Revue Française de Gestion Industrielle
Vol. 33, N° 1
L’ACHAT DE TRANSPORT EN MILIEU
INDUSTRIEL : UNE APPROCHE EXPLORATOIRE
DES CHOIX ORGANISATIONNELS ET DES
PRATIQUES
Richard CALVI
*
& Nathalie MERMINOD
**
Résumé. - Les achats de transport ont fortement évolué depuis une vingtaine
d’années dans les entreprises industrielles du fait de la mondialisation des
marchés et du poids croissant de la prestation de transport dans les stratégies
d’offre. En parallèle, l’externalisation de ce service a été massive dans les
entreprises et par conséquent sa maîtrise est devenue une problématique à
portée stratégique. Ces évolutions ont amené de nombreuses entreprises à
faire le choix de confier leurs achats de transports, auparavant gérés par les
services logistiques, à des acheteurs professionnels. Le premier objectif de
cette recherche est de cerner la problématique managériale sous-jacente à cette
évolution par une revue de littérature structurée. Le deuxième objectif est de
rendre compte des évolutions concrètes à travers l’observation de trois cas
industriels exemplaires de ces évolutions. La discussion des cas nous permet
notamment sur ce point de tracer les contours d’un binômage harmonieux
entre les fonctions achats et logistique.
Mots-clés : Achat de transport, organisation, interface achats/logistique
(Article paru dans la Revue Française de Gestion Industrielle, vol 33,1, 2014)
*
Professeur, Université de Savoie (IAE Savoie Mont-Blanc), IREGE, Route de Saint Cassin BP 1104 -
73011 CHAMBERY CEDEX, richard.calvi@univ-savoie.fr
**
Maître de Conférences, Aix-Marseille Université, CRET-LOG (EA 881), 13625, Aix-en-Provence
Cedex 1, nathalie.merminod@univ-amu.fr
82
Richard CALVI et Nathalie MERMINOD
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
Introduction
1
Il y a 20 ans, dans un article de la Revue Française de Gestion Industrielle, François
Pardoux, alors directeur du cabinet AT Kearney, constatait que dans le secteur
agroalimentaire, les achats de transport échappaient souvent comptement aux prérogatives
des services Achats pour rester l’apanage des experts de la Direction Logistique (Pardoux,
1991). Quelques années plus tard, Gilles Paché (1995) relatait un constat inverse dans
l’industrie textile. Il expliquait ce passage des achats de transport dans le giron des services
Achats par le manque de maturité des fonctions logistiques dans le secteur considéré et le
désir de la Direction Générale de rationaliser un achat très décentralisé. Selon lui, cette
situation était insatisfaisante car les acheteurs induisent « une vision partielle des contraintes
logistiques et se contentent de solutions localement satisfaisantes sans discerner les enjeux globaux en
matière de circulation physique » (p.60, 1995).
Ces dernières années ont vu la fonction achats accroitre son influence dans le domaine
du transport et de la logistique. Ainsi une enquête de 2008
2
place le rôle croissant des
services achats en te de liste des préoccupations des dirigeants des entreprises prestataires
de services logistiques. Ces dernières ont dépensé beaucoup d’effort pour positionner leur
offre dans un apport de « valeur ajoutée » et voient dun très mauvais œil l’arrivée des
acheteurs professionnels dans le domaine, craignant un retour à une vision uniquement
cente sur les coûts. En parallèle, une autre enquête auprès des directions achats évoque la
multiplication des postes d’acheteurs « transport » ou « supply chain » comme un des faits
marquant du marché de l’emploi dans cette fonction pour 2010
3
. Cet article s’intéresse à la
façon dont les entreprises ont modifié leur organisation interne ainsi qu’à la nature des
interfaces créées avec le marché fournisseurs afin d’améliorer leurs achats de transport. Plus
précisément c’est le contour du rôle joué par le département « achats » dans cette évolution
des pratiques que nous cherchons à cerner. Pour cela, dans une première partie, relative à la
revue de littérature, nous constaterons que le marché du transport et de la logistique a
grandement évolué ces dernières années mais que les recherches sur ce domaine sous l’angle
des achats sont peu nombreuses. La deuxième partie présentera lathodologie et les
résultats d’une étude qualitative alisée auprès de trois entreprises ayant fait évoluer leur
organisation dans ce domaine. Nous dégagerons dans une troisième partie les
enseignements à tirer de ces études de cas tant dun point de vue managérial qu’académique.
1
Nous tenons à remercier Marie José Avenier (Directeur de recherche CNRS) et Marielle Bloch Dolande (Présidente de Beauvais International) pour leur sourtien et la
qualité de leurs échanges dans la phase de démarage de cette recherche.
2
Enquête de 2008 « 3PL CEO Perspective » auprès des 40 principaux directeurs Nord aricains et européens de sociétés prestataires de services logistiques.
http://www.chrobinson.com/assets/inthenews/Supply%20Chain%20Strategy%20-%20Divided%20Logistics.pdf
3
Lettre des achats n° 194 de mai 2011.
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Lachat de transport en milieu industriel
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
1. Les achats de transport, parent pauvre des recherches en achats et
logistique
Peu de recherches récentes abordent spécifiquement la question du transport comme
thématique centrale tant dans le domaine des achats que de la logistique. Constitutif de
l’optimisation des flux physiques au sein de la supply chain, l’achat de transport est en effet
souvent considéré comme aisément substituable sur le marc fournisseurs. Or, comme
l’indiquent Fulconis et al. (2008), la place du transport dans les schémas
d’approvisionnements contemporains est souvent sous-estimée : « les évolutions des vingt
dernières années ont conduit certains observateurs à analyser le transport comme le parent
pauvre des schémas dapprovisionnement, sans réelle portée stratégique dans l’obtention
d’un avantage concurrentiel durable, et finalement non créateur de valeur » (p.26). Dans les
schémas d’approvisionnements actuels, la gestion du transport et la recherche de son
optimisation, exigent un savoir-faire organisationnel spécifique. L’évolution des chaines
logistiques questionne ainsi la place et l’importance accordée à la composante « transport ».
Nous allons dans un premier temps décrire les évolutions du marché de l’offre avant de
décrire celles concomitantes du marché de la demande.
2.1 Du transport à la prestation logistique
Le mot « transport », vient du latin trans « à travers » et portare « transporter ». Par
définition (Littré, 2011), il consiste en l’« action par laquelle on transporte quelque chose ou
quelqu’un d’un lieu dans un autre ». Traditionnellement, la question posée est celle du choix du
mode de transport en fonction des contraintes techniques, économiques et managériales.
Apparue dans les années 1970, la notion de prestation logistique est plus globale. Elle est liée
aux stratégies de recentrage sur leurs urs de métier de certains industriels et distributeurs.
Faire référence à la chaîne logistique revient à évoquer ce que les auteurs anglo-saxons
dénomment une supply chain, c’est-à-dire un système d’offre « à travers lequel les organisations
livrent leurs biens et leurs services à leurs clients » (Samii, 2004, p.6). Ce système repose sur une
volonté de gestion optimisée des flux au meilleur coût et se base non seulement sur les flux
physiques mais aussi sur les flux d’information associés, depuis le fournisseur initial
jusquau client final
4
.
Le marché de l’offre de transport puis celui de la logistique ont connu une très forte
complexification et recomposition de leur structure ces dernières années. Ce marché de la
logistique
5
sur un périmètre européen était estimé en 2005
6
à 720 milliards d’Euros (soit 8%
4
http://www.transport-logistique.org/fr/logistique-definition.htm
5
Pour le Council of Supply Chain Management Professional (www.cscmp.org), la logistique peut être définie comme « la conception, la mise en œuvre et le contrôle
d’une circulation efficiente et d’un stockage des biens, des services et des informations associées de leur point d’origine à leur point de consommation dans le but de
répondre aux attentes des clients ».
6
Etude publiée par l’AFILOG en 2005, http://www.afilog.org/files/49c82b42-afa0-4ef5-be36-0d706bcc4083.pdf
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Richard CALVI et Nathalie MERMINOD
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du PIB européen) couvert par plus dun million d’entreprises et employant plus de 5 millions
de salariés. Mais derrière ces chiffres se cache une grande diversité d’acteurs. Les prestataires
de services logistiques (généralement désignés par l’acronyme PSL
7
) qui constituent ce
secteur, se sont progressivement orientés vers des activités logistiques créatrices d’une
valeur ajoutée jugée supérieure et vers de meilleurs vecteurs de différenciation. Fulconis et
Paché (2005) analysent cette évolution de la demande en trois étapes historiques. Dans un
premier temps, l’industriel (ou le distributeur) acquiert de façon ponctuelle tel ou tel élément
logistique (transport, entreposage…) et le PSL n’est ici envisagé que comme un simple
exécutant, sans aucune implication dans la conception des ches à exécuter. Dans un
deuxième temps, et sous la pression des stratégies de recentrage des entreprises clientes, les
prestataires logistiques en viennent à acquérir des fonctions logistiques complètes (flux
physique et informationnel). Le PSL a alors le le d’expert devant proposer des solutions
techniques. Les acteurs couvrant les besoins évoqués dans ces deux étapes de l’évolution de
la demande sont fréquemment regroupés sous l’appellation de third party logistics (3PL).
Dès 2002, Andersson et Norrman identifient les prémices d’un troisième temps les
entreprises clientes achèvent leur mue vers une dématérialisation, les transformant en
architecte de systèmes dont lélaboration est confiée à des partenaires. Ici, pour la partie
logistique, le PSL se doit de participer à l’ingénierie des processus dont il assurera la
responsabilité opérationnelle. On parle alors de PSL dématérialisés, de Lead Logistic Provider ou
encore plus couramment de Fourth Party Logistics (4PL) pour qualifier ces prestataires ne
disposant quasiment pas de moyens physiques propres. Ils construisent leurs chaînes
logistiques en mobilisant des ressources auprès de sous-traitants spécialisés. Comme le
soulignent Fulconis et al. (2011), contrairement aux 3PL qui pilotent des flux à l’aide de leurs
propres moyens de transport et d’entreposage, les 4PL ont pour objectif de concevoir et de
vendre des solutions logistiques sur-mesure (notamment en matière de systèmes
d’information) en créant un réseau de compétences qui associe par exemple : transporteurs,
entrepositaires et façonniers industriels. Seuls quelques grands groupes (Géodis, K+N,
Norbert Dentressangle…) sont capables de répondre à ce type de demande ultime. Comme
le précisent Wong et Karia (2010) dans leur analyse des ressources et compétences clés des
quinze PSLs majeurs sur le marché européen, deux types d’acteurs sont donc présents : ceux
qui possèdent leur capital physique (entrepôts, flotte, etc.) et humain DHL, FedEx, UPS par
exemple ; et ceux qui ne possèdent pas ce capital en direct mais le mobilise à travers des
collaborations en fonction de la demande du client (Panalpina, Expeditors, K+N, par
exemple).
Un des avantages compétitifs mentionné dans les recherches portant sur le marché des
logisticiens relève de sa flexibilité qui repose principalement sur la qualité de l’échange
7
Dans son lexique des termes de la logistique publié en octobre 2004, la revue professionnelle Logistiques Magazine donne une définition générale, mais suffisante en
première approximation, du PSL: « Entreprise assurant la réalisation dactivités logistiques pour le compte d’un industriel ou d’un distributeur »
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Lachat de transport en milieu industriel
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d’informations entre clients et fournisseurs (Hartmann et de Grahl, 2011) et qui conduit à
plus de loyauté de la part du client.
Mais comme le notent Bourgne et Roussat (2008), si ces évolutions successives ont à la
fois complexif l’offre et segmenté le marché, le transport tient toujours une place
stratégique dans la prestation logistique. Cette proximité entre logistique et transport semble
en outre imputable au fait quhistoriquement les PSL d’aujourd’hui sont pour la plupart les
transporteurs d’hier. En effet comme le précisent Paché et Sauvage (2004) de nombreuses
entreprises de transport ont évolué vers la prestation de services logistiques en réponse aux
évolutions de la demande des entreprises que nous décrirons dans la partie suivante. Les
fournisseurs ont ainsi proposé sur le marché des innovations fonctionnelles et/ou de services
associés, à base de TIC (Technologies de l'Information et de la Communication) et de savoir-
faire spécifiques, de manière à rendre moins interchangeables leurs offres et rendre ainsi plus
oligopolistique leur marché.
Comme nous venons de le constater, le marché de l’offre dans le domaine du transport
et plus globalement dans celui de la prestation logistique s’est complexifié ces dernières
années. Dans le paragraphe suivant nous verrons comment ces changements s’expliquent en
grande partie par une évolution de la demande.
2.2 L’achat de transport et de prestation logistique
La complexification du marché de l’offre suit tout d’abord la croissance du poids des
prestations logistiques dans les coûts industriels. Plusieurs facteurs expliquent cette
croissance. Tout d’abord si le coût d’achat des produits baisse du fait de la mondialisation
(achats dans des pays à faible coût de main d’œuvre) et que les coûts logistiques associés
sont eux relativement stables (meilleure optimisation des flux notamment), la part relative
des cts logistiques sur les coûts d’achats augmente mécaniquement. Le contrôle de ces
coûts devient donc consubstantiel à la réussite des stratégies d’internationalisation. Par
ailleurs, lorsquils étaient achetés localement, les produits étaient souvent achetés transport
compris (franco) sans que la part transport ne soit explicitée et donc enregistrée de façon
séparée en comptabilité. L’achat hors d’Europe entraîne souvent un changement des
incoterms et fait apparaître plus régulièrement la part transport dans la comptabilité des
entreprises. Ainsi, même si les gains de productivité des prestataires logistiques permettent
une certaine maîtrise globale de l’évolution de ces coûts, ceux-ci augmentent en « visibilité »
dans les comptes des entreprises, rendant plus prégnantes la nécessité de leur maîtrise.
De plus, la généralisation des attentes de type « Juste à Temps » fait que le rythme des
livraisons saccélère dans de très nombreux secteurs (Paché et al. 2011). Il y a donc une
double évolution sur le composante « transport » pour ces entreprises ; une évolution
mécanique des volumes qui met plus d’emphase sur l’importance de la maîtrise des flux
(transport et stock), auquel s’ajoute un enjeu stratégique car la performance de ces transports
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Richard CALVI et Nathalie MERMINOD
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a un effet direct sur la valeur de la prestation achetée. Pourtant ce poids « stratégique » accru
ne se traduit pas par une internalisation des fonctions transports. Au contraire on assiste
depuis plus d’une décennie à une forte tendance à l’externalisation des opérations liées au
transport et à la logistique. En effet, selon le dernier baromètre européen Ernst & Young
(2008), la logistique est une fonction externalisée par 73% des 600 répondants, ce qui la classe
au 2
me
rang des fonctions les plus externalisées en Europe. On touche ici à un paradoxe :
celui d’une fonction souvent considérée comme stratégique au regard de l’offre client (la
logistique) et pourtant très généralement externalisée. Dès 1996, Tixier, Mathé et Colin nous
aident à mieux comprendre les rouages de ce paradoxe. Les activités logistiques sont
composées de plusieurs niveaux : un niveau opérationnel (la réalisation physique des
activités), un niveau administratif (le contle des activités et des flux dinformation associés)
et un niveau de planification (les décisions stratégiques, la prévision de la demande…).
L’externalisation porte de fon généralisée sur le niveau opérationnel et de plus en plus à
l’heure actuelle sur le niveau administratif (notamment avec l’émergence des 3PL évoqués
dans la première partie). Toutefois elle reste exceptionnelle sur la partie planification. En toute
logique on doit donc s’attendre, à mesure que les entreprises externalisent la alisation
opérationnelle de leur activi logistique, à une consolidation des fonctions de contle de
cette sous-traitance pour en garder la maîtrise globale. Ce sont les contours de ce contrôle
que nous chercherons à cerner au travers de cette recherche.
Ces évolutions sous-tendent donc que les prestations logistiques et de transport sont
devenues un poste d’achat important pour les entreprises -tant en termes de coûts associés
que de risques et valeur perçue pour le client -et qu’il est donc fondamental de les maitriser
au mieux. Pour autant la fonction achats a longtemps été écartée de cette maîtrise. L’enquête
CAPS (Center for Advanced Purchasing Studies) (cité par Ellram, 2007, p 46) sur les achats
de services de 2002 montrait qu’aux Etats-Unis les achats de transports étaient le poste le
plus externalisé (95%) mais aussi un de ceux échappant le plus aux acheteurs (moins de 30%
étaient sous couverture des Achats
8
, c’est à dire sous contle plus ou moins formel de la
fonction achats). Même si aucune enquête récente à notre connaissance ne permet dinfirmer
cette tendance, il n’est pas étonnant de lire dans la presse professionnelle que de nombreuses
entreprises décrètent aujourd’hui dans ce domaine la nécessaire implication des services
Achats de façon à aller chercher sur ce poste des économies comparables à celles réalisées
depuis longtemps dans les achats dits « directs ». Les directions Achats les plus matures
spécialisent alors des collaborateurs dans ce domaine pour accroître leur contrôle sur des
opérations traditionnellement hors de leur périmètre d’influence (la plupart du temps
réalisées directement par le service logistique ou production).
8
La « couverture » pour un service Achats définit la part des achats réalisée sous la responsabilité du service du service Achats.
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Lachat de transport en milieu industriel
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
Les recherches portant spécifiquement sur l’achat de transport ou de logistique et plus
globalement sur les achats de services, sont peu nombreuses (Selviaridis and Spring, 2010).
Elles se focalisent principalement sur une approche processuelle de ces achats en identifiant
par exemple, les différentes étapes du sourcing et les procédures et activités associées
(Andersson et Normann, 2002 ; Selviaridis and Spring, 2010) ou sur les critères de sélection
(Anderson et al., 2011) ou de mesure de la performance du fournisseur (Bagchi and Virum,
1998). Les aspects plus organisationnels et les tendances d’évolution sont peu abordés. Or,
l’arrivée des acheteurs professionnels modifie les frontières intra-organisationnelles et
parallèlement l’évolution du transport dans l’offre client et l’évolution du marché du
transport questionnent la stratégie achats déployée sur cette dépense.
Plusieurs questions de recherche émergent de cette revue de littérature :
Les achats de transport ont connu une évolution forte ces dernières années du fait
de l’internationalisation et de la mondialisation des marchés, de l’externalisation de cette
prestation et de la complexification des flux (approche en juste-à-temps, etc.). Dans ce
contexte, quelles évolutions de fond a subi l’organisation des achats de transport ?
Si les acheteurs professionnels sont de plus en plus présents dans ce type d’achat et
doivent donc interfacer avec les services logistiques historiquement en charge de cette
dépense dans l’entreprise, comment mailler en interne achats et logistique afin d’optimiser
l’achat de transport ? Quelles configurations organisationnelles émergent lorsque les services
achats s’invitent dans le processus d’achats de transport ?
Pour Andersson et Norrmann (2002) atteindre une certaine maturité en matière
d’achat de transport et de prestations logistiques passe par une meilleure segmentation des
besoins et des marchés fournisseurs associés, ainsi que la mise en place de stratégies
différenciées en fonction de chacun des segments et de leurs caractéristiques. Comment cette
évolution se traduit-elle dans les pratiques des entreprises ? Quels sont les critères de
segmentation associés et les stratégies achats déclinées sur chacun de ces segments ?
L’émergence des 3PL et d’autres évolutions sur le marché (bilan carbone, etc.)
modifient le marché du transport et de la logistique, quelles sont les évolutions perçues dans
l’entreprise acheteuse dans le domaine des transports ?
Ces quatre questions de recherche constituent la trame de notre grille de lecture des
pratiques au sein des entreprises interrogées.
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Richard CALVI et Nathalie MERMINOD
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
2. Les achats de transport une réalité multiformes
Afin de répondre aux questions de recherche issues de la revue de littérature, nous
avons choisi de procéder par une approche qualitative par étude de cas. En effet, le caractère
exploratoire de cette recherche nécessite une étude approfondie de situations d’entreprises
différentes. Lathodologie est présentée dans l’encadré n°1.
3.1 Etude de cas Présentation des résultats
Cas 1 : le binômage « logistique /achats de transport» à l’échelle d’un groupe.
Le cas concerne un grand groupe industriel de stature mondiale (130 000 personnes)
réalisant un chiffre d’affaires d’environ 22 milliards d’euros. Les coûts logistiques associés
représentent approximativement 1,5 milliard d’euros.
Historique
Au sein de ce groupe trois grandes périodes de développement de l’organisation des
achats de transport peuvent être observées :
Avant 2003 : il existe des acheteurs « hors production » dans chaque Business Unit qui
traitent des achats des transports, sans être des spécialistes du domaine. Le besoin est
formalisé par le service expéditions et le rôle des achats est principalement administratif.
A partir de 2003 : Les achats de transport et de prestations logistiques deviennent deux
familles d’achats spécifiques auxquelles on dédie des acheteurs. Ces « spécialistes » (on parle
Encadré n°1 :thodologie et guide d’entretiens
Les entreprises sélectionnées pour l’enquête sont de tailles et de secteurs
d’activités différents. Les entretiens ont du entre 1h30 et 3h00 et ont donné
lieu dans certains cas à la remise de documents complémentaires
(organigramme, segmentation achats, cahier des charges type, etc.). Ils ont été
enregistrés, intégralement retranscrits, puis codés et analysés. Les personnes
interrogées étaient toujours celles identifiées dans la structure comme en charge
de la gestion des relations avec les fournisseurs de transport. Le guide
d’entretiens est organisé en six grandes parties : (1) péritre des achats de
transport, historique et enjeux pour l’entreprise, (2) segmentation des achats de
transport, (3) identification et qualification du besoin de transport au sein de
l’entreprise (par qui et comment l’achat est-il défini ?), (4) segmentation du
marché fournisseurs et critères de sélection associés, (5) management de la
relation fournisseurs, (6) évolutions perçues sur le marché.
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Lachat de transport en milieu industriel
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
d’acheteur « leader ») ne s’occupent plus d’une seule Business Unit mais de plusieurs. C’est
la géographie qui limite leur périmètre d’intervention. Ils augmentent leur maîtrise du
processus d’achat en organisant la collecte d’informations sur le besoin pour construire les
appels d’offres. « Ils deviennent aussi les responsables du panel fournisseurs et verrouillent donc
toute décentralisation de ce type d’achats. Ces acheteurs leaders sont à un niveau multi divisionnels
alors que leurs clients internes (les responsables expédition) sont eux dans les usines ». Cette
dissymétrie organisationnelle rend parfois difficile le dialogue entre l’acheteur « leader »
orienté coût à travers le levier de globalisation principalement, et le logisticien, proche des
lieux de production, guidé par la recherche de la meilleure qualité de service local.
A partir de 2007 : un audit pne une réorganisation en profondeur. Deux logiques
président à cette remise en cause de l’existant : a) mieux tenir compte des flux logistiques
actuels qui traversent le groupe et b) mettre sur un même plan des organisations achats et
supply chain pour faciliter leur collaboration.
Organisation actuelle, périmètre sous couverture achats et objectifs associés
Organisation centralisée des achats
Deux types de flux sont mis en évidence dans le groupe (figure 1):
Une supply chain « directe » pour les usines produisant des biens customisés pour
des clients industriels (environ 30% des flux logistiques dans le groupe). Les fournisseurs
livrent directement les usines qui livrent elles-mêmes directement les clients. Les flux avals
sont organisés selon une logique « tirée ». « L’organisation des achats de transport de prestations
logistiques est décentralisée et sous la responsabilité du chargé d’affaires qui achète le transport dans le
cadre dun panel de fournisseurs qui, lui, est défini au niveau du groupe ».
Une supply chain « indirecte » pour les usines produisant des produits standards
référencés (70% des volumes traités). Leur particularité est de passer systématiquement par
un « hub » central avant de servir le client final.
Pour ces flux, souvent réguliers, la valeur ajoutée d’une approche centralisée des achats
simpose comme une évidence. « Sur le périmètre EMEA
9
le groupe a ainsi défini 4 territoires
logistiques bâtis autour d’un stock central par lequel passent tous les produits finis avant leur
livraison aux clients. Sur leur territoire les acheteurs de transport ont un périmètre d’activité qui
couvre toutes les BU du groupe, 100% des flux inter (entre usine et hub ou inter hubs) et environ
30% des transports amont (entre les fournisseurs et les usines)». L’organisation mise en place en
2007 vise à combler le décalage entre une organisation achats globale (acheteur transport par
pays) et une organisation supply chain plutôt locale (un interlocuteur par usine). Il sagit de
9
Europe, Middle Est, Africa
90
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créer un binômage capable de rendre plus performant les choix sur la supply chain à un
niveau global.. « On a deux acteurs dans le transport : on a les organisateurs de transport et les
acheteurs de transport. Face à nous, pour finir les spécifications, définir le besoin, discuter avec les
commerciaux, on a des transport managers, par territoire logistique. Donc à un acheteur correspond
un transport manager. Par exemple sur le territoire logistique France/Italie où j’interviens, mon
interlocuteur direct va discuter avec les forces de vente pour connaître quels sont leurs besoins
logistiques et définir leur cahier des charges.. Une fois qu’il a fait le cahier des charges en commun
avec ses propres clients, il va se retourner vers nous en disant comment est-ce qu’on pond à ces
besoins de transport. Donc nous acheteur, on va avoir à trouver les fournisseurs, négocier et lui faire
des propositions d’organisation, de choix fournisseurs, répondant à son cahier des charges. On va faire
le choix définitif du ou des prestataires en commun, et il va ensuite reprendre la main sur le suivi
qualitatif avec son équipe opérationnelle ».
Terr
Figure 1 : La gestion des achats de transport par « territoire »
Périmètre et segmentation achats
Le transport est géré sur un périmètre international avec une segmentation en deux
familles : « transport domestique » et « transport international ». Dans chacune de ces
familles, la segmentation est ensuite réalisée en fonction de la nature du transport : routier,
aérien, etc. et des besoins sur la rapidité d’expédition et la taille des expéditions (camions
complets, express, messagerie, etc.).
Territoire logistique « x »
Hub
Usines
Hub
Clients
Acheteur transport
30%
100%
100%
%
Transport manager
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Lachat de transport en milieu industriel
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Le transport est considéré par l’entreprise comme un élément de l’offre client
important puisqu’un engagement de livraison dans un délai de 48h est donné par le
commercial en amont. Il est aussi proposé au client un service supplémentaire facturé, celui
d’une livraison en express, dans tout point de la France, le lendemain avant 13h, qui
correspond à 20% du volume transport domestique France, ce qui n’est pas négligeable pour
l’entreprise en termes d’offre client et de facteur de différenciation par rapport à ses
concurrents.
Le poids moyen représenté par le transport dans le coût du produit « si on intègre toute
la chaine logistique plus les coûts de stockage, plus les opérations d’entrepôts et tout ça, on doit être
entre 5 et 6%. La partie transport va représenter entre 2 et 3% ».
Objectifs achats
Trois objectifs achats sont demandés à l’acheteur ; le 1
er
est qualitatif : « assurer le
transport, sans casse et dans le délai qui est convenu » ; le 2
me
est quantitatif : « l’assurer avec un
niveau de coût en baisse de 5% chaque année, à volume constant », et le 3
me
est « de diminuer le
nombre de transporteurs qu’on utilise, de façon assez drastique ».
Panel fournisseur et management des fournisseurs
Le panel fournisseurs de l’entreprise comporte aujourd’hui environ 1 000
transporteurs. L’objectif fixé par la responsable de la supply chain mondiale est de le
rationnaliser pour obtenir un panel d’environ 300 prestataires.
Le panel fournisseurs est segmenté en fonction des différents besoins de l’entreprise et
des compétences proposées par les transporteurs. L’approche est très « technique » puisqu’à
chaque consultation un cahier des charges technique est remis au transporteur afin qu’il côte
sa proposition commerciale. Le marché des transporteurs est perçu comme un marché très
segmenté dans lequel chaque transporteur possède des spécificités et des compétences
propres. Certains marchés sont d’ailleurs des marchés considérés par l’entreprise comme des
oligopoles, comme celui par exemple des monocolistes ou des expressistes. L’exigence
donnée par l’entreprise fait que les compétences attendues sont de trois ordres : être capable
de ramasser correctement, être capable de trier correctement sur la plateforme de départ et
avoir suffisamment de traction pour livrer toute la France, ce qui limite le nombre de
prestataires capables de répondre à ces critères. L’entreprise précise également que son
attractivité dépend fortement du marc auquel elle sadresse. Sur certains marchés, « en
express et en parcel, on est clairement attractifs », sur d’autres marchés le lot par exemple,
l’entreprise est obligée de « raisonner différemment et de globaliser les négociations pour
représenter quelque chose d’attractif vis-à-vis des fournisseurs ». Pour les achats risqués, la
stratégie est « à partir du moment on en a identifié un (fournisseur), de vérifier que ça marche
92
Richard CALVI et Nathalie MERMINOD
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bien et que deuxièmement tout de suite d’en trouver un 2
me
qui est capable de faire et qui est capable
de challenger. On a mis 3 ans à motiver X pour qu’il nous fasse une offre qui soit compétitive ».
Les fournisseurs sont évalués sur leur capacité à atteindre les objectifs fixés en amont, à
savoir le respect du délai, de la qualité des livraisons et des coûts négociés. Un système de
bonus/malus avait été mis en place en 2008/2009 mais il a été abandonné « car on passait
beaucoup de temps nous et eux à vérifier ce qui était véritablement imputable au transporteur et ça
n’avait pas d’impact sur la quali ». Le suivi du respect des délais est réalisé par un indice en
collaboration avec les transporteurs, le OTDT On Time Delivery Transporter.
L’entreprise précise que le changement de fournisseurs n’est pas aisé dans le domaine
du transport parce que « parce qu’il y’a beaucoup d’habitudes qui se prennent et qui sont pas
forcément formalisées ».
Perspectives futures
Parmi les stratégies envisagées par le groupe et malg la recherche de réduction du
panel fournisseurs, l’objectif nest pas de viser une solution logistique complète. Le groupe
travaille déjà avec des prestataires logistiques responsables dentrepôts et le retour
d’expérience est très mitigé. « Le risque dune solution qui est externalisée c’est que, on part bien et
puis après ça névolue plus. […] au bout de trois à cinq ans je dirais la situation n’est pas forcément
favorable ».
Sur le thème du développement durable, lentreprise publie chaque année son bilan
carbone sur l’activité de transport. Elle indique que la recherche dune substituabilité sur le
type de transport est faite mais avec une difficulté forte de faire évoluer l’offre du marc
fournisseur. Elle note par exemple une volonté de faire du frêt par rail mais avec un résultat
très faible puisque seul 0,13% du transport domestique passe par cette solution. De plus,
« clairement aujourdhui, à coût identique et je précise bien à coût identique on ira vers une solution
écologique ». Les critères coût/qualité/délai restent donc les critères majeurs pour ce type
d’achats.
Cas 2 : le contrôle par la maîtrise du panel
Le cas concerne une entreprise familiale à vocation internationale dont le chiffre
d’affaires reste confidentiel. 1 200 personnes travaillent sur 4 sites de production dans le
monde. Le montant relatif aux dépenses d’achats de transport varie d’une année sur l’autre
entre 12 et 15 millions d’euros. Elle fabrique et commercialise des produits et travaille
principalement pour la distribution (généraliste et spécialisée ; 65% de ses flux) ou
directement avec le secteur de la construction (35 % des flux). Ces flux couvrent un territoire
de livraison quasi exclusivement européen et l’entreprise fait appel pour cela à des
transports routiers uniquement. Au final le poste achats de transport est un poste de coût
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Lachat de transport en milieu industriel
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
important, régulièrement classé en 2
ème
position parmi les achats de l’entreprise (environ 20%
du total des achats).
Historique
On peut noter quatre périodes dans l’organisation des achats de transports :
Avant 1997 : les achats de transports sont alisés par les affteurs du groupe (basés
sur chacun des sites de production) qui collectent les besoins de livraisons des clients et
organisent le transport en utilisant des listes de transporteurs et leurs grilles tarifaires.
C’est en 1997 qu’est créé pour la première fois un poste dacheteur de transport.
Rattaché à la fonction logistique, ce dernier formalise des appels doffres pour le marché
fournisseur.
Cependant, en 2003 le constat est fait que le rattachement de l’acheteur de transports à
la logistique ne lui permet pas d’être suffisamment orien sur les achats. « Il faisait beaucoup
trop d’opérationnel. Sans dire qu’il faisait de l’affrètement, il gérait plus des problèmes liés directement
à laffrètement, qu’il ne gérait des achats. Il cherchait des camions, gérait des problématiques de
facturation mais faisait peu au final de consultations ». Le poste est donc intégré au service
Achats alors en pleine restructuration.
En 2008 un audit met en évidence de forts gisements de productivité sur cette famille
d’achats. Le départ à la retraite de la personne occupant ce poste est l’opportunité pour
recruter une nouvelle personne ayant un background d’acheteur industriel sur le poste. Un
consultant extérieur est aussi mobilisé pour monter un appel d’offres sur l’ensemble des flux
de l’entreprise de façon à remettre à plat tous les contrats existants.
Organisation actuelle, périmètre sous couverture achats et objectifs associés
Organisation
L’acheteur transport est rattaché directement au directeur des Achats. Son rôle est de
travailler sur la connaissance du marché fournisseur et la préparation des appels d’offres.
Périmètre et segmentation achats
Le périmètre couvert par les achats correspond à l’ensemble des transports routiers sur
vente sur des gammes de produits aux spécificités très différentes, avec pour l’une d’entre
elle une livraison de produits fragiles sur des lieux parfois difficiles daccès. Le scope achats
couvre également les imports (aérien et maritime) en provenance de l’Asie. Nous nous
focaliserons ici uniquement sur les transports routiers sur vente. Trois catégories de
transport sont gérées : le camion complet, le groupage et la messagerie.
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Richard CALVI et Nathalie MERMINOD
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
La segmentation achats fait apparaitre des natures de transports aux contraintes
différentes demandant d’être gérées chacune spécifiquement. La gestion est très différente
entre les camions complets, pour lesquels la stratégie achats est une stratégie « au mieux
disant » avec mise en concurrence des transporteurs référencés. Pour la messagerie ou le lot,
la stratégie achats est une stratégie de transporteurs déds avec une volonté de
développement de relations privilégiées avec ces derniers. Plus de 50% des flux sont gérés
par camions complets, le reste se répartissant de manière équilibrée entre la messagerie et les
lots. Les prix varient de 1 à 5 entre le camion complet et la messagerie, le lot étant 3 à 4 fois
plus cher que le camion complet.
Objectifs achats
Trois objectifs sont couplés pour cet achat. .Le premier objectif est celui du respect du
délai car il est impératif d’honorer 100% des commandes passées par le client. L’engagement
est de livrer en 48h. La tenue de l’engagement dépend donc des contraintes internes (produit
en stock ou non) et des contraintes de transport (distance entre le produit et le lieu de
livraison demandé). Sur une des gammes de produits, les entreprises livrées imposent un
délai, dans une fenêtre de livraison très précise, à une heure à laquelle le transporteur doit se
présenter au dépôt. Tout retard donne lieu à pénalité. Comme le mentionne également
l’entreprise la pénalité de retard est certes dommageable mais ce qui l’est encore plus est le
fait de ne pas avoir son produit en linéaire. Il est donc impératif de mettre en place un
transport qui corresponde aux engagements commerciaux.
Le deuxième objectif achat est un objectif coût. « Pour lannée 2012 moi j’ai dondes prix
objectifs de transport qui tiennent compte d’une surcharge gasoil (…). Donc en novembre, je donne
par pays, par tranche, toujours basé sur des mètres cube je pense quon va. [] Il ne faut pas que
j’ai des frais de transport qui soient supérieurs à ce que j’ai donnés, sachant qu’après tous les mois
c’est analysé par le contrôle de gestion, par pays, par ligne de partement, par tranche ». L’atteinte
de cet objectif est cependant difficile à mesurer car le choix au sein de l’entreprise de mesurer
le coût du transport au tre cube complique les éléments. En effet, les négociations
fournisseurs peuvent se faire, en fonction du transport, par kilogramme ou par mètre de
plancher linéaire. Il est donc nécessaire de reconstituer, a posteriori, la contribution des
achats au résultat final obtenu.
Le dernier objectif est particulièrement sensible dans le cas des produits fragiles. Il est
relatif à la quali du service assuré et à la livraison du produit sans casse. Il est mesuré en
nombre de réclamations clients.
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Lachat de transport en milieu industriel
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
Panel fournisseur et management des fournisseurs
Le panel fournisseurs est segmenté en fonction de la nature du transport et de la zone
géographique couverte par le transporteur. Pour le camion complet, il comprend une
quarantaine de transporteurs (une vingtaine pour le France). La mise en concurrence est
utilisée et l’entreprise dispose de flexibilité pour sélectionner son prestataire et à tout
moment faire intervenir un nouveau transporteur. Pour la messagerie et le lot, le panel
fournisseur est restreint. Une dizaine d’acteurs sont référencés et la stratégie achats déployée
est celle du long terme et du partenariat. L’objectif des achats est de sécuriser ce panel
fournisseurs en augmentant le nombre des prestataires. Des fournisseurs sont identifiés lors
de salons de transport et démarchés par la suite.
Par ailleurs, un panel fournisseurs a également été constitpour les produits fragiles.
« Il y a une limite dans le matériel. […] on fait intervenir un nombre limide transporteurs et les
barrières à l’entrée je dirais sont élevées ». Les fournisseurs sont audités et accrédités par
l’entreprise. La stratégie est celle de la fidélisation : « On essaye plutôt de fidéliser les
transporteurs et d’être attractifs à leurs yeux en leur assurant un business régulier ».
La définition du besoin seffectue en référence au commercial. Une des spécificités de
l’activité de l’entreprise est sa saisonnalité sur une des gammes de produits. Les prévisions
de charge sont très difficiles à aliser et en pleine saison l’entreprise a besoin de capacités
difficiles à évaluer a priori. Les achats n’ont pas d’influence sur le mode de transport
sélectionné. « Evidemment si on peut éviter de faire de la messagerie on évite mais effectivement c’est
les données commerciales ». La définition du besoin transmise au fournisseur est une définition
très technique du transport à aliser : « On fournit nos statistiques, sur une année, par rapport à
la volumétrie et par rapport à nos destinations, notamment par exemple en messagerie, je donne toutes
les statistiques par partement, parfois par code postal même, on va assez loin et puis le colisage de
chacun des colis et ils cotent ça ». Aucune marge de manœuvre n’est donnée au transporteur.
La sélection des fournisseurs est réalisée sur différents critères : le coût proposé par le
prestataire, sa capacité (nombre de camions minimum et maximum quil peut fournir par
jour) et le délai de livraison annoncé.
Les fournisseurs sont évalués a posteriori principalement sur le respect des délais sur
lesquels ils se sont engagés et sur la quali de service. Un logiciel, le TMS Transport
Management System, permet de mesurer les retards de livraison et le nombre de
réclamations clients. Il est cependant difficile à l’entreprise, malgré le déploiement de cet
outil, de connaitre la cause précise de l’écart et donc à qui il doit être imputé. Les outils
informatiques ne permettent en effet pas de retracer précisément les flux. C’est pour cette
raison, par exemple, que même s’il existe une clause de pénalide retard dans les contrats,
elle n’est qu’exceptionnellement appliquée. « C’est le commercial qui gère les pénalités, et on a du
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Richard CALVI et Nathalie MERMINOD
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
mal à savoir si c’est du à nous, dans le fait du chargement, ou si c’est dû au fournisseur ou à
l’analyse n’est pas faite aujourd’hui ».
Enfin, pour l’entreprise, les différents marchés de transport paraissent relativement
imperméables car chacun des marchés est très spécialisé. Seuls les grands groupes acceptent
de coter sur une offre globale, car la plupart du temps ils possèdent un réseau de sous-
traitance leur permettant de réaliser les différentes prestations. Cependant, cela amène une
perte de flexibilité pour l’entreprise et les spécificités tant de certains produits que de la
saisonnalité d’autres font que la maîtrise de chaque type de transport est cessaire. Il est
clairement établi une différence entre les transporteurs d’un côté et les logisticiens de l’autre.
Le marché du transport est perçu comme un marché relativement stable, même si
comme le note l’entreprise, certains acteurs majeurs disparaissent. Linquiétude est sur
l’évolution du marché de la messagerie qui se raréfie et qui demande des investissements
lourds de la part du fournisseur.
Perspectives futures
Les réseaux de distribution tels que définis par lentreprise conduisent actuellement à
des flux de transport spécifiques par réseau. Or, la plupart du temps, sur un des flux, « les
camions qui partent ne sont jamais complets et reviennent à vide ». Il pourrait être intéressant de
revoir ce flux et de le mutualiser avec un autre flux de distribution aux caractéristiques
proches. Pour cela, le travail en binôme entre supply chain et achats est certes cessaire
mais pas suffisant, le raisonnement étant un raisonnement commercial et entreprise dans sa
globalité. La plus grande difficulté « en interne, cest le changement des habitudes. C’est quelque
chose de très fort mais c’est pas seulement au niveau du transport, c’est sur toutes les familles
achats ». A la question relative au développement durable, l’entreprise mentionne quelle a
réalisé un éco-bilan en 2011. Cependant, aucun objectif n’est à ce jour décliné aux achats
« On a tellement d’autres soucis».
Enfin, sur une des zones géographiques de distribution de produits, l’entreprise réalise
sur l’année 2012/2013 une évolution importante : celle de passer d’une organisation propre
de ses flux, via des transporteurs, à l’achat d’une prestation logistique globale. L’entreprise
souhaite gagner en offre client et être plus réactive dans la réponse à la demande
d’approvisionnement de ses références. Un prestataire a été sélection pour gérer la
prestation logistique dans sa globalité (stockage, picking, etc.). L’objectif visé va bien au-de
de l’objectif de réduction de coût. La réflexion a é menée sur une approche coût complet
ainsi qu’un objectif de cation de valeur sur l’offre client. En effet, les gains attendus sont
une augmentation des parts de marché du fait de délais d’approvisionnement plus courts et
de stocks dédiés pour éviter les ruptures de stocks actuelles. Les coûts de stockage et de
préparation de commandes seront des coûts supplémentaires mais qui devraient être
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Lachat de transport en milieu industriel
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
compensés par la diminution des coûts de transports de messagerie (très élevés) puisque le
point de départ de la marchandise sera proche des clients sur cette zone.
Cas 3 : La professionnalisation « achats » de la fonction supply chain
Le cas concerne la filiale d’une entreprise à vocation internationale réalisant 2 milliards
d’euros de chiffres daffaires en 2012 pour plus de 7 000 salariés. L’offre produit est
commercialisée majoritairement via des distributeurs et un développement croissant est
réalisé depuis quelques années sur la vente en B to C via internet. Les coûts logistiques sont
évalués à 7% du chiffre d’affaires et sont répartis pour 5% dans les activités de stockage et
2% dans le coût des transports. Le périmètre de ces derniers représente les flux « inbound »
(usines vers stocks) et « outbound » (distribution vers les clients).
Historique
On peut schématiquement noter deux étapes dans l’organisation des achats de
transport et de logistique.
Avant 2007 : L’ « expert logistique », au sein de l’entiDirection de la Logistique avait
une complète autonomie pour définir et acheter le transport et la logistique au sein de
l’entreprise.
Depuis 2007 : Au rachat de l’entreprise par un nouveau groupe, l’organisation des flux
logistiques est devenu mondiale et multimarques et dépend désormais d’une direction
Distribution & Transport elle-même rattachée à la direction Supply Chain du groupe.
Organisation actuelle, périmètre sous couverture achats et objectifs associés
Organisation
Les flux sont séparés, pour chaque entité, en flux « inbound » et « outbound ». Les
premiers sont gérés au niveau mondial et concernent principalement des flux aériens et
maritimes destinés à approvisionner en produits finis les différents stocks centraux du
groupe (plus de 40 dans le monde). Les flux « outbound » sont eux gérés au niveau
continental (il y a 3 « régions » définies) et concernent des flux « routiers » vers les clients,
principalement par camions complets. C’est à ces derniers que nous nous intéressons.
Le processus d’achat sur ces flux « outbound » échappe complètement à la fonction
Achats. Il sorganise autour de deux niveaux : (a) un niveau « opérationnel » avec des
affréteurs en charge de la relation au jour le jour avec les transporteurs et essayant de
satisfaire le besoins des commerciaux. Ils se chargent aussi de la négociation avec les
transporteurs et dépendent de la Supply Chain. ; (b) un niveau « expert logistique » qui
standardise les process logistiques dans le groupe et travaille sur des projets de
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Richard CALVI et Nathalie MERMINOD
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
rationalisation des flux avec les clients. « Nos clients sont des distributeurs qui ont une maturité
logistique forte. Avec eux la négociation commerciale « prix » est âpre mais ils sont toujours prêts à
coopérer pour améliorer les coûts logistiques liés à leurs achats. Ils veulent donc en face des experts
logistiques pour améliorer les processus et gagner de l’argent »
Périmètre et segmentation achats
Les flux logistiques sont partagés en quatre groupes : la partie inbound, la partie
entrepôt, la partie outbound et la partie douane. Pour la partie transport terrestre, la
préférence est aux camions complets, qui représentent la très grande majorité des flux.
L’achat réalisé peut être classique ou demander une adaptation (comme par exemple un
double conducteur) lorsque le flux doit être accéléré. Il existe d’autres types de flux en
fonction du besoin spécifique de livraison, comme par exemple le camion complet avec
livraison en palettes des différents clients. Il existe enfin une dernière cagorie de flux, qui
est celle des collisistes qui correspond principalement aux livraisons en B to C.
La définition du besoin est réalisée de manière très précise en interne, « on va identifier
nous les services quon va demander aux transporteurs, on va identifier nos volumes et à ce moment-là
on va faire un appel d’offres ». L’appel doffres est ensuite adressé au panel fournisseur
référencé.
Objectifs achats
L’indicateur financier (mesuré le plus souvent dans l’entreprise par le ratio du coût du
transport par rapport au chiffre d’affaires) est prédominant. Il est relativisé par rapport au
type de transport et à la situation géopolitique internationale. Sur le transport maritime, par
exemple, les fluctuations dactivités depuis cinq ans sont très fortes. Il est donc difficile
d’établir des objectifs achats précis et de les respecter.
Un autre objectif est donné, celui du respect des lais, traduit en taux de service client.
Les produits vendus suivent une saisonnalité forte et sont soumis à des réassorts en fonction
des consommations réelles des consommateurs. La disponibilité des produits est donc un
élément crucial pour l’entreprise. Les engagements pris auprès des clients sont fermes et
doivent être respectés selon un calendrier de livraison arrêté en commun.
Le troisième objectif est celui de la rationalisation du panel fournisseurs. « D’un côté ça leur
permet de massifier, ils ont un volume et on obtient des tarifs plus bas. Et nous on a de plus en plus
quelque chose qui est sous contrôle, qui est verrouillé et qui est maitri ».
Panel fournisseur et management des fournisseurs
La constitution du panel repose sur les segmentations achats présentées
précédemment. Pour la partie France, pour chacune des catégories un double ou un triple
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Lachat de transport en milieu industriel
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
sourcing est choisi. L’objectif est de sécuriser les approvisionnements tout en bénéficiant
d’une globalisation la plus importante possible des achats.
Le management des fournisseurs repose sur la volonté d’établir des relations à long
terme avec le fournisseur et de négocier au mieux le contrat sur le triptyque
coût/qualité/délai.
Perspectives futures
Une des évolutions attendue de l’entreprise dans le domaine du transport est la
rationalisation du panel sur le plan européen. « La tendance de plus en plus sur l’avenir, c’est
véritablement de diminuer le nombre de prestataires, pour véritablement travailler de manière
beaucoup plus intime avec des prestataires sur lesquels on a confiance et de limiter le nombre
d’interlocuteurs ».
Une des attentes de l’entreprise au niveau européen est d’avoir des tarifs plus lissés.
« Par exemple en Allemagne on a tendance à standardiser et à avoir un tarif par exemple au colis. Et
en France on va avoir des tarifs au département ». La volonté est de pouvoir simplifier les tarifs.
Enfin, une attente réside également sur la créativité du marché fournisseurs. Il est à
noter que les fournisseurs ne challengent pas assez le cahier des charges et ne réalisent pas
de proposition particulière par rapport à ce dernier. Comme l’indique l’entreprise « ce qui se
passe dans le réseau du transporteur, nous finalement ça ne nous gêne pas, l’important c’est qu’il nous
respecte le délai. […] On aimerait avoir un petit peu plus de créativité venant d’eux ».
3.2 Discussion
La lecture de ces trois cas fait apparaître différentes trajectoires dans l’approche du
management des achats de transport. Les choix d’organisation sont issus d’une histoire et
correspondent à l’évolution des stratégies de lentreprise. Sur le plan organisationnel, deux
orientations existent qui illustrent le célèbre dilemme « différenciation/ intégration »
(Lawrence et Lorsch, 1967). Tout d’abord, face à la complexité accrue du marché fournisseurs
et la volonté de maîtriser (voir diminuer) les coûts de transport, les trois entreprises ont
spécialisé des acteurs dans le rôle dinterface avec l’environnement des prestataires. Là où au
sein de l’entreprise les logisticiens assuraient la totali du processus achats, allant de la
définition du besoin à la sélection des fournisseurs et le pilotage de la demande, des acteurs
ont été spécialisés dans le management de ces achats et de la relation fournisseurs associée.
On trouve trace aussi dans deux cas de processus « d’intégration » visant à assurer une
étroite collaboration entre les fonctions « achats » et « supply chain ». Ce « binômage » qu’il
soit formalisé (cas n°1) ou plus informel (cas 2), est une clé de réussite de ce type d’achats
puisque la compréhension du besoin et le pilotage des flux reste du ressort de la logistique.
Les acheteurs sont présents pour challenger ce besoin ou proposer des approches nouvelles
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Richard CALVI et Nathalie MERMINOD
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
correspondant aux évolutions d’un marché fournisseur souvent qualifié par les acteurs de
très « technique »
10
. Il semble aussi que le centre de gravité du pouvoir décisionnel sur
l’achat de transport penche vers les fonctions logistiques chaque fois que les exigences du
client final en la matière sont fortes et spécifiques. Ainsi les entreprises des cas 2 et 3, qui sont
confrontées sur leur marché client à des distributeurs spécialisés, très sensibles à la valeur
des prestations logistiques associées aux produits, se doivent de privilégier la voix du
logisticien dans les choix de transports sur ventes. L’entreprise du cas 1, confrontée à une
clientèle plus diffuse, a plus de latitude pour imposer ses choix de transports et privilégier la
voix des Achats dans la construction dune offre standardisée.
Sur le plan de la définition des achats de transport, les entreprises interrogées
témoignent d’une approche « technique » de leur appel d’offres, alors même que certaines
d’entre elles notent que les fournisseurs ne sont pas assez catifs. Elles segmentent toutes
leur panel fournisseurs en fonction du type de transport acheté, du délai d’expédition
attendu et de la zone géographique couverte, ce qui correspond au marché des transporteurs
aujourd’hui. Les stratégies d’achats déployées sont spécifiques à la nature de l’achat alisé
et à la nature du marché fournisseur, dans la lignée de l’approche de Kraljic (1983). Plus un
achat est considéré comme « simple » (peu risqué et au montant faible) dans l’entreprise et
acheté sur un marché fournisseur dit « commercial » (nombreux fournisseurs avec une
substituabilité de l’offre forte), et plus la mise en concurrence est un levier utilisé. A
contrario, plus l’achat est risqué (spécifique et à montant élevé) et le marché fournisseur dit
« turbulent » (peu doffreurs et substituabilité faible de l’offre), plus le partenariat sera la
stratégie mobilisée. L’existence de stratégies différenciées en la matière est conforme aux
indications de Andersson et Norrman (2002). Pour ces derniers, les évolutions évoquées dans
le marc du transport (globalisation accrue, externalisation et différenciation par la
logistique) doivent induire une singularisation des stratégies dachats de transport de
manière à mettre en place les bons leviers associés aux caractéristiques du segment de
marché.
Il est à noter également que la tendance à la globalisation de la logistique (et donc à
l’externalisation plus complète des flux et de leurs gestions) n’est pas suivie par les
entreprises qui se sont efforcées doptimiser leur organisation interne en termes de supply
chain (cas 1 et cas 3). Cela leur permet de conserver la maitrise organisationnelle de cette
logistique. Pour d’autres, moins matures, leur développement stratégique vers de nouvelles
zones géographiques les invitent à choisir une solution plus globale afin d’optimiser leur
transport sans pour autant investir dans un développement logistique interne (cas n°2). La
chaîne logistique reste encore à ce jour dans deux cas insuffisamment maîtrisée. En effet, la
10
Ce terme est souvent assocau marché des transports par les acteurs qui en ont la charge car ce dernier cumule beaucoup de zones de tensions qui rendent sa maitrise
complexe : évolutions technologiques, règlementaires mais aussi une rapide reconfiguration des chaînes de valeur du secteur qui modifie souvent le périmètre d’activité
des acteurs.
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Lachat de transport en milieu industriel
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
traçabilité du transport n’est pas complète pour les cas 1 et 2 puisque les entreprises
concernées ont du mal à identifier ce qui est de leur ressort ou du ressort du transporteur
lors d’une défaillance. Plusieurs causes sont identifiées : un système d’information non
performant, un besoin émis ou une réclamation client non précis, etc. Il peut être délicat dans
ce cas-là de demander au fournisseur des améliorations lorsque la cause de la défaillance ne
permet pas de savoir ce qui doit être amélioré et à quel niveau dans le transport
(chargement, transport stricto sensu, déchargement, etc.).
Enfin, un élément semble rester en suspens dans les entreprises alors même qu’il
apparaît important voire crucial dans le développement stratégique de ces dernières, celui
du lien entre la fonction commerciale et les achats sur la probmatique des achats de
transport. Aujourd’hui, dans les différentes organisations, le commercial définit son offre
dans laquelle est inclue la livraison. Or, cet élément de l’offre est ou devient un facteur
différenciant sur le marché client (voire s’il n’est pas maîtrisé destructeur dimage).
Cependant, dans les entreprises interrogées tout laisse à supposer que le commercial n’est
pas, au moment de la définition de l’offre au client, en lien direct avec les capacités du
marché fournisseurs. Le commercial transmet son besoin à la logistique, l’affréteur, qui
cherche à répondre du mieux possible à l’offre faite au client. Or, si l’entreprise ne parvient
pas à répondre à l’engagement commercialalisé, elle risque au mieux de diminuer sa
marge sur vente (en mettant en place un flux logistique plus coûteux), au pire de décevoir
son client (retard de livraison) voire de diminuer son chiffre d’affaires (produit non
disponible en linéaire). Si lentreprise souhaite renforcer sa création de valeur il semble
fondamental que plus de transversalité se crée en amont même de la création de l’offre client.
La proposition commerciale bénéficiera ainsi de l’expertise de chacune des parties prenantes
dans le transport final, à savoir les achats sur le plan de la connaissance et la meilleure
sélection possible de l’offre fournisseurs, la logistique sur le plan de l’optimisation des flux et
le commercial sur une proposition vers le client en respect de ses besoins et la capacité de
l’entreprise à y répondre. Les achats rempliraient alors pleinement leur rôle de contributeur à
la création de valeur car ils pourraient, en interaction avec les autres fonctions de
l’entreprise, proposer via le marché fournisseurs, une réponse adaptée au besoin spécifique
du client final. Les achats de transport vont donc bien au-delà d’un achat d’une capacité de
traction et deviennent partie intégrante de la satisfaction du client final. A l’heure où la
notion de service devient centrale pour bon nombre d’entreprises, passant souvent par une
réactivité accrue à la demande, travailler en mode projet sur la question du transport entre
commercial/logistique et achats semble une c pour collaborer mieux avec les fournisseurs
et se positionner ainsi mieux sur le marché.
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Richard CALVI et Nathalie MERMINOD
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
3. Conclusion
Les achats de transport ont fortement évolué depuis une vingtaine d’années dans les
entreprises du fait de la mondialisation des marchés et du poids croissant de la prestation de
transport dans les stratégies d’offre. En parallèle l’externalisation de ce service a été massive
dans les entreprises et par conséquent sa maîtrise est devenue une problématique à portée
stratégique. En corollaire, la professionnalisation de ces achats s’est développée depuis une
dizaine d’années en prenant, comme nous avons pu le constater à travers nos trois études de
cas, des formes organisationnelles différentes, allant du binômage fort entre achats et
logistique, à la maîtrise du panel fournisseur ou encore à la professionnalisation des
logisticiens dans le contle du processus achats et de ses outils associés (cahiers de charges,
leviers de gociation, etc.). Nos observations montrent que le management de cette famille
achats reste assez proche dun cas à l’autre ce qui laisse supposer un marché fournisseur
mature et segmenté. Sur ces segments, un continuum de stratégies, entre la mise en
concurrence et le partenariat, a été mis en place.
Sur le plan managérial, les interfaces entre les achats et la logistique ont subi, à la
lecture des cas, plusieurs étapes et semblent avoir atteint un stade de bonne maîtrise de la
communication entre ces deux fonctions de l’entreprise. Ce qui l’est moins reste la maitrise
de la chaîne logistique dans sa globalité, à savoir ce qui se passe effectivement tout au long
du processus de transport. Un paradoxe apparaît au sein des entreprises de notre
échantillon : celui de la manière de formaliser le besoin achats et de le transmettre au marché
fournisseurs, via un cahier des charges toujours technique, alors même que dans certains cas
l’entreprise dit attendre de la part de son fournisseur une ponse créative. Si depuis une
dizaine d’années les problématique de co développement semblent largement diffusées dans
le monde des achats industriels (Calvi 2000), la prise en main récente des fonctions achats sur
la famille « transport » semble au contraire limiter la voix du fournisseur dans la
spécification du besoin. Notre étude, centrée sur les acteurs « Achats », ne permet pas de
pousser plus avant l’analyse. Cette recherche ouvre deux perspectives : la première, interne à
l’entreprise, de larticulation entre marketing, logistique et achats sur l’offre transport faite
au client final. La seconde, au niveau du marché fournisseur sur la question d’une définition
de leur offre qui soit à la fois créatrice de valeur mais aussi perçue comme telle dans ce
nouveau contexte organisationnel des achats de transport élaborée par ces mêmes clients.
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Lachat de transport en milieu industriel
©Revue Française de Gestion Industrielle - Vol. 33, N° 1
Remerciements
Nous tenon à remercier Marie José Avenier (Directeur de recherche CNRS) et Marielle
Bloch Dolande (présidente de Beauvais International) pour leur soutien et la qualide leurs
échanges dans la phase de démarrage de cette recherche
4. Bibliographie
Andersson D., Norrman A. (2002), “Procurement of logistics services: a minute’s work or a multi-year
project?”, European Journal of Purchasing and Supply Management, n°8, pp.3-14
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transport? Les Cahiers Scientifiques du Transport, . 54, pp. 73-100
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