème,
mais divisé par 9 son importance ! Et amélioré les conditions de travail et de sécurité des
agents de maintenance.
La gestion du QRQC/8D nous a permis de généraliser la solution pensée par la Direction
Technique à toutes les machines fonctionnant avec des cribles.
3.4
Améliorer les compétences par les matrices de polyvalence
Le gain en temps dégagé par les résolutions de problème ont permis de former les
agents de maintenance à des tâches ayant plus de valeur ajoutée que du débourrage !
Les matrices étaient déployées par machine. Elles comprenaient une évaluation par tâche
et par agent. Les tâches ont été remplies par les agents de maintenance qui se sont
autoévalués. C’est à la fois un atout et une limite managériale.
Nous avons retrouvé les divers niveaux appliqué aux tâches de maintenance : « 0 =
aimerais apprendre », « 1 = connais les bases », « 2 = respecte les gammes de maintenance »,
« 3 = améliore les gammes », « 4 = sait former ».
Les matrices avaient une double fonction. D’abord, développer la polyvalence via un plan
de formation interne et externe. On a développé une forme de compagnonnage rendu
possible grâce au cercle vertueux du temps dégagé. Ensuite, permettre à un tiers de prévenir la
bonne personne (l’agent compétent) en cas de problème grâce à l’affichage de la matrice sur
la machine.
Afin de retrouver des gains chiffrables et indiscutables, nous avons commencé une
compétence des agents pouvait nous éviter de faire systématiquement intervenir des
prestataires externes. En les rendant compétents et largement autonomes, nous avons gagné
sur 2 tableaux :
bien évidemment sur les coûts de prestation, directement visibles sur le compte de
résultat,
mais aussi et surtout sur les délais d’immobilisation en cas de problème, et donc sur les
temps d’arrêt de ligne. Une équipe bien formée et sur place interviendra toujours plus vite
qu’un sous-traitant externe !
Environnement : le lean appliqué au tri de déchets 19
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3.5
Définir la maintenance préventive
Il a fallu faire face à l’ancienne culture maintenance seul du correctif et du petit
entretien était pratiqués. Du fait de l’environnement certifié, il a fallu adapter la TPM à la
définition de la norme NF EN 13306. La maintenance préventive mise en œuvre comprenait
divers niveaux :
Maintenance conditionnelle : celle l’on intervient qu’en cas de besoin détectés
lors de rondes de maintenance. Une ronde est un parcours standard avec des points
fixes à vérifier en un temps défini. Nous avons également mis en place des rondes
faites par des agents d’exploitation qui assuraient une maintenance de niveau 1.
Maintenance systématique : gestion planifiée à partir d’un plan de maintenance,
souvent défini avec les constructeurs des machines ou basé sur l’expérience.
Ces opérations étaient effectuées soit par des opérateurs ou agents d’exploitation
(maintenance autonome de niveau 1), soit par des agents de maintenance (maintenance de
niveau 2) selon l’approche d’empowerment (autonomisation) chère au lean. Toute demande
d’intervention a été associée à une gamme de maintenance, à une gestion de stock de pièces
de rechange et à une gestion de l’outillage. Ces gammes ont été définies et enrichies au fur et
à mesure des mois.
3.6
Gérer en kanban le magasin de pces de rechange
Nous avions trop de stock dans le magasin de pièces de rechange, pas de visibilité des
pièces des emplacements, pas de contrôle des sorties, donc de nombreuses ruptures.
Nous avons mis en place un système de bac avec des étiquettes. La règle simple était
que l’agent de maintenance prenait la pièce, prenait l’étiquette et déposait l’étiquette en
sortant. Elle servait de base de commande au responsable du magasin. Tout ceci n’a rien coûté
: les étiquettes étaient faites dans du plastique de récupération.
4. Quels enseignements en avons-nous tirés ?
Une des forces dans l’automobile lorsque l’on instaure le lean est le haut niveau de
compétence des opérateurs et de l’encadrement. Dans le monde du déchet, nous avions à
faire avec une population bien moins qualifiée. Les consignes concernant le nettoyage
(minimal) des machines devait donc faire l’objet d’un management visuel où les étapes
devaient être décrites via des pictogrammes et des photos avec le minimum de texte. Un effort
particulier a être fourni sur la formation, l’encadrement et le suivi des gens. Il faut accepter
de prendre son temps et de laisser de temps aux gens de s’approprier les nouvelles approches.
Cela ne nous paraît pas spécifique au « déchet », mais est encore plus critique qu’ailleurs. Le
lean demande des capacités managériales !
L’intérêt de déployer du lean dans un secteur tel que le déchet est de prouver qu’il s’agit
d’une démarche qui doit être compréhensible par le terrain car les équipes doivent se
l’approprier. Inutile de sortir les calculs savants de Six-Sigma qui ne sont qu’un moyen de
remettre le lean aux mains des « intellectuels », mais il faut trouver des astuces simples pour
que la démarche fonctionne ! Et c’est ce point qui est très compliqué quand on est manager /
ingénieur. D’ailleurs dans un secteur tel que l’automobile, qui connaît le lean sous sa forme la
plus aboutie, ces approches Six -Sigma ne sont peu utilisées.
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© Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 4
Néanmoins, on entend souvent que le lean « c’est du bon sens ». Clairement, non ! Il
s’agit d’une méthode structurée autour d’une philosophie : remettre l’homme au cœur du
système, mais il s’agit d’une méthode. Sans formation aux outils et techniques, on ne réussit
pas le lean. Comment implanter une démarche TPM juste avec du bon sens ? Le bon sens sert
à la base de la maison Toyota, c’est la recherche d’amélioration continue, mais la démarche
lean est au-delà ! Il faut des compétences techniques !
Nous pensons que le lean demande aux managers des compétences de type coach qui
fait grandir ses équipes en les associant à la résolution de problèmes et à la définition des
standards. A contrario, nous ne croyons pas à des approches autoritaires qui viseraient à
imposer des standards a priori décidés par le seul chef.
5. Conclusion
Cet article se voulait une réponse à des objections fréquemment entendues lors
d’échanges sur le lean avec certains de nos interlocuteurs d’industries en flux poussés. Certes,
quelques méthodes spécifiques aux flux tirés ne sont pas transposables: non, on ne pourra pas
tirer la production ! Ce qui ne veut pas dire que nous n’avons pas utilisé des kanban dans les
magasins de pièces de rechange. Toutefois, nous pensons avoir montré que la majeure partie
de l’approche lean est tout à fait applicable dans une industrie où les flux sont poussés.
Nous voulons également répondre à des objections évoquées soit pour ne pas lancer
des approches de progrès continu, soit pour les repousser… à beaucoup plus tard. Nous
préconisons de ne pas nous complaire pendant des mois ou des années dans des phases de
Plan très détaillées et ambitieuses d’un PDCA, mais de valider assez rapidement par une mise
en œuvre « Do » et des adaptations éventuelles « Act » un bon nombre d’hypothèses
évoquées dans le Plan. Donc :
Oui, lean et Finance sont compatibles. En se focalisant sur des actions une partie des
dépenses étaient des charges externes visualisées dans les comptes d’exploitation, nous avons
légitimé les bénéfices du lean et fait baisser la garde aux opposants. Nous avons réconcilié les
opérationnels et le financier.
Oui, on peut lancer une démarche lean avec peu de moyens. Tout ceci s’est fait sans
budget spécifique pour commencer. L’absence de budget a eu néanmoins quelques mérites.
Celle de nous rendre débrouillard : ce n’était pas « beau » mais cela fonctionnait très vite et
très bien. Les équipes étaient contentes de voir des choses qui marchaient. Nous avons
constaté que rien ne marche mieux que ce que l’on a fait soi-même et dont on est fier. Une
fois les premiers résultats obtenus, il nous a été plus facile d’obtenir un peu de budget.
Oui, on peut lancer une démarche lean sans une totale adhésion de la Direction a priori.
Nous sommes d’accord : c’est mieux si on est soutenu par la DG, et nous préconisons toujours
d’essayer d’obtenir son appui. Mais nous pensons également qu’il est parfois aussi facile (ou
difficile !) d’obtenir une adhésion par des réalisations que par des présentations Powerpoint.
Souvent, le délai mis à profit pour démontrer par l’exemple l’intérêt du lean chez nous était du
Environnement : le lean appliqué au tri de déchets 21
© Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 4
même ordre que celui qu’on aurait mis à convaincre la DG par des présentations théoriques ou
des réalisations chez d’autres.
Nous pensons toutefois que l’adhésion de la Direction et un peu de budget deviennent
indispensables pour pérenniser !
Premièrement, comme tout projet de changement, la mise en œuvre du lean va susciter
des oppositions parfois frontales, parfois souterraines (plus difficiles à gérer). Nous avons vu
des collaborateurs discriminés car ils étaient dans un projet transversal non supporté par leur
hiérarchie directe. L’implication de la Direction Générale va permettre de réduire les tentatives
de nuisances voire de sabotages. Elle cautionnera le lean comme une bonne pratique dont la
mise en œuvre n’est pas une option mais un facteur clé de succès des stratégies de
l’entreprise.
Deuxièmement, l’absence sur le long terme d’allocation budgétaire est vécue par ceux
qui ont donné le meilleur d’eux même comme un manque de considération. C’est moins une
limitation technique que managériale. Un budget, même modeste, est un facteur de
motivation car c’est une marque de reconnaissance et de soutien aux efforts accomplis et aux
résultats obtenus.
6. Bibliographie
Bédry, P. (2012). Les basiques du Lean Manufacturing: dans les PMI et ateliers technologiques. Editions
Eyrolles.
Bufferne, J. (2006). Le guide de la TPM®. Editions d’Organisation, Paris.
Leconte, T. (2008). La pratique du SMED: obtenir des gains importants avec le changement d'outillage
rapide. Editions Eyrolles.
Shingåo, S. (1996). Quick changeover for operators: the SMED system. The Press (Portland, Or.).
Womack, J. P., & Jones, D. T. (2009). Système Lean: Penser l'entreprise au plus juste. Pearson Education
France.
Divers articles sur le lean : http://www.avlconsulting.fr/publications/
Traitement des déchets : 2 nouvelles brochures pour mieux prévenir les risques :
http://www.inrs.fr/accueil/header/actualites/traitement-dechetbrochure2012.html
Normes et standards
AFNOR NF E 60-182 05-02 Moyens de production. Indicateurs de performances. Taux de rendement
synthétique (TRS). Taux de rendement global (TRG). Taux de rendement économique (TRE)
NF EN 13306 10-10 Maintenance. Terminologie de la maintenance