Supply Chain Collaborative : revue de littérature des attributs de caractérisation des relations dyadiques

Ridha DERROUICHE*, Gilles NEUBERT**

Résumé. – L’analyse et la caractérisation des relations qui se sont développées dans les chaînes logistiques collaboratives font l’objet d’une littérature abondante. Nous proposons dans cet article une analyse détaillée et pluridisciplinaire des principaux travaux de recherche dans ce domaine. Nous abordons cette littérature de deux manières complémentaires. Tout d’abord, nous l’analysons par rapport aux cadres et approches proposés en nous intéressant plus particulièrement à la problématique traitée, aux attributs utilisés, au contexte d’application, ainsi qu’aux principaux résultats et à la méthodologie adoptée. Ensuite, nous proposons un focus par rapport à chacun des attributs identifiés dans la littérature en explorant,  sa définition, son domaine d’utilisation et les différents travaux qui l’ont utilisé. Enfin, en nous basant sur cette étude, nous proposons une première ébauche d’un cadre d’analyse et de caractérisation des relations dyadiques, basé sur la création de valeur.

Mots clés : Chaîne Logistique; collaboration ; relation ; création de valeur

 

 

1.     Introduction

Depuis le début des années 1990, la collaboration interentreprises ne cesse d’augmenter, donnant naissance à de nouvelles formes d’organisations. Les entreprises se rendent compte que l’unité de compétition n’est plus limitée aux frontières de leur organisation, mais étendue à la chaîne logistique dans son ensemble. Face à cette prise de conscience, leur réaction a été de traiter différemment leurs partenaires, en mettant en place de nouvelles formes d’interaction : la compétition cède la place à diverses formes de collaboration  et la vision fonctionnelle et hiérarchique de l’entreprise tend à être remplacée par une vision transversale, axée sur la qualité des relations entre les acteurs.

Ces relations dyadiques constituent un objet multidimensionnel qui doit être appréhendé suivant ses différentes facettes. Même si la standardisation tend à introduire des « best practices », il n’existe pas une manière unique de coordonner et de piloter les relations : pour assurer la réalisation des objectifs fixés plusieurs mécanismes de coordination peuvent être mis en œuvre. La définition de ces différents mécanismes et les dimensions qui expliquent la réussite ou non d’une relation ont fait l’objet de nombreux travaux. C’est dans ce contexte que s’inscrit cet article, en abordant la problématique suivante : dans une chaîne logistique, comment une entreprise construit-elle ses relations avec ses partenaires, et comment ses relations peuvent être analysées ?

Une revue de la littérature académique et des études portant sur la collaboration intra et inter-entreprises (Derrouiche R. et al., 10 et 08), nous a permis de constater de nombreuses différences dans les attributs utilisés pour caractériser un même type de relation. Par exemple le degré de dépendance entre deux partenaires (Crowston, 94), ou le degré de partage d’information (Lee et al., 97), peuvent être utilisés pour caractériser la relation entre une entreprise et son principal fournisseur. Dans cet article, nous proposons une analyse fine pluridisciplinaire portant sur l’ensemble des attributs identifiés dans la littérature pour caractériser les relations entre partenaires. Pour chacun de ces attributs, nous analysons, sa définition, son domaine d’application  et les différents travaux qui l’ont utilisé.

2.     Contexte : Supply Chain Collaborative

Depuis le début des années 70, la question de la collaboration est devenue un thème important dans la littérature, et ce dans plusieurs disciplines (gestion, économie, sociologie, informatique, etc.). Les phénomènes de formation d’organisations réticulaires, les accords interentreprises donnent naissance à un vaste champ d’analyse des relations collaboratives.

Plusieurs définitions ont été suggérées pour le concept « collaboration ». par exemple, (Simatupang et Sridharan, 05) expliquent que c’est quand « deux (ou plusieurs) organisations indépendantes travaillent conjointement à la planification et l’exécution des opérations de création de valeur, générant ainsi plus de succès que si elles travaillaient de manière isolée ». Afin de mieux spécifier et situer la collaboration, nous présentons le cadre de (Crow, 02) dans la figure suivante (Figure 1).

 

[Insérer Figure 1]

 

Ce modèle basé sur deux critères, « le degré de la coopération » et « le degré d’adhésion » montre que la collaboration est la seule stratégie « Gagnant-Gagnant » qui permet un profit aux deux partenaires de la relation. Ainsi, dans toutes les autres configurations, le gain réalisé par une entreprise se fait au détriment de l’autre.

De la même manière, (Tuomela, 00) s’intéresse à l’étude d’une relation entre individus et les différents modes de pilotage en fonction de la compatibilité des buts, de leur  complémentarité et de l’assistance mutuelle qui peut exister entre les acteurs. Si deux organisations ont des « buts incompatibles », alors la relation est dite compétitive (Frayret et al., 03). Nous proposons à partir de ces travaux une synthèse des quatre modes de pilotage (Figure 2):

 

[Insérer Figure 2]

 

Notre conclusion est qu’une relation est une interaction collaborative si les buts des partenaires sont complémentaires et qu’il y a un engagement sur le long terme des parties à s’assister mutuellement. L’intensité de la collaboration peut, quant à elle, être variable et s’étendre sur une échelle allant du simple échange d’informations, à une forme plus aboutie de partage des expériences, des risques et des bénéfices. Certains partenaires collaborent afin de mieux comprendre les attentes du consommateur. Ils développent en binôme de nouvelles gammes ou de nouvelles offres commerciales après avoir analysé, en amont, le comportement du consommateur: par exemple Best Buy, l’enseigne américaine de vente de matériel électronique grand public, s’est associée à Toshiba pour mieux comprendre les attentes des acheteurs de lecteurs DVD portable. Ils se sont rendu compte que leurs clients sont majoritairement des parents qui achètent pour leurs enfants : ils cherchent avant tout la robustesse et la solidité pour diminuer le risque de casse par leurs enfants. Parce qu’elles ont des buts complémentaires, ces deux entreprises se sont engagées sur le long terme en co-développant une gamme de produits ultra-résistants, équipés de protection, d’élément antidérapant, qui a permis  de développer leur chiffre d’affaires (Baqué S., 2012)

Diverses méthodes reposant sur des processus collaboratifs ont été élaborées et mises en place par les entreprises au sein de leur supply chain. Nous pouvons citer ici les plus connues :

· Quick Response-QR;

· Efficient Consumer Response-ECR;

· Cross-docking; ;

· Vendor Managed Inventory-VMI ou Gestion Partagée des Approvisionnements (GPA);

· Collaborative Planning, Forecasting, and Replenishment-CPFR;

· Centres de Consolidation et de Collaboration-CCC ;

· Collaborative Transport Management-CTM ;

· Entrepôt Mutualisé de Co-localisation Aval- EMCA ;

· Gestion Mutualisée des Approvisionnement- GMA ;

· etc.

 Par exemple, la GMA garde les principes de la GPA en intégrant une collaboration multi-industriels pour servir de façon commune le distributeur. C’est un mécanisme organisé par plusieurs fournisseurs d'un même territoire pour regrouper leurs livraisons vers une même destination (PIPAM, 2011). Cependant, les clients doivent être identiques et les produits compatibles et ce, en toute confidentialité, concurrence oblige. Les exemples : Hecore (Henkel, Reckitt-Benckiser et Colgate mis en œuvre par Kuehne et Nagel sur le site de Savigny-le-Tempe et sur delui de Saint-Quentin-Fallavier), Sara Lee et Cadbury (opéré par IPS Europ), Lustucru, Heinz, Banania, (avec pour prestataire FM Logistics), entre autres, sont les plus connus mais ne concernent que des «grand» industriels aux volumes importants. Souvent, le prestataire logistique joue un rôle de facilitateur (Solard G., 2008).

3.     Attributs de caractérisation des relations Intra et Inter-Entreprises

Une analyse fine portant sur plus de 120 travaux de différents domaines nous a permis de recenser une cinquantaine d’attributs utilisés dans la littérature pour caractériser les différents types de relations entre partenaires (Derrouiche R., 07). Dans la suite de cet article, nous détaillerons les attributs que nous jugeons les plus pertinents comme :

· Le degré de confiance entre partenaires ;

· Le pouvoir exercé au sein de la relation;

· L’intensité des conflits et leur résolution ;

· Le contrôle; l’interdépendance entre partenaires ;

 

3.1. La confiance en tant qu’attribut de caractérisation

La confiance a largement mobilisé les chercheurs en sociologie (Uzzi, 97), en économie (Williamson, 91), en gestion (Ring et Van de Ven 94), en marketing relationnel (Anderson et Narus, 90) et (Ganesan, 94), mais aussi en système d’information et en informatique (Payton, 00). La confiance est considérée comme une alternative au mécanisme de contrôle dans les relations interentreprises. Une fois établie, cette confiance stabilise les relations d’échange qui à leur tour augmentent les chances de son développement (Ring et Van de Ven, 94). La confiance permet de rendre les relations interentreprises plus efficaces en réduisant l’opportunisme et en consolidant la coopération d’une manière qui n’existe pas dans les contrats formels (Morgan et Hunt, 94). La confiance est alors considérée comme une composante essentielle de la collaboration interentreprises (Ring et Van de Ven, 94) et un mécanisme incontournable dans l’analyse des échanges (Macneil, 00). (Williamson, 91) précise que la littérature montre que la confiance a un rôle important dans la création de valeurs et dans l’intensification de la collaboration interentreprises. Dans la même ligne, (Jeffries, 00) a suggéré que la confiance entre les membres une relation puisse être consolidée à travers le partage de valeurs et la communication. La confiance est utilisée dans plusieurs travaux et dans des secteurs d’activités différents. Le tableau ci-dessous nous permet de rassembler les différents travaux sur ce sujet, leur contexte et les manières d’évaluer/mesurer la confiance interentreprises.

 

[Insérer Tableau 1]

 

Comme le décrit (Badoc I., 2012), afin d’améliorer son service client, réduire des coûts logistiques ainsi que ses émissions de CO2, Pepsico a choisi, en 2009, de collaborer et de faire confiance à ses partenaires en quatre étapes.

1.       La première en plaçant son outil de production sur un site d’embouteillage travaillant avec d’autres acteurs du secteur au plus près de ses clients.

2.       La seconde, en partageant l’entreposage avec certains de ses concurrents.

3.       La troisième en GMA (Gestion Mutualisée des Approvisionnement) avec les produits MDD (marques de distributeurs) de Refresco.

4.       Et enfin, en mutualisant le transport avec d’autres partenaires vers son réseau GMS, Hard Discount, Hors Domicile et à l’export.

Résultats : une baisse des stocks de 50%, deux tonnes de CO2 économisées, 80% des flux directs usine, soit un retour sur investissement de six mois. La société s’est attelée ensuite à mettre en place un outil de planification de production avec ses fournisseurs.

3.2 Le pouvoir en tant qu’attribut de caractérisation

Le pouvoir est un concept fondamental en sciences sociales (Cox, 01) qui peut être défini comme: « une relation d’échange réciproque mais où les termes de l’échange sont plus favorables à l’une des parties en présence. C’est un rapport de force dont l’un peut retirer davantage que l’autre mais où également l’un n’est jamais totalement démuni face à l’autre» (Crozier et Freidberg, 77). (Dahl, 57) avait défini le pouvoir comme étant : «(…) la capacité d’un individu ou d’une institution à forcer une autre institution ou agent à adopter un comportement que cet agent n’aurait pas choisi spontanément ». Ces définitions soulignent le caractère ambigu de cet attribut dans un cadre collaboratif, car comme l’indique (Pfeffer, 81), le pouvoir est un concept critique qui peut mener au « succès » dans l’organisation tant qu’il n’est pas «institutionnalisé».

(Sohier, 97) a proposé une différenciation entre deux visions du pouvoir : Le pouvoir attribué et le pouvoir auto-perçu. Enfin, une controverse subsiste quant aux différentes manières de mesurer le pouvoir (Lusch et Brown, 96) (Etgar, 76). Cette mesure peut se faire soit de manière directe, comme par exemple la capacité d’un client à imposer des choix à son fournisseur, soit de manière indirecte comme par exemple le poids du chiffre d’affaires du client dans le chiffre d’affaires total du fournisseur. Le tableau ci-après résume les différents travaux, leur contexte et les indicateurs, directs ou indirects, permettant d’évaluer le pouvoir inter-entreprises.

 

[Insérer Tableau 2]

 

Comme le relate Xavier Perraudin, Directeur supply chain de Benedicta, dans l’expérience des trois fabricants que sont Benedicta, Nutrimaine et Pastacorp avec Carrefour, « la société a du trier ses compagnons de collaboration sur le volet. Etant une société moyenne, il aurait par exemple été difficile d’envisager une relation de même type avec un grand groupe. Quand on partage les mêmes problèmes, on partage également les mêmes solutions et les moyens d’y arriver » (propos rapportés dans Solard G., 2008).

Pour conclure, le pouvoir est un concept fondamental dans la caractérisation des relations dyadiques. Il est souvent traité dans la littérature comme un élément de dégradation de la relation car il peut mener à la cessation d’une relation dans le cas d’une situation fortement conflictuelle. C’est pourquoi, nous considérons qu’une relation dans laquelle le pouvoir est équitablement partagé est caractérisée par une plus grande stabilité, nécessaire au développement d’une situation collaborative.

3.3 Le conflit en tant qu’attribut de caractérisation

Le conflit est très peu utilisé dans les sciences pour l’ingénieur (SPI) mais il est largement utilisé dans les sciences humaines et sociales (SHS). Il est décrit dans la littérature, tantôt comme un état, tantôt comme un processus. Dans les deux situations, le conflit porte sur des divergences et (Heide et John, 90) le considèrent comme une confrontation entre des acteurs interdépendants ayant des objectifs et des valeurs opposées. Plusieurs travaux ont développé la réflexion autour de ce terme dont nous proposons une synthèse dans le Tableau 3. Elle s’appuie sur les principaux attributs liés au conflit : ces causes, son intensité, sa résolution et ses conséquences.

 

[Insérer Tableau 3]

 

 

3.4 Le contrôle en tant qu’attribut de caractérisation

Parce qu’il n’y a pas de hiérarchie organisationnelle comme c’est le cas dans les relations intra-entreprise, le contrôle dans les relations interentreprises est de nature différente.  (McNeilly et Russ, 92) considèrent cet attribut comme un ensemble d’actions effectuées par les organisations d’une dyade pour vérifier que les règles et procédures sont bien respectées. Poursuivant la réflexion, (Grandori, 97) soutient que les procédures de surveillance et de contrôle s’établissent sur le degré auquel la conformité au contrat a été respectée.  Le tableau ci-dessous résume quelques travaux et leur manière de caractériser le contrôle.

 

[Insérer Tableau 4]

 

3.5 L’interdépendance en tant qu’attribut de caractérisation

Plusieurs auteurs désignent l’interdépendance comme un attribut fondamental qui caractérise le flux de l’activité inter-entreprise. La dépendance peut être vue comme le poids d’un acteur sur le résultat d’un autre acteur dans le cadre de l’échange ou du partage d’une ressource (Thompson, 67). Il rajoute que l’interdépendance de la tâche est «l’étendue à laquelle les unités (organisations) sont dépendantes les unes par rapport aux autres pour réaliser leurs tâches». En s’appuyant sur les travaux de (Thompson, 67), (Malone et Crowston, 93) ont développé l’idée qu’une situation de dépendance est une relation entre Activités et Ressources. Cette vision est ensuite reprise dans (Crowston, 94) et (Maloni et Benton, 00) pour proposer une typologie de la dépendance : l’interdépendance peut être de type commune ou partagée, séquentielle et réciproque. Le tableau 5, propose une synthèse des travaux portant sur la caractérisation et l’évaluation de l’interdépendance.

 

[Insérer Tableau 5]

 

L‘analyse de ces travaux montre que la (inter)dépendance est un attribut incontournable dans l’analyse et la caractérisation des relations entre partenaires. En général, plus on tend vers une interdépendance réciproque, plus les mécanismes de coordination sont complexes et génèrent d’importantes implications sur la communication et ses moyens.

3.6 L’échange et le partage d’information en tant qu’attribut de caractérisation

De très nombreuses informations, de nature différente, sont susceptibles d’être partagées entre les acteurs d’une même chaîne logistique. Nous distinguons d’une part les informations « aval » qui sont échangées par l’entreprise avec des entreprises plus proches de la demande ou des clients finaux, et d’autre part les informations « amont » qui résultent des échanges avec les fournisseurs qui se situent à l’amont de la chaîne par rapport à l’entreprise étudiée. En plus des informations échangées ou partagées, chaque acteur possède de l’information privée, qui lui est propre, et qui conduit à une asymétrie de l’information (Simatupang et Sridharan, 05 et 01) : les différents acteurs de la chaîne logistique n’ont pas le même niveau d’information. L’incertitude sur la demande est un bon exemple qui illustre l’importance de partager des informations privées pour améliorer les performances dans la chaine logistique. La connaissance des prévisions de ventes et l’augmentation de leur fiabilité constituent une information capitale pour l’optimisation des programmes de production des entreprises. Comme le montre le bullwhip effect, l'asymétrie d’information sur ce sujet entre les partenaires d’une chaîne logistique peut conduire à une forte dégradation des performances de la chaine, même lorsque le niveau de variation de la demande finale est faible. L’utilisation de cet attribut se fait de manière différente selon le contexte d’application (Tableau 6).

 

[Insérer Tableau 6]

 

La transformation d'information privée en information partagée constitue un point essentiel dans l’établissement de relations collaboratives. Le partage d’information est ainsi utilisé comme attribut de caractérisation dans la majorité des travaux de recherches, mais reste encore difficile à organiser dans les entreprises en raison du risque associé. Xavier Perraudin (Directeur supply chain de Benedicta) explique dans (Solard G., 2008) pourquoi dans son expérience avec Nutrimaine, Pastacorp et Carrefour ce partage a été facilité : « Nous n’avons pas eu de freins pour échanger des données dans la mesure où nous n’étions pas concurrents. Aujourd’hui, on cherche à développer encore cette collaboration, »

3.7 Le cycle de vie d’une relation inter-entreprises

La plupart des travaux sur l’analyse et la caractérisation des relations ne traitent pas la relation comme phénomène qui évolue dans le temps à travers un cycle de vie. (Anderson, 95) souligne la difficulté de réaliser une recherche longitudinale, ce qui explique que le contexte temps soit très souvent absent des travaux pour des raisons pratiques. Cependant,   (Dwyer et al., 87) et plus récemment (Jap et Anderson, 03), montrent qu’une relation n’est pas stable, et qu’elle passe par différentes étapes. Ils décrivent que toute relation évolue à travers cinq phases : la prise de conscience, l’exploration, l’expansion, l’engagement et la dissolution (Tableau 7).

 

[Insérer Tableau 7]

 

Le concept de cycle de vie permet d’appréhender la nature et la situation de la relation à un moment donné. Il permet de lire une relation d’échange comme un «phénomène dynamique qui évolue dans sa composition et sa nature à mesure que le temps avance » (Jap et Anderson, 03).

Dans leur recherche sur l’efficacité du contrat, des normes relationnelles et des investissements spécifiques, (Jap et Ganesan, 00) utilisent les différentes étapes du cycle de vie de la relation pour valider l’hypothèse selon laquelle les mêmes mécanismes de contrôle peuvent avoir des effets différents sur la performance de la relation selon l’état de cette dernière. Pour ce faire, ils font un recueil à un instant « t » et classent les relations par étape avant d’utiliser une approche multi-groupes pour examiner les différents construits de la relation fournisseur-distributeur.

3.8 Autres attributs de caractérisation

Les attributs précédents constituent une classe importante, mais d’autres attributs ont été identifiés dans la littérature comme par exemple :

·         Utilisation des TI : cet attribut, développé par exemple dans (Massetti et Zmud, 96) ; (Hart et Saunders, 98) ;  (Guibert, 96) ; (Venkatraman et Bensaou, 96) et (Lepers, 03), est souvent appréhendé en fonction de deux mesures principales : l’intensité ou la diversité des outils utilisés  et la profondeur ou le degré de pénétration de la technologie dans les processus intra et/ou interentreprises

·         Engagement dans la relation : il est relatif au «désir durable de maintenir une relation à valeur ajoutée» (Moorman et Zaltman, 92) et au souhait de construire une relation qui pourra résister aux aléas (Hart et Saunders, 98) (Venkatraman et Bensaou, 96)  (Fynes et al., 05)  (Morgan et Hunt, 94)

·         Centralisation : cet attribut correspond au  « degré auquel les organisations sont intégrées dans la prise de décision ou au degré auquel ces organisations influencent une telle prise de décision... » (Van de Ven et al., 76) (Guibert, 96) (Grandori, 97) (Macey et al., 89) (Jablin et al., 01)  (Nidomolu, 95) (Angeles et Nath, 01)

Enfin, d’autres attributs répertoriés dans (Derrouiche R, 07) ont été développés de manière plus marginale dans la littérature.

 

4.     Analyse et synthèse : vers un nouveau cadre d’analyse et de caractérisation des relations intra et interentreprises

A l'issue de cette large étude bibliographique, nous avons pu mettre en évidence la disparité existant entre les éléments de caractérisation des relations entre partenaires d’une chaîne logistique. Nous avons pu montrer que les approches étaient multiples conduisant à une absence de typologie de caractérisation des relations. Ce travail a ainsi pour objectif de proposer un cadre structurant d’analyse et de caractérisation des relations dyadiques.

L’analyse de la littérature nous a permis d’identifier un ensemble attributs dont nous pensons qu’ils sont les plus pertinents. En nous appuyant sur les travaux de (Daugherty et al., 06) et (Guibert, 96), nous avons pu définir « le contexte relationnel » comme un premier niveau d’analyse du cadre que nous proposons. Ces attributs ont été regroupés en quatre dimensions dont nous proposons la déclinaison ci-dessous. Pour plus de détails, le lecteur pourra se reporter à (Derrouiche R., 07):

A.     le climat de la relation, caractérisé par :

1. Le degré d’engagement des partenaires dans la relation (Moorman et Zaltman, 92)

2. La confiance entre partenaires de la relation (Morgan et Hunt, 94 et Guibert, 96)

3. Le pouvoir exercé par les partenaires de la relation (Dahl, 57 et Lepers, 03)

4. L’intensité des conflits dans cette relation (Reve et Stern, 96 et Maloni et Benton, 00)

5. Les méthodes utilisées par les partenaires pour résoudre les conflits (Achrol et Gundlach, 99 et Mohr et Spekman, 94)

6. La compatibilité et la solidarité entre partenaires (Whipple et al., 00 et Achrol  et Gundlach, 99)

B.      la structure de la relation

1. La flexibilité des partenaires de la relation (Achrol  et Gundlach, 99)

2. L’échange et le partage d’information entre partenaires (Stank et Daugherty, 97)

3. Le degré de participation dans la relation (Stank et Daugherty, 97)

4. Les efforts de reconfiguration des partenaires (Angeles et Nath, 01)

5. La centralisation et la synchronisation des décisions (Simatupang et Sridharan, 05)

6. Le degré de formalisation de la relation (Lusch et Brown, 96)

7. Les activités de contrôle entre partenaires (McNeilly et Russ, 92 et Stank et Daugherty, 97)

8. Le degré d’interdépendance entre partenaires (Guibert, 96 et Heide, 94)

9. La finalité de la relation (Objectifs et attentes) des partenaires (Daugherty et al., 06 et Fynes et al., 05)

10.   La structure économique de la relation (Williamson, 79)

C.     les technologies de l’information (TI) utilisées dans la relation

1. L’intensité d’utilisation des TI (Guibert, 96)

2. La profondeur d’utilisation des TI (Venkatraman et Bensaou, 96)

D.     le cycle de vie de la relation

Toute relation évolue à travers cinq phases (Jap et Anderson, 03): 1. Exploration ; 2. Construction ; 3. Maturité ; 4. Déclin et 5. Détérioration

 

Le cadre ainsi constitué comporte un ensemble de dimensions explicatives et permet une approche structurée pour la caractérisation et l’analyse des relations. En utilisant  un cadre unique, l’évaluation de ces différents attributs va permettre de mettre en évidence le niveau de collaboration de la relation étudiée.

Au-delà, de la caractérisation des relations entre partenaires, notre proposition fait lien avec la performance générée par cette relation (Derrouiche et al, 2011). L’évaluation de la performance dans ce précédent travail était basée sur la perception des partenaires. Nous proposons dans la suite de ce travail d’aller au-delà de cette analyse de la performance perçue, pour mesurer la valeur (tangible et intangible) collaborative générée par la relation. Dans ce contexte, quelques référentiels ont été proposés pour évaluer cette performance, parmi lesquels :

- Le Balanced Score Card-BSC(Kaplan et Norton, 1996) ;

- Le modèle Skandia de l’arbre de valeur (Edvinsson et Malone, 1999) ;

- Le modèle SAS (http://www.observatoire-immateriel.com/)

- Le modèle Globale Reporting Initiative-GRI (www.globalreporting.org)

- Le  modèle d'excellence EFQM (http://www.efqm.org)

- Les modèles VRM (www.value-chain.org/), …etc.

La mobilisation de ces référentiels pour définir et évaluer la valeur générée par la relation entre des partenaires reste problématique. En dépit du fait que plusieurs modèles proposent d’évaluer aussi bien le capital matériel que le capital immatériel, aucun  de ces modèles n’intègre les différentes formes qu’une relation peut prendre en se basant sur la valeur créée par l’intensité de collaboration (R. Derrouiche et al, 2012).

Nous proposons d’utiliser l’approche BSC proposée initialement par (Kaplan and Norton, 1996), et adaptée dans les travaux de (Brewer and Speh, 2000) pour évaluer la valeur collaborative générée (Collaborative Value-Added) grâce à la relation entre l’entreprise et son partenaire. Comme le montre la figure 3, ce cadre permet de décliner cette valeur sur les quatre perspectives du BSC (financière ; processus internes ; partenaire ; croissance et apprentissage) elles-mêmes évaluées à travers la valeur ajoutée tangible et intangible créée dans l’interaction.

 

[Insérer Figure 3]

 

Dans le cadre que nous avons élaboré, toute relation peut être caractérisée à travers ses 4 dimensions, climat, structure, TI et cycle de vie, et évaluée sur différents critères à travers les 4 perspectives du BSC. L’objectif est de pouvoir analyser l’impact de l’intensité de la collaboration sur la valeur générée par la relation et de d’identifier les attributs les plus pertinents pour la création de valeur (ou ceux qui, au contraire, pourraient avoir un effet négatif).

 

5.      Conclusion

Ce travail relatif à l’analyse et à la caractérisation des relations dans les chaînes logistiques collaboratives montre qu’il est important et nécessaire de prendre en compte toutes les dimensions susceptibles d’expliquer la nature et le contexte de la relation, afin de mieux évaluer et prédire son impact sur la performance des partenaires.

Les premiers résultats basés sur la littérature nous ont permis de proposer un premier niveau d’analyse et de caractérisation appelé « Contexte de la relation ». Chaque type de relation est décrit à travers des dimensions et des attributs identiques, dont l’intensité diffère selon le niveau de collaboration entre partenaires.

Au-delà, de la caractérisation des relations entre partenaires, notre proposition a pour objectif d’aider les partenaires à mieux observer et comprendre leur relation et à se situer par rapport aux pratiques existantes (Best Practices). Elle permet d’identifier les voies et les leviers de changements possibles. 

Dans la continuité de ce travail, nous proposons d’aller au-delà de la l’analyse avec la proposition d’un 2ème niveau qui a pour objectif de permettre de mesurer la valeur collaborative (Collaborative Value-Added) générée (tangible et intangible)  par l’interaction. La finalité de ce travail à venir sera de montrer l’impact de chaque attribut sur la création et le partage de la valeur entre les partenaires directs de la chaine logistique, et au-delà entre les différentes parties prenantes.

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Figure 1 : Typologie du concept collaboration (traduite de Crow, 02)

 


 

 

Figure 2 : de la compétition à la collaboration, synthèse de (Tuomela, 00) et (Frayret et al., 03)


 

 

 

Figure 3 : Cadre d’analyse des relations basé sur la création de valeur collaborative

 


 

 

Tableau 1. Synthèse de l’évaluation de la confiance dans la littérature

Travaux

Caractérisation de la CONFIANCE

Contexte d'application

(Venkatraman et Bensaou, 96)

Degré de la confiance mutuelle entre les partenaires

Degré du confort dans le partage d’information critique et sensible avec le partenaire

constructeurs et équipementiers

(Sako, 98)

Confiance contractuelle

Honnêteté ou bienveillance

industrie automobile

(Hart et Sounders, 98)

L’honnêteté et la précision des délais (Deadline)

Suivi des promesses des partenaires ;

L’honnêteté du partenaire dans la négociation des affaires.

Utilisation des technologies de l’information

(Guibert, 96)

Si le fournisseur est parfaitement loyal et honnête ;

Si l’entreprise peut compter sur lui

entreprise et son fournisseur

(Zaheer et Venkatraman, 94)

confiance mutuelle ; échange équitable siège/agence

Les promesses sont tenues.

Secteur des assurances, relation entre agence et siège

(Sohier, 97)  à partir du (Ganesan, 94)

La crédibilité et les engagements sont tenus;

La bienveillance

Relation entre client et son fournisseur

 


 

Tableau 2. Synthèse de l’évaluation du pouvoir dans la littérature

Travaux

Caractérisation du POUVOIR

Contexte d'application

Mesures indirectes du Pouvoir

(Hart et Sounders, 98)

Chiffre d’affaires chez ce client et en pourcentage par rapport aux autres clients

Relation fournisseur client

(Sohier, 97)

Récompenses  et pénalités

Référence et image de marque

Expertise

Relation client fournisseurs

(French et Raven, 59)

Récompenses  et pénalités

Référence et image de marque

Expertise, légitimité

Pas de contexte particulier

(Heide, 94)

Degré de l’interdépendance entre l’entreprise et son fournisseur.

Relation client fournisseurs

Mesures directes du Pouvoir

(Gundlach et Cadotte 94)

Nombre de sanctions

Relation client fournisseurs

(Hart et Sounders, 98)

Degré d’influence du client dans le choix de l’EDI ?

Utilisation des TI

 


 

 

Tableau 3. Synthèse de l’évaluation du conflit dans la littérature

Travaux

Caractérisation du conflit

Contexte d'application

Les causes du conflit

(Bowersox et al., 00)

Incompatibilités entre objectifs des agents ; incongruité du rôle d’un agent ;  différences de culture entre les institutions

Rupture du processus de communication dans le canal ;

Divergences quant aux perceptions de l’environnement ou des forces et des faiblesses des agents ;

Relation entre Agents dans un canal Marketing

(Etgar, 79)

Comportement : rôles, attentes et communication entre les membres

Structure : divergence d’objectifs, autonomie et contrôle, accès aux ressources rares)

Relation entre acteurs d'un canal de distribution

 L’intensité du conflit

(Maloni et Benton, 00)

Autonomie de fonctionnement

Intérêts  partagés et désaccords sur des questions critiques.

Relation entre acteurs d'une chaîne logistique

La résolution du conflit et ses conséquences

(Venkatraman et Bensaou, 96)

Echelle de mesure du modèle de résolution de conflit : de « totalement adversaire » à « totalement coopérative»

constructeurs automobiles USA et Japonais

(Sohier, 97)

Résolution conjointe des problèmes

rôle actif  du fournisseur dans la recherche de solutions

fiabilité du fournisseur dans la mise en œuvre des solutions

Relation client fournisseurs

(Maloni et Benton, 00)

issu des désaccords : produisent de la valeur, produisent des problèmes ou accroissent la force des relations ».

Relations entre acteurs d'une chaîne logistique

(Castex, 98)

Mode de résolution du problème : Arranger le problème par vous-même ; Convaincre l’autre partie ; Résoudre le problème en commun ; Recourir à un tiers arbitre ; Technique de résolution sévère de conflits

Relations distributeurs et fournisseurs français

(Mohr et Spekman, 94)

Mode de résolution du problème : Arranger le problème par vous-même ; Convaincre l’autre partie ; Résoudre le problème en commun ; Recourir à un tiers arbitre ; Technique de résolution sévère de conflits

Relation entre partenaires dans le secteur industriel automobile

(Achrol et Gundlach, 99)

Mise  à plat et recherche d’un compromis  mutuellement satisfaisant

Pas de contexte particulier

 


 

 

Tableau 4. Synthèse de l’évaluation du contrôle

Travaux

Caractérisation du contrôle

Contexte d'application

(Venkatraman et Bensaou, 96)

temps passé dans les activités de contrôle comme : négociation du prix, contrôle de la performance, résolution des problèmes urgents, etc

Relations interentreprises

(Stank et Daugherty, 97)

Programme d’évaluation formel et Benchmark de la performance

niveaux de service et rapports d’activité sur une base mensuelle ou trimestrielle ;.

Relation avec le prestataire logistique

(Payton, 00)

Lien autonomie et contrôle et systèmes et technologies de l’information

Secteur de la santé

 


 

 

Tableau 5. Synthèse de l’évaluation de l’interdépendance

Travaux

Caractérisation de l'Interdépendance

Contexte d'application

(Anderson et Narus, 90)

Selon vous, quel serait le coût total pour le fournisseur X de vous remplacer par un autre négociant ?

Relation entre un négociant et son fournisseur

(Heide, 94) (Guibert, 96)

Facilité pour remplacer ce fournisseur

Facilité pour le fournisseur de trouver un autre client

Relation entre l’acheteur à son fournisseur

(Lusch et Brown, 96)

Facilité pour remplacer ce fournisseur

Relation avec les fournisseurs

(Fynes et al., 05)

Facilité pour remplacer ce fournisseur

Facilité pour le fournisseur de trouver un autre client

Poids respectifs de l’interaction dans les chiffres d’affaires client et fournisseur

Relation avec les clients

 

 


 

 

Tableau 6. Synthèse de l’évaluation du partage d’information

Travaux

Caractérisation du partage d'information

(Stank et Daugherty, 97)

Planification des besoins ; plans de distribution ; prévisions à long terme ; changement par rapport aux besoins planifiés.

(Daugherty et al, 06)

 coûts pertinents; planification des activités;  prévisions d’approvisionnement et de la demande.

Fréquence des échanges

(Li, 02)

Planification et évolution des besoins; connaissances sur les processus métier; événements ou changements qui peuvent affecter l’autre partenaire.

(Fynes et al, 05)

Fréquence des échanges, événements ou changements qui peuvent affecter l’autre partenaire, toute information, même confidentielle qui  peut aider l'autre partie;

 


 

 

Tableau 7. Phases du cycle de vie de la relation (Dwyer et al., 87) et (Jap et Anderson, 03)

Phase

Propriétés

Prise de conscience

La transaction n’existe pas encore mais au moins une des deux parties

considère l’autre comme un partenaire potentiel d’échange.

Exploration

 

Chaque partie s’interroge sur la perspective de construire une relation à plus long terme en évaluant les bénéfices qu’elle pourra en retirer mais aussi les coûts qu’elle devra supporter. L’association est encore fragile. Les investissements restant limités, la relation peut cesser sans perte conséquente.

Expansion

 

Chaque partie prend des risques en investissant financièrement et / ou émotionnellement dans la relation. On attend beaucoup de l’autre partie - devenue un partenaire - en particulier qu’elle échange l’information et qu’elle partage les mêmes objectifs.

Engagement

 

C’est la phase de maturité. Des mécanismes contractuels et/ou de valeurs

partagées assurent une interdépendance : les investissements mutuels sont significatifs dans cette phase au cours de laquelle les partenaires font preuve d’adaptabilité pour résoudre les tensions qui peuvent se produire.

Déclin

 

Cette phase peut reposer sur un comportement unilatéral : il suffit qu’une des deux parties seulement le décide pour que la relation décline.

Cette phase conduit généralement à la dissolution de la relation.

 

 



*  Enseignant-Chercheur, ESC – Institut Fayol-LSTI, 51-53 cours Fauriel, BP 29, 42009 Saint Etienne, ridha_derrouiche@esc-saint-etienne.fr  

** Enseignant-Chercheur, ESC – Institut Fayol-LSTI, 51-53 cours Fauriel, BP 29, 42009 Saint Etienne, gilles_neubert@esc-saint-etienne.fr