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2023,Vol. 37, No. 2, 03-06

Revue Française de Gestion Industrielle

article en open accès sur www.rfgi.fr

https://doi.org/10.53102/2023.37.02.1192


Editorial Numéro Spécial:Logo RFGI

La digitalisation des supply chains : défis et bénéfices

 

Smaïl BENZIDIA 1, Omar BENTAHAR   2

1 CEREFIGE, IAE Metz School of Management, Université de lorraine, 1 Rue Augustin Fresnel, 57070 Metz, France, smail.benzidia@univ-lorraine.fr

2 CEREFIGE, IAE Metz School of Management, Université de lorraine, 1 Rue Augustin Fresnel, 57070 Metz, France, omar.bentahar@univ-lorraine.fr


À l’ère de l’Industrie 4.0, la transformation digitale est devenue un enjeu stratégique du développement des entreprises et leurs supply chains, et s’avère comme étant une approche inévitable pour toute entreprise s’efforçant d’être à la fois compétitive et durable (Abbad et al., 2022).

D'après la littérature, il existe une série de définitions de la transformation digitale. Toutefois, il existe un consensus sur les types d’outils technologiques qui font référence à une stratégie de transformation digitale (Ageron et al., 2020). Il s’agit d’un investissement dans des outils technologiques classiques avancés mais également dans des outils de dernière génération appelés également « outils de rupture » comme l’intelligence artificielle, la blockchain, IoT , Big Data, Cloud Computing, 3D, etc.

Les apports et bénéfices de la transformation digitale ont fait l’objet de plusieurs études à travers lesquelles les chercheurs ont analysé, exploré ou testé le rôle de la digitalisation comme moyen pour améliorer la supply chain des organisations en termes d’intégration interne et externe, de performance, de durabilité, etc. (Beaulieu et Bentahar, 2021 ; Queiroz et al., 2021).

La transformation digitale permet également d'éliminer les informations asymétriques et de parvenir à une intégration transparente entre les processus internes des supply chains tels que l’approvisionnement, la planification, la production, la logistique et l'entreposage (Xie et al., 2020).

Ces technologies représentent des paradigmes à saisir par les acteurs de la supply chain pour leur capacité à prédire les changements et à identifier de nouvelles opportunités commerciales (Kamble et al., 2020). Par conséquent, l’émergence de ces technologies a permis d’accélérer la transformation de la supply chain traditionnelle vers une supply chain intelligente.

La supply chain intelligente correspond à la possibilité de posséder des fonctionnalités informatiques, y compris des technologies émergentes, mais également à la capacité d’interconnectivité des systèmes informatiques internes et externes (Wu et al., 2016).

Bien que la littérature sur l’intérêt de la digitalisation de la supply chain indique généralement que ces processus soutiennent et profitent aux entreprises, il existe un consensus selon lequel la mise en place d’une supply chain digitalisée ne limite pas uniquement à la simple adoption des outils technologiques mais exige bien d’autres conditions et challenges pour y parvenir.

Un des challenges d’adoption et de diffusion de digitalisation des supply chains consiste à impliquer davantage les parties prenantes et de mesurer la création de valeur des outils digitaux à mettre en œuvre par le biais d'une collaboration inter-entreprises (Benzidia, 2014).

Un autre challenge réside dans la mobilisation des compétences adaptées aux développements massifs et rapides des technologies de l’information dans la gestion des supply chains. Par conséquent, les entreprises doivent définir un modèle de compétences tourné vers l’avenir capable de mesurer l’alignement stratégique des technologies disponibles mais également d’anticiper l’avenir des technologies et leurs rôles décisifs pour chaque processus de la supply chain (Wang et Ha-Brookshire 2018 ; Benzidia et Makaoui, 2020).

Enfin, il existe un autre challenge d’ordre technique qui réside dans la capacité des entreprises à mieux orchestrer et synchroniser des systèmes d’informations ayant des caractéristiques hétérogènes exigeant des conditions d’interopérabilité très élevées pour garantir une meilleure intégration horizontale et verticale, et développer ainsi une supply chain intelligente et durable.

Pour ce faire, de nombreuses questions émergent : Comment la digitalisation transforme-t-elle le processus logistique ? Quelles sont les étapes principales d’une bonne digitalisation de la chaine d’approvisionnement ? Comment la digitalisation peut-elle créer de la valeur pour ses diverses parties prenantes ? sous quelles conditions la digitalisation peut-elle être une source de performance et de compétitivité ? Quel est le rôle de la digitalisation dans une supply chain durable ? Quels effets a-t-elle sur les emplois ?

Ce numéro spécial de la Revue Française de Gestion Industrielle (RFGI) est associé à la 6ème édition du colloque PROLOG qui s’est tenue à Nantes (Cité des congrès) les 28, 29 septembre et 1er et 2 octobre 2021. L’édition a été organisée par le laboratoire LEMNA en collaboration avec l’université de Nantes. La conférence PROLOG est une manifestation scientifique qui promeut les recherches portant sur des problématiques contemporaines dans le domaine de la chaîne logistique et du management de projet, permettant ainsi une contribution incrémentale à la théorie et un apport managérial pour les organisations.

Pour cette 6ème édition de cette conférence, c’est la digitalisation des supply chains et des projets qui a porté les débats de cette conférence qui a réuni 78 communications de chercheurs de différents pays : France, Canada, Italie, Angleterre, Danemark, Irlande, Maroc, Brésil…

Ce numéro spécial nous permet de réunir 5 articles sur ces thématiques : trois articles sur les artefacts et les effets de la digitalisation dans la supply chain avec des cas d’application sur des grands groupes et des PME, un article sur le On Time Delivery (OTD) dans le secteur de l’aéronautique, et un article qui illustre la modélisation stochastique du trafic routier.

Dans leur article intitulé “ Les artefacts digitaux de la supply chain : lecture du cas L’Oréal au prisme de l’acteur réseau”, Elizabeth Couzineau-Zegwaard et Olivier Meier affirment que la crise de la COVID-19 a accéléré la digitalisation, en particulier des entreprises des produits de consommation, avec le développement du e-commerce et les restrictions du monde physique. La digitalisation apparait parfois comme « allant de soi », alors que la mise en œuvre de l’innovation est souvent très complexe et a fait l’objet de différents modèles en sciences de gestion, notamment sur la question de la gestion des connaissances et des capacités d’innovation. Au-delà de la complexité de la gestion technologique et des acteurs, les autres proposent une autre approche issue de la sociologie des sciences qui permet de comprendre le rôle qui doit être tenu par les acteurs humains et techniques pour garantir le succès de l’innovation. Dans cet article les auteurs mobilisent le modèle de l’acteur-réseau pour analyser la mise en œuvre de la digitalisation de la Supply Chain de l’Oréal.

Dans son article intitulé « Et s’il fallait améliorer le On Time Delivery (OTD) en réduisant la non-qualité ? L'analyse d'une grappe industrielle de la supply chain aéronautique française sous le prisme des proximités », Ibtissem Hamouda observe la mise en place des proximités (géographique et non géographiques) et l’évolution des indicateurs des performances industrielles que sont la qualité et les délais. A partir de l’observation de 420 données relevées auprès d'une grappe industrielle de 7 sous-traitants sur une période de 20 mois entre 2014 et 2019, deux résultats majeurs sont discutés. Le premier est relatif à l’effet positif de l’activation des proximités sur les critères de performance à savoir la qualité et les délais de livraison. Le second résultat montrera une relation significativement négative entre la qualité et les délais de livraison. Les résultats de ses analyses lui ont permis de communiquer à tous les acteurs de la supply chain aéronautique qu’une orientation des stratégies de proximité des sous-traitants sur cette variable est primordiale.

Dans un article intitulé « Chaîne logistique des PMEs de la sous-traitance électronique : comment améliorer les process logistiques grâce aux technologies digitales ?», Jérôme VERNY, Ouail OULMAKKI et Marc DURAND abordent la question centrale de la transformation numérique et les outils permettant de gérer au mieux la visibilité de la supply chain des PMEs spécialisées dans le domaine de la sous-traitance électronique (EMS) en France. Ils affirment que l’arrivée des outils de pilotage intelligent, plus flexibles et moins coûteux est une opportunité pour ces PMEs de rattraper le retard accumulé. Disposant pour la plupart, de machines de production récentes, elles ont, grâce à l’internet des objets (IoT), la possibilité de lier leurs machines à de nouveaux systèmes d’informations pour pouvoir cartographier les flux et remonter l’information dans le but d’optimiser la visibilité de leur chaîne logistique. De plus, les possibilités apportées par une récupération fiable de leurs données leur permettraient d’évoluer dans un environnement de collaboration horizontale et verticale dans le but de renforcer la place des PMEs dans cette industrie nouvelle. Dans cet article, les auteurs ont identifié l’apport des nouvelles technologies digitales à la chaine logistique des EMS, puis, ont démontré comment la collaboration-digitalisation-big-data constituent aujourd’hui les nouveaux paradigmes de la logistique et de l’industrie 4.0 à l’ère du digital.

Dans la même thématique, Célestin Elock Son et Jean Noel Breka dans leur article intitulé « Digitalisation et industrie 4.0 au sein de la supply chain: contributions et freins », et à partir d’une revue systématique de la littérature, les auteurs ont montré que la digitalisation et l'industrie 4.0 améliorent les processus de gestion et assurent la compétitivité. Cependant, ils ont également constaté que les stigmates laissés par les technologies précédentes, le manque de directives spécifiques à l'industrie, le manque de compétences et de talents numériques ou le manque d'engagement de la direction empêchent l'adoption de ces technologies dans la supply chain.

Le dernier article de ce numéro intitulé « Modélisation stochastique macroscopique d'ordre supérieur du trafic sur les réseaux routiers : implications managériales », de Asma Khelifi, Jean-Patrick Lebacque et Habib Haj-Salem affirment que les systèmes de transport jouent un rôle primordial dans le développement de la croissance économique des pays. Cependant, l'apparition des véhicules autonomes et électriques et les restrictions mises en place pour limiter la diffusion et les impacts de la Covid-19 dans les transports en commun ont eu un impact important sur l’augmentation des problèmes de transport notamment aux intersections. Ils proposent d’appliquer la modélisation stochastique des flux du trafic sur les réseaux routiers, grâce à des modèles macroscopiques génériques de second ordre : la famille GSOM. Ils précisent également que la difficulté d'utiliser cette solution de résolution sur un réseau est de traiter les discontinuités eulériennes – fixes – telles que les jonctions. C’est pourquoi, ils proposent : d'une part, des modèles d’intersection adaptés aux modèles stochastiques macroscopiques de flux de trafic de second ordre, et d'autre part, résoudre le modèle résultant dans le cadre d’un réseau routier. Quelques exemples numériques sont fournis pour montrer l'efficacité de l'approche proposée. 

Les cinq articles qui constituent ce numéro spécial apportent des idées nouvelles et suggèrent des pistes pertinentes pour de futures recherches dans ce domaine pour lesquelles nous remercions tous les auteurs. Enfin, nous souhaitons remercier chaleureusement les différents évaluateurs anonymes pour leur travail remarquable qui a permis d’améliorer la qualité des articles, mais également les éditeurs de la RFGI, Valérie Fernandes et Ridha Derrouiche, pour avoir permis à ce numéro spécial de voir le jour.

REFERENCES

Abbad, H., Bentahar, O., & Benzidia, S. (2022). Transformation digitale de la supply chain: caractéristiques, enjeux et voies de recherche futures. Logistique & Management, 30(4), 119-124, https://doi.org/10.1080/12507970.2022.2142022

Ageron, B., Bentahar, O., & Gunasekaran, A. (2020, July). Digital supply chain: challenges and future directions. In Supply Chain Forum: An International Journal (Vol. 21, No. 3, pp. 133-138). Taylor & Francis. https://doi.org/10.1080/16258312.2020.1816361

Beaulieu, M., & Bentahar, O. (2021). Digitalization of the healthcare supply chain: A roadmap to generate benefits and effectively support healthcare delivery. Technological forecasting and social change, 167, 120717. https://doi.org/10.1016/j.techfore.2021.120717

Benzidia, S. (2012). Les places de marché électroniques: vers une e-supply chain coopérative. Revue française de gestion industrielle, 31(1), 59-82. https://doi.org/10.53102/2012.31.01.647

Benzidia, S. (2014). Les apports transactionnels et relationnels des enchères inversées B2B. Revue française de gestion industrielle, 33(1), 105-121. https://doi.org/10.53102/2014.33.01.720

Benzidia, S., & Makaoui, N. (2020, July). Improving SMEs performance through supply chain flexibility and market agility: IT orchestration perspective. In Supply chain forum: An international journal (Vol. 21, No. 3, pp. 173-184). Taylor & Francis. https://doi.org/10.1080/16258312.2020.1801108

Kamble, S. S., Gunasekaran, A., & Gawankar, S. A. (2020). Achieving sustainable performance in a data-driven agriculture supply chain: A review for research and applications. International Journal of Production Economics, 219, 179-194. https://doi.org/10.1016/j.ijpe.2019.05.022

Queiroz, M. M., Pereira, S. C. F., Telles, R., & Machado, M. C. (2021). Industry 4.0 and digital supply chain capabilities: A framework for understanding digitalisation challenges and opportunities. Benchmarking: an international journal, 28(5), 1761-1782. https://doi.org/10.1108/BIJ-12-2018-0435

Wang, B., & Ha-Brookshire, J. E. (2018). Exploration of digital competency requirements within the fashion supply chain with an anticipation of industry 4.0. International Journal of Fashion Design, Technology and Education, 11(3), 333-342. https://doi.org/10.1080/17543266.2018.1448459

Wu, L., Yue, X., Jin, A. and Yen, D.C. (2016), "Smart supply chain management: a review and implications for future research", The International Journal of Logistics Management, Vol. 27 No. 2, pp. 395-417. https://doi.org/10.1108/IJLM-02-2014-0035

Xie, Y., Yin, Y., Xue, W., Shi, H., & Chong, D. (2020). Intelligent supply chain performance measurement in Industry 4.0. Systems Research and Behavioral Science, 37(4), 711-718. https://doi.org/10.1002/sres.2712

BIOGRAPHIE

  Pr. Smaïl BENZIDIA est Professeur des Universités en sciences de gestion spécialise en supply chain management à l’Université de Lorraine. Il est responsable du Master 2 Métiers du Conseil et de la Recherche (MCR) et a été nommé responsable académique du développement des relations internationales à l’IAE Metz. Chercheur au CEREFIGE, ses recherches portent sur les systèmes d’information inter-organisationnels et le supply chain management. Smaïl Benzidia est co-fondateur du colloque International PROLOG « Project & Logistics ».

 

  Pr. Omar BENTAHAR est docteur en sciences de gestion de l’Université de Caen Normandie. Il est Professeur des Universités en Management de Projet et Supply Chain Management à l’Université de Lorraine. Il est responsable de la mention du Master MAE et créateur/responsable du Master 2 management de projet à l’IAE Metz. Il est co-fondateur de la conférence internationale PROLOG. Chercheur au CEREFIGE, ses recherches portent sur le management des projets complexes, l’innovation, la digitalisation de la supply chain et la logistique de la santé.

 

1 Smaïl BENZIDIA, CEREFIGE, IAE Metz School of Management, Université de lorraine, France, smail.benzidia@univ-lorraine.fr 

2 Omar BENTAHAR, CEREFIGE, IAE Metz School of Management, Université de lorraine, France, omar.bentahar@univ-lorraine.fr           
  https://orcid.org/0000-0002-2047-7135