2023, Vol. 37, No. 3, 25-30

Revue Française de Gestion Industrielle

article en open accès sur www.rfgi.fr

https://doi.org/10.53102/2023.37.03.1201

ISSN: 0242-9780

eISSN: 2804-9284


Information et Décision : analyse rétrospective des articles précurseurs

Salomée Ruel ……1,

1 EXCELIA Business School, SPP – CERIIM, France, salomee.ruel@gmail.com,



Résumé : Cet article s’inscrit dans la célébration des 40 ans de la RFGI et revient sur une thématique phare de la revue : celle liée aux flux informationnels dans les supply chains. L’analyse de trois articles précurseurs dans le domaine datant du début du XXIème siècle permet de retracer la manière dont la RFGI a pu contribuer aux réflexions académiques sur cette thématique dans la communauté scientifique. Ainsi, analysant trois articles portant respectivement sur les enjeux de traçabilité, les outils électroniques permettant les enchères inversées, ou encore le CPFR, cet article identifie des pistes de recherche futures qui seraient les bienvenues dans la RFGI.

Mots clés : Information ; Décision ; Traçabilité ; Enchères inversées électroniques ; CPFR

Information and Decision: retrospective analysis of seminal articles


Abstract: As part of RFGI’s 40th anniversary celebrations, this article looks back at one of the journal's key themes: information flows in supply chains. By analyzing three pioneering articles in this field from the early 21st century, we trace the way in which RFGI has contributed to academic thinking on this topic within the scientific community. Analyzing three articles dealing respectively with traceability issues, electronic tools for reverse auctions, and the CPFR, this article identifies future avenues of research that would be welcome in the RFGI.

Keywords: Information; Decision; Traceability; Electronic reverse auction; CPFR


Citation: Ruel, S. Information et Décision : analyse rétrospective des articles précurseurs. Revue Française de Gestion Industrielle, 37(2), 25-30. https://doi.org/10.53102/2023.37.03.1201

Historique : en ligne le 21/12/2023

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Approche intégrative : analyse rétrospective des articles précurseurs

  1. INTRODUCTION

    Prendre la bonne décision ! Voici un sacré défi pour les supply chain managers qui, tous les jours, voient leurs activités opérationnelles ponctuées d’imprévus. Pour cela, ils s’appuient sur les données à leur disposition… Une réalité fortement contrastée selon le type d’organisation. Certaines sont à la pointe de l’industrie 4.0 et utilisent quotidiennement des outils digitaux qui permettent de collecter et d’analyser des données en temps réel, quand d’autres se débattent toujours avec l’implémentation d’un ERP.

    Alors, parmi les sujets de prédilection publiés par la RFGI, se trouve les questions de gestion de l’information et de prise de décision pour les opérations des entreprises, notamment industrielles ou de transport, ou pour la gestion de leurs achats et de leurs supply chains, et ce, dans une dynamique inter organisationnelle. Pour illustrer la diversité des angles d’attaque traités par les auteurs de la revue, trois articles ont retenu notre attention. Tout d’abord, les travaux de Fabbe- Costes et Lemaire (2001) sur la traçabilité totale, puis ceux de Brisset et Maréchal (2011) dans le domaine des achats sur le principe d’enchères électroniques ou en ligne et enfin l’article de Brusset (2012) qui porte sur les échanges d’information dans la logistique et esquisse un avenir décidément numérique au moment même de l’apparition du terme « industrie 4.0 » en Allemagne.

    L’objectif de ce numéro spécial est de présenter les contributions de ces trois articles et de dresser les pistes de recherche futures.


  2. PRESENTATION SYNTHETIQUE DES TROIS ARTICLES, DE LEURS RESULTATS ET DES POSSIBLES PROLONGEMENTS

    Les trois articles retenus pour le « collector » de la RFGI témoignent des recherches menées dans la période 2000 – 2015 (année des derniers numéros

    de la RFGI pris en compte pour le collector). Ils

    rendent compte de travaux « ancrés » qu’il convient de relire en gardant en mémoire l’année de leur publication et le contexte (entreprises, secteurs, environnements stratégique et réglementaire). Ils témoignent de la volonté des chercheurs de produire des connaissances utiles d’un point de vue managérial et sociétal tout en fournissant de bonnes bases de réflexion au plan académique.

    1. La traçabilité totale d'une Supply Chain : principes, obstacles et

      perspectives de mise en œuvre (Fabbe

      Costes et Lemaire, 2001)



      Figure 1 : Capture d’écran de l’article original

      (Fabbe Costes et Lemaire, 2001)

      Avec cet article publié en 2001 dans la RFGI, Nathalie Fabbe-Costes et Christelle Lemaire se positionnent en précurseur sur le sujet de la traçabilité totale dans les supply chains avec l’un des premiers articles francophones sur le sujet. Tout d’abord, l’article de 2001 positionne des enjeux toujours bien actuels en 2023 : ceux relayés par les médias, à grands coups de scandales sanitaires dans le secteur de l’agro-alimentaire, amenant les consommateurs à exiger une connaissance de


      l’origine des produits et les industriels à vouloir se « couvrir », mais aussi ceux d’une demande accrue de durabilité et de responsabilité. Une réponse à ces nouvelles exigences réside dans le concept de traçabilité totale de la supply chain. Alors, les autrices s’efforcent de définir ce concept dont le périmètre s’étend au-delà de la traditionnelle « traçabilité en logistique », soit le suivi des flux et des activités. Pour Fabbe-Costes et Lemaire (2001, p. 26), la traçabilité totale consiste à « suivre, si possible en temps réel et en permanence, les processus logistiques tout au long du cycle de vie du produit », ce qui est rendu possible grâce aux évolutions technologiques permanentes améliorant l’échange d’informations entre les diverses entités d’une supply chain. L’objectif de la traçabilité totale n’est pas uniquement de savoir où se trouve un produit à l’instant t (tracking) mais aussi d’être capable de retracer son histoire (tracing). Derechef, les autrices pointent que cette « simple » définition cache des vraies difficultés nées de la complexité des supply chains : nombre d’acteurs impliqués, nombre de composants à considérer, imbrication de diverses supply chains, mais aussi chaîne logistique inverse (un concept émergent en 2001), et nécessité de « mémoire » afin de rendre compte du tracing du produit. Ainsi, Fabbe-Costes et Lemaire (2001) insistent sur les technologies à mettre en place pour la réussite de la traçabilité totale : codes-barres, puces RFID, mobile device, EDI, systèmes d’information… Si certains de ces termes ne sont pas directement employés dans l’article, ce sont bien ces technologies qui sont désignées, des technologies fortement adoptées en 2023, ce qui prouve une fois encore l’aspect visionnaire de cet article publié dans la RFGI.

      Puis, dans la tradition de la RFGI qui vise à publier des articles avec de fortes implications managériales, l’article développe à la fois une méthodologie concrète de déploiement de la traçabilité pour les entreprises et un cas applicatif dans la supply chain du fromage préemballé. D’abord, la méthodologie aborde les points-clés de l’analyse d’un système de traçabilité totale avec les questions que des managers devraient se poser pour chacun des éléments des processus, mais aussi une liste de questions au sujet des interfaces afin

      d’assurer la continuité de la traçabilité. Ici, les enjeux technologiques sont clés puisque qu’ils soutiennent le partage informationnel dans un processus définitivement inter-organisationnel. Les autrices soulignent néanmoins deux lacunes à cette méthodologie, que nous complétons ici, c’est à dire la non-prise en compte : (i) de certains aspects financiers (coûts, retour sur investissement, ou encore partage équitable des investissements entre les acteurs de la supply chain) ; et (ii) des aspects relationnels entre les différents acteurs de la supply chain (jeux de pouvoir, qualité partenariale, confiance, ressources, connaissances et compétences, etc). Aujourd’hui, dans la littérature scientifique, les aspects relationnels apparaissent comme clé alors que les processus de gestion des supply chains de plus en plus automatisés et digitalisés. Enfin, le cas applicatif permet de clarifier les quatre éléments interdépendants et déterminants d’un système de traçabilité totale : les acteurs de la supply chain, les finalités, les activités et les technologies. L’interdépendance tant de ces quatre éléments entre eux, que des acteurs de la supply chain, implique un ajustement constant du système pour atteindre l’objectif de traçabilité totale. La complexité est alors à son paroxysme, et, cet article de 2001 évoque alors un mot clé qui deviendra une des capabilités des supply chains les plus étudiées par la suite : la « visibilité ».

      Retenons de cet article l’avant-gardisme du propos. En 2023, la méthodologie de déploiement d’un système de traçabilité totale de la supply chain conviendrait d’être revue à l’aune des nouveaux outils digitaux comme l’Internet des Objets, la Blockchain ou encore les outils intelligents de détection (Smart Sensors), mais aussi de prendre en compte de manière accrue les enjeux de durabilité et les aspects comportementaux et relationnels dans des supply chains toujours plus étendues.


    2. Enchères inversées électroniques : atouts et limites pour la fonction achat (Brisset et Marechal, 2011)


      Figure 2 : Capture d’écran de l’article original

      (Brisset et Marechal, 2011)

      En 2011, Karine Brisset et François Marechal publient dans la RFGI un article au sujet des nouvelles formes des relations « acheteurs-fournisseurs » dans le commerce B2B et proposent de faire le point sur les outils d’enchères inversées électroniques. A cette époque, ces outils soutiennent déjà l’activité des acheteurs de grandes firmes internationales depuis une décennie, mais leur développement est plus discret voire anecdotique dans les secteurs publics et les entreprises de plus petite taille. Ces outils marquent le début de la mutation de la fonction Achats vers une utilisation accrue d’outils technologiques.

      Tout d’abord, Brisset et Marechal (2011) rappellent que le principe des enchères inversées électroniques consiste à mettre en concurrence différents fournisseurs en allouant le contrat à celui qui, généralement, offrira le prix le plus bas, au dépend d’autres critères d’achats comme la technicité (critère prégnant en 2023) ou encore la durabilité (qu’elle soit durable ou sociale). En 2011, les auteurs expliquent que les enchères inversées électroniques sont l’objet de controverse car ce principe est mal accueilli par de nombreux fournisseurs et acheteurs. Les fournisseurs déplorent des potentiels comportements opportunistes des acheteurs, quand ces derniers craignent pour leur métier et leurs compétences de négociation devenues moins indispensables. Si en

      2023 le principe d’enchères inversées électroniques est bien mieux accepté, un parallèle est nécessaire avec l’émergence de nouveaux outils digitaux dans la fonction achats comme la RPA (Robotic Process Automation) qui vient automatiser de nombreuses tâches répétitives des acheteurs et donc faire craindre certains pour leur poste.

      Plusieurs formes d’enchères inversées en ligne sont décrites et comparées dans l’article : enchères inversées dynamiques, enchères inversées hollandaises, ou encore offres scellées. Ainsi, les Brisset et Marechal (2011) proposent un décryptage des pratiques au regard du comportement des entités impliquées (acheteurs et fournisseurs), des bénéfices et des inconvénients. Surtout, ils montrent que les enchères inversées sont un principe fort en termes de partage d’une information fiable dans la supply chain et peuvent inclure d’autres critères supplémentaires que celui du prix (en 2023, on pense alors de nouveau aux critères de technicité ou de durabilité de l’offre ou du produit à acheter). Enfin, ils suggèrent que ce principe d’achats peut s’avérer plus objectif qu’un achat basé sur les compétences de négociation des acheteurs si les règles de paramétrage des enchères sont bien discutées dès le départ.

      Finalement, c’est l’approche par le comportement des acteurs face à des informations transparentes autour du « prix le plus bas possible » rendues possibles par la technologie qui rend le propos de Karine Brisset et François Marechal moderne alors que les théories comportementales sont aujourd’hui de plus en plus mobilisées pour comprendre les relations entre les acteurs des supply chains dans un contexte à la fois VUCA mais aussi très digitalisé.


    3. Avantages économiques du partage de l’information dans une chaîne étendue (Brusset, 2012)


      Figure 3 : Capture d’écran de l’article original

      (Brisset et Marechal, 2011)

      En 2012, Xavier Brusset publie dans la RFGI un article qui évoque le partage d’information dans les supply chains et plus précisément la manière dont des technologies, encore émergentes alors, peuvent soutenir les activités logistiques de transport. Tout d’abord, Brusset (2012) souligne la nécessaire collaboration entre les entités d’une même supply chain afin de répondre aux besoins en information de celles-ci, par exemple en développant un accord de collaboration sur la planification, la prévision et le réapprovisionnement - nommé CPFR (Collaborative Planning Forecasting and Replenishment) qui est une forme plus étendue de la GPA (Gestion Partagée des Approvisionnements). Il indique que, pourtant, la plupart des projets visant à améliorer la collaboration sont voués à l’échec….

      Face à ces échecs récurrents, Brusset (2012) évoque un avenir prometteur et identifie que des technologies existent déjà ou alors émergent pour soutenir le partage d’information dans les supply chains. Il s’agit par exemple de l’EDI (Echange de Données Informatisé), dont l’adoption ne fait qu’augmenter depuis les années 2000) qui permet une facturation automatique des clients, des paiements automatiques des fournisseurs ou encore les commandes automatiques de réassort ou encore de la RFDI (Radio Frequency IDentification)

      qui, grâce aux tags (étiquettes) apposés sur des camions, des palettes ou encore des produits, permet d’améliorer la traçabilité des flux logistiques.

      Ainsi, en 2012 Xavier Brusset esquisse un avenir digital pour les entités des supply chains qui ne pourront passer à côté de l’adoption de technologies connectées soutenant la collaboration inter organisationnelle, au risque de voir leur compétitivité s’effondrer. Ces propos entrent en résonance avec de récentes études du Lab Digital de France Supply Chain qui soulignent toutes une forme de « course effrénée » à la digitalisation pour améliorer les capabilités des supply chains comme la visibilité, l’agilité, la collaboration ou encore la résilience.


  3. PISTES POUR LES DEVELOPPEMENTS FUTURS

Certes, ces trois articles marquent l’histoire de la RFGI et de la recherche sur les questions de d’information et de décision en gestion industrielle et en supply chain management pour la communauté francophone. Ils ont surtout ouvert des portes à pans entiers de recherche sur la traçabilité totale en logistique, la digitalisation des achats et leur impact sur la relation acheteurs- fournisseurs et l’adoption accélérée d’outils digitaux en supply chain management et leurs bénéfices très opérationnels.

Ces portes ne sont pas à refermer. Les entités des supply chains continuent de s’interroger : comment mieux gérer et analyser les données ? Elles souffrent toujours d’un manque de granularité et de structuration des données qui sabordent l’utilité des applications d’intelligence artificielle comme la RPA ou les Jumeaux Numériques (Digital Twins, outils permettant de faire des simulations). Comment mieux échanger les données ? Elles souhaitent tirer parti de nouvelles technologies comme la Blockchain qui garantit la fiabilité des données et améliorer la traçabilité, mais ont des difficultés à faire aboutir ces projets. Comment mieux obtenir les données ? L’adoption des objets connectés comme les Smart Sensors ou les tags RFID s’accélère, mais des problèmes de standards


gâchent parfois l’interopérabilité. Comment automatiser le travail avec des données ? Si l’automatisation des tâches les plus manuelles est une priorité (notamment en production ou dans les entrepôts), beaucoup n’identifient pas encore les apports potentiels d’une automatisation de certaines tâches administratives et répétitives.

Par ailleurs, la tradition de la RFGI réside dans un dialogue entre le génie industriel, où simulation et

5. BIOGRAPHIE




Salomée Ruel est Professeure en Supply Chain Management et à EXCELIA Business School et rattachée au Laboratoire CERIIM. Ses recherches portent sur trois axes

optimisation sont des approches reines, et les sciences de gestion, qui elles privilégient une compréhension plus systématique des acteurs, de leurs enjeux et de leurs comportements. Les questions de gestion de l’information et des prises de décisions portent à la fois une visée d’optimisation des performances (pas uniquement économique !) et de relation entre les acteurs. Elles nécessitent alors que ce dialogue perdure dans la RFGI.


4. BIBLIOGRAPHIE

Brisset, K., & Marechal, F. (2011). Enchères inversées électroniques : atouts et limites pour la fonction achat. Revue Française de Gestion Industrielle, 30(4), 95-114. https://doi.org/10.53102/2011.30.04.829

Brusset, X. (2012). Avantages économiques du partage de l’information dans une chaîne étendue. Revue Française De Gestion Industrielle, 31(2), 103–119. https://doi.org/10.53102/2012.31.02.657

Fabbe-Costes, N., & Lemaire, C. (2001). La traçabilité totale d’une supply chain : principes, obstacles et perspectives de mise en œuvre. Revue Française De Gestion Industrielle, 20(3), 23–52. https://doi.org/10.53102/2001.20.03.353

principaux : la résilience des supply chains, leur

digitalisation, ainsi que les questions de de durabilité soxiale. Elle est la trésorière de l’association scientifique AIRL-SCM depuis 2018.

Salomée Ruel, EXCELIA Business School, SPP-CERIIM, salomee.ruel@gmail.com,

https://orcid.org/0000-0002-1688-7422